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Nous n’avons pas besoin d’argent mais de justice

Propos recueillis par Marie Armelle Beaulieu
30 janvier 2019
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Nous n’avons pas besoin d’argent mais de justice
Selon George Akroush, il est important que les Eglises ne se laissent pas déborder par les questions administratives liées à leurs activités sociales et éducatives mais qu'elles sachent venir à la rencontre des populations.

Après 20 années passées au service des Églises de Terre Sainte, Georges Akroush pose un regard critique sur le fonctionnement des institutions chrétiennes en Palestine. Selon lui, les efforts fournis pour la communauté chrétienne ne sont plus en adéquation avec ses besoins. Il appelle de ses vœux que l’on passe de la charité au développement.


Si l’Europe, si les chrétiens européens, américains, canadiens sont toujours intéressés à avoir une présence vivante et continue des chrétiens palestiniens, ils ne devraient pas nous soutenir en nous donnant de l’argent. Nous n’avons pas besoin d’argent.” Voilà plus de quinze ans que Georges fait de la collecte de fonds au service d’institutions chrétiennes à Jérusalem et dans les territoires palestiniens. Mieux que quiconque il connaît les besoins financiers dans lesquels se débattent ces institutions, mais ce laïc engagé estime qu’il est temps pour les Églises en Terre Sainte et pour les chrétiens palestiniens de bouleverser leurs vieilles habitudes.
Les chiffres et les données de terrain, il les connaît par cœur : “Il n’y a pas de commune mesure entre le rôle que jouent les Églises dans l’emploi, le développement, l’humanitaire et le pourcentage restant de cette toute petite minorité de chrétiens. Entre Jérusalem, la Palestine (les territoires palestiniens NDLR) et Gaza nous parlons de 46 000 personnes. Nous ne représentons plus qu’1 % de notre population. Mais l’Église contrôle plus de 50 % des offres d’emploi dans les milieux liés à l’humanitaire et aux activités sociales pour tout le peuple palestinien. Les meilleurs hôpitaux sont chrétiens, les meilleures écoles, les meilleurs centres d’assistance sociale, les meilleures maisons de retraite sont chrétiens.” S’il s’émerveille de l’investissement des Églises dans cet “évangile social” comme il l’appelle, Georges en revanche souligne certains effets secondaires qu’il tient pour dangereux.
“Aujourd’hui, à Jérusalem 72 % de la force de travail constituée par la population chrétienne est employée dans une institution chrétienne. Certains y voient un bon indicateur, pas moi. Il signifie que nous dépendons tous de l’Église.” Une dépendance dont il estime qu’elle n’est pas saine, ni financièrement ni pour avoir développé l’idée selon laquelle les chrétiens seraient les membres d’une “Église-Providence” capable de pourvoir à tout et en permanence.

 

Ce Hiérosolymitain de naissance entend rester vivre dans son pays pour y servir en premier lieu la communauté chrétienne.

Sans doute confesse-t-il, la communauté chrétienne a-t-elle survécu aux 70 dernières années de bouleversements politiques grâce à la surface économique de l’Église mais selon lui les temps changent et s’accélèrent. “Ces dernières années, parmi les chrétiens qui quittent le pays, il n’y a pas seulement des personnes des pauvres, il y a des familles riches. On ne quitte plus pour aller gagner de l’argent ailleurs mais parce qu’on aspire à vivre une vie normale, une vie de justice, une vie de libertés.”
Pourtant et malgré la pression de ses deux aînés et de son épouse, Georges lui veut rester. D’abord pour ne pas vivre le déracinement, ensuite pour servir sa communauté, enfin pour ne pas faire aux Israéliens ce cadeau qu’ils attendent : décourager les Palestiniens de rester sur leur terre.
N’empêche Georges pense que les institutions chrétiennes devraient changer en profondeur. “A Jérusalem, on compte 132 institutions chrétiennes. Plus de la moitié d’entre elles sont nées avant la création de l’État d’Israël.” D’après Georges, il y a dans la plupart des institutions chrétiennes une adéquation entre leur objet et les besoins de la communauté, quand ce n’est pas une incohérence entre le discours et la façon de travailler. “Les réalités ont changé pas les institutions. Elles font invariablement la même chose. Quand bien même elles le font avec excellence, cela ne répond pas à l’attente des chrétiens en tous les cas pas des jeunes, les plus exposés au désir d’émigration.”
Georges veut continuer de croire qu’aussi désespérée soit la situation au niveau politique, il y a encore de la place pour le développement de la Palestine, un développement dans lequel les chrétiens doivent jouer un rôle. “Peut-être l’Église devrait-elle ouvrir des lieux pour devenir “incubateur”. Elle aiderait de jeunes chrétiens de façon temporaire, durant trois quatre ans, le temps qu’ils deviennent capables et aient les moyens de lancer leur propre entreprise. Elle a des terres, elle a des bâtiments parfois vides… Le futur est à l’entreprenariat.”

