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100 ans de Terre Sainte Magazine : l’aventure continue

Propos recueillis par Christophe Lafontaine
24 mars 2021
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Un centenaire ça se fête ! L’anniversaire de Terre Sainte Magazