Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Quid de la perspective d’une inculpation de Netanyahu ?

Christophe Lafontaine
4 mars 2019
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Quid de la perspective d’une inculpation de Netanyahu ?
Le 28 février 2019, le Premier ministre israélien et chef du parti du Likoud, Benjamin Netanyahu, a fait une déclaration aux médias à la Maison du Premier ministre à Jérusalem ©Yonatan Sindel / Flash90

En Israël, le procureur général a fait part le 28 février de son intention d’inculper le Premier ministre pour corruption, fraude et abus de confiance. Ce qui influencera sans doute les élections législatives du 9 avril.


« Ce n’est clairement pas un jour heureux, mais c’est un jour très important pour une société qui défend l’état de droit », a écrit Avichaï Mandelblit, le procureur général de l’Etat hébreu qui compte inculper le Premier ministre israélien. Il s’adressait, le 28 février dernier, à l’équipe juridique qui a supervisé les enquêtes qui visent Benjamin Netanyahu (69 ans) dans trois affaires. Ce dernier ayant été informé de l’annonce avant l’envoi du courrier.

Chef du parti de droite Likoud, il brigue, après bientôt 13 ans de pouvoir, un cinquième mandat (le quatrième consécutif) à la tête du gouvernement israélien. En décembre dernier déjà, la police israélienne avait recommandé son inculpation.

C’est la première fois dans l’histoire de l’Etat hébreu qu’un Premier ministre en exercice est visé par des procédures pénales.  Et ce serait aussi une première si Benjamin Netanyahu était reconduit à son poste et inculpé ensuite.

Aussi, pour la première fois depuis son retour au pouvoir il y a dix ans, Benjamin Netanyahu est devancé dans plusieurs sondages pour les législatives du 9 avril par un autre candidat :  son ex-chef d’Etat-major Benny Gantz (Hosen L’Yisrael – Résilience pour Israël, tête de liste du nouveau parti centriste Kachol Lavan (Bleu Blanc) créé avec Yaïr Lapid (Yesh Atid – Il y a un futur).

Reste à savoir si à moins d’un mois et demi des votes, les électeurs seront refroidis ou pas à la perspective d’un Premier ministre à « mi-temps » (comme ses détracteurs le surnomment déjà) devant mener de front sa défense devant les juges en parallèle des enjeux sécuritaires, économiques et politiques du pays.

L’enjeu d’une coalition gouvernementale

Autre point à ne pas négliger dans le système institutionnel israélien. La Knesset (le parlement israélien), composée de 120 membres) est élue à la proportionnelle. Beaucoup de petits partis reçoivent ainsi peu de sièges. Ce qui rend difficile la constitution d’une majorité de gouvernement. C’est le chef de l’Etat qui, après avoir consulté les représentants des partis élus à la Knesset, confie à l’un des membres du Parlement – celui qui est le plus en capacité de le faire – la tâche de constituer une coalition gouvernementale entre plusieurs partis qui s’entendent pour collaborer ensemble. La question qui se pose au-delà des sièges qui seront remportés par le Likoud, est de savoir si Benjamin Netanyahu sera en position de former une coalition.

La majorité des partis de droite ont dit après l’annonce de jeudi dernier, maintenir leur soutien à Benjamin Netanyahu qui a par ailleurs pris les devants en ayant signé un accord poussant plusieurs formations très à droite à s’allier en vue des législatives, au risque d’être accusé d’avoir fait entrer une formation d’extrême droite raciste à la Knesset. L’objectif étant de ne pas laisser des voix de droite s’éparpiller sur de petites listes qui, au final ne recueilleraient pas assez de votes pour être représentées au Parlement et donc empêcherait la formation d’une coalition sous la bannière de Benjamin Netanyahu.

C’est d’ailleurs ce que pointe du doigt Benjamin Netanyahu. « La gauche sait parfaitement qu’elle ne peut pas nous battre dans les urnes, alors depuis trois ans elle mène une chasse aux sorcières sans précédent pour renverser le gouvernement de droite que je dirige et installer à sa place le gouvernement gauchiste de Lapid et Gantz », a déclaré jeudi soir lors d’une déclaration télévisée, le Premier ministre israélien. Il a dénoncé un complot de la part de la police, des institutions judiciaires, des médias et de ses adversaires politiques et s’en est pris à ce qu’il appelle la « gauche » et qui, pour lui, comprend aussi la liste centriste de Kachol Lavan. Comptant bien ne pas mettre un terme à sa vie politique : « j’ai l’intention de continuer à vous servir en tant que Premier ministre pendant encore de nombreuses années. »

Benny Gantz, tête de la liste centriste l’a au contraire invité à partir. « Benjamin Netanyahu, je me tourne vers vous ce soir pour vous exhorter à faire preuve de sens des responsabilités nationales et à démissionner », a-t-il dit jeudi soir après l’intervention du Premier ministre. Le parti travailliste (opposition) a également réclamé sa démission.

La stratégie du temps

Si la campagne électorale connaît un tournant majeur, il convient de noter toutefois qu’une inculpation, si elle se concrétisait, ne devrait pas intervenir avant plusieurs mois. Avichaï Mandelblit, a indiqué qu’il souhaitait entendre le Premier ministre (dans les prochains mois, donc après les élections du 9 avril) avant de prendre la décision définitive de le renvoyer devant un tribunal, selon le ministère de la Justice.
Benjamin Netanyahu ne serait donc pas inculpé avant les législatives.

Compte tenu de la procédure, « il faut compter peut-être un an avant que l’inculpation ne se produise effectivement, puis plusieurs années de procès et d’appels », explique Gayil Talshir, professeure de sciences politiques, citée par l’AFP. Benjamin Netanyahou mise précisément sur le temps, dit-elle. Le chef du gouvernement a lui-même avancé la date de ces élections, qui devaient avoir lieu novembre. Mais cela reste tout de même un pari risqué si la pression va grandissant et que les prétendants à sa succession sortent de leur silence. « Le jour où cela se produira, ce sera la fin de l’ère Netanyahu », estime la politologue. La contrainte pourrait aussi venir de la Cour suprême : saisie de plusieurs cas dans le passé, elle a contraint au départ des membres du gouvernement dans des situations similaires. Cependant, elle n’a jamais eu à trancher sur le sort d’un chef de gouvernement.

Trois affaires

Après plus de deux ans d’enquête, le Premier ministre est soupçonné de corruption – dans « l’affaire 4000 » – pour avoir tenté de s’assurer une couverture favorable de la part de Walla, le site d’informations du principal groupe de télécommunications israélien, Bezeq télécommunications, en contrepartie de facilités réglementaires gouvernementales qui pourraient avoir rapporté des centaines de millions de dollars à Bezeq qui a fusionné avec le fournisseur de télévision par satellite Yes, opération effectuée en 2015. C’est le dossier le plus grave pour Netanyahu.

Avichaï Mandelblit entend par ailleurs inculper Benjamin Netanyahu pour fraude et abus de confiance dans deux autres dossiers : « l’affaire 1000 » et « l’affaire 2000 ». Dans la première, il est reproché à Benjamin Netanyahu d’avoir accepté des cadeaux (pour un million de shekels, soit 235 000 euros) de la part de riches hommes d’affaires et personnalités en retour de faveurs financières, personnelles voire politiques. Dans la seconde, c’est un accord entre le Premier ministre et Arnon Mozes, directeur de la publication du journal Yedioth Ahronoth (Ynet) (le plus grand quotidien israélien payant) qui est en cause. Benjamin Netanyahu aurait obtenu une couverture lui étant favorable par ladite publication. En échange le Premier ministre aurait évoqué avec Arnon Moses la possibilité de faire voter une loi qui aurait limité la diffusion d’Israel Hayom, quotidien gratuit, principal concurrent du Yediot Ahronoth.

 

Sur le même sujet