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Sclérose des institutions

Pour Georges le défaut de l’Église est de ne pas avoir de stratégie et de planification réelle de ses dépenses. “Même quand elle parle de l’importance de la jeunesse et de l’éducation, elle ne s’intéresse ni à ce que les jeunes attendent, ni elle ne met les moyens financiers à hauteur de son discours.” Après qu’il a conduit une étude sur les 132 institutions de Jérusalem, Georges a les chiffres de ce qu’il avance mais il ne veut pas mettre telle ou telle institution en difficulté. “Tant que les Églises croiront savoir seules ce que les chrétiens attendent ou espèrent, ce à quoi ils aspirent, sans jamais les interroger, le fossé entre les deux continuera à se creuser. Les gens continuent de travailler pour l’Église pare qu’ils n’ont pas le choix mais ils perdent la foi en elle et ne la fréquente plus dans ses aspects spirituels”.
“Le fossé entre l’Église et le peuple chrétien continue de se creuser. Il faudrait que les institutions viennent rencontrer des gens. Ça ne suffit pas de faire tourner son institution de derrière son bureau. Même entre elles les institutions n’ont pas assez d’échanges. Et il y a une déperdition des forces et des moyens.” “De nos jours, le monde se détourne de la charité pour envisager le développement.” Mais d’après Georges, les institutions chrétiennes dépendent largement de structures basées à l’étranger et tout changement d’orientation pourtant nécessaire est rendu compliqué. “Les Églises pourraient faire encore mieux que ce qu’elles font déjà et pour le bien de tous, juifs, chrétiens et musulmans. Mais c’est à croire qu’elles ont peur pour leur réputation vis-à-vis de leurs donateurs. Encore une fois, il ne s’agit pas de dire qu’elles font mal, mais d’envisager qu’elles puissent faire mieux en allouant différemment leurs ressources.”
Selon lui, la plupart des organisations ne sont pas disposées, pas prêtes, pas désireuses, pas capables d’opérer les changements, pourtant elles pourraient y être amenées contre leur gré. Il note d’ailleurs que certaines rencontrent de telles difficultés financières aujourd’hui qu’elles sont forcées à se repenser complètement et dans leurs priorités, et dans leurs modes de prises de décisions et dans leurs structures. “Hélas, il faut qu’une tempête financière survienne pour prendre de nouvelles orientations. Plutôt que d’agir dans l’urgence, les institutions pourraient planifier les évolutions.”
Selon Georges la demande va aussi venir des donateurs eux-mêmes qui exigent plus de transparence et de vision à court et long terme. De ce point de vue les Églises nord-américaines, les premières dans leur soutien aux Églises en Orient, se font plus exigeantes. “Avoir bon cœur, pratiquer l’Évangile social, être de bonne volonté ne suffit plus”, martèle Georges.

 

Devant la difficulté de la situation politique, Georges Akroush estime que l’Église doit faire entendre sa voix pour dénoncer l’injustice.

 

La politique israélienne en observation

Georges parle avec énergie mais l’on sent chez lui toujours un peu de tristesse voire de lassitude. A-t-il encore de l’espoir pour la communauté chrétienne locale ? “Des chrétiens il y en aura toujours ici, mais non à court terme, pour les 10 ou 15 prochaines années, je n’ai pas d’espoir. Et à la fois, l’espoir fait partie de notre identité palestinienne. La source de nos problèmes actuels, c’est l’occupation israélienne. Elle a 70 ans, mais elle ne durera pas. Israël est aujourd’hui une grande puissance. Leur technologie est partout. Les Israéliens exportent vers Intel, IBM, Google, Facebook, etc. C’est le premier incubateur au monde. Et il y a une bonne Silicon Valley en Israël, équivalente à celle de la Californie. Nous savons que les meilleurs avocats sont les juifs israéliens, les meilleurs médecins et les meilleurs hôpitaux sont les israéliens. Ils ont su construire tout cela parce qu’ils ont fait venir ces compétences ici, et ils n’étaient pas corrompus comme nous. Des juifs de partout qualifiés formés ont construit ici leur propre pays, confiant le développement à des professionnels pas à du copinage politique comme le fait aujourd’hui ma nation. Mais je ne pense pas qu’un système dans le monde puisse se maintenir en occupant plus de 5 millions de Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Gaza. Et pas une seule personne ne peut estimer que cette situation est normale, y compris chez les Israéliens. Certes, il y a dix ans, le camp de la paix israélien était bien plus fort qu’aujourd’hui et plus nombreux, et l’échiquier politique en Israël se droitise. Chaque gouvernement est pire que le précédent. Nous avons donc toutes les bonnes raisons de perdre espoir. Mais comme chrétien palestinien, qui croit en la Résurrection – la Résurrection qui a eu lieu à quelques mètres d’ici – je pense que la Résurrection attend et arrivera certainement au peuple palestinien, car l’équation actuelle n’est pas normale. Soixante-dix ans ce n’est rien dans l’histoire des nations.”
Et d’ici là qu’attend le plus Georges de la part des Églises ? “L’Église devrait suivre les traces de Jésus-Christ en soutenant le peuple opprimé et en faisant preuve de courage pour défier les puissants et le système qui humilie un peuple. L’Église se préoccupe d’argent, nous aspirons à ce qu’elle soit dans son rôle pour prêcher la justice et la paix et nous en faire vivre.”♦


Fiche d’identité
Itinéraire d’un chrétien passionné de développer sa communauté

Par M.-A. Beaulieu

Georges Akroush est né à Jérusalem en 1975. Sa scolarité à l’école des Frères de Bethléem a été financées par une famille française. A l’âge de 15 ans, en 1990, durant la Première Intifada (soulèvement palestinien), il est touché de deux balles une dans la tête l’autre dans le genou, alors qu’il accompagnait pour les protéger des enfants de l’école.
Bien qu’on lui propose d’aller poursuivre ses études en France loin de l’agitation locale, cet aîné de quatre enfants décide de rester auprès des siens et de soutenir la cause de son pays, la Palestine, et de sa communauté chrétienne. Il veut aussi pouvoir aider au plus vite sa famille dont les revenus sont modestes
Il lui fallut pourtant sept années pour achever ses études de Comptabilité d’entreprise à l’Université de Bethléem. Des études interrompues à trois reprises – pour un total de sept mois – par des arrestations pour activisme politique, “non violent” insiste-t-il, contre l’occupation israélienne. Sa troisième arrestation est la plus dure. Il est torturé physiquement et psychologiquement durant
120 jours. Deux de ses codétenus décéderont durant les interrogatoires. Il doit à sa robuste constitution de basketteur de haut niveau d’avoir enduré les plus rudes techniques d’interrogatoire.
Interviewé par le New York Times en 1998, Georges répondait qu’il pardonnerait certainement au capitaine qui avait conduit l’interrogatoire car il obéissait à un système. A Terre Sainte Magazine, il a confirmé qu’il lui avait pardonné “à 100 %”. “Ancré plus profondément dans la foi, dans la spiritualité chrétienne, et en grandissant petit à petit, j’ai pu le faire. Et je suis convaincu en lui pardonnant d’avoir pris la bonne décision.
Il s’appelait Itai.”
Finalement diplômé en 1999 et fort de ses expériences, Georges est embauché dans le Centre pour la résolution du Conflit palestinien (Palestinian Conflict Resolution Center) dans lequel son rôle consistait à promouvoir la paix et la justice en favorisant les contacts avec les Israéliens.
Il poursuit sa vie professionnelle au patriarcat latin pour préparer la visite du pape Jean-Paul II en l’an 2000. C’est dans cette institution qu’il commence à travailler à la collecte de fonds pour les projets du patriarcat. Après cinq années, il rejoint l’équipe de l’unique hôpital ophtalmique du Moyen Orient, l’hôpital protestant Saint-John, où il se consacre au développement et aux relations extérieures.
A 35 ans, il se met à son compte et c’est la custodie qui fait appel à lui pour le développement et la collecte de fonds. En 2019, Georges a décidé de prendre quelques mois de coupure qu’il espère mettre à profit pour apprendre l’hébreu, avant de décider de la suite de sa carrière.
Toutes ces années consacrées à des institutions chrétiennes lui ont permis de mener différentes études sur la sociologie et les besoins de la communauté chrétienne palestinienne, spécialement de Jérusalem et des Territoires palestiniens.♦

Dernière mise à jour: 05/03/2024 14:37

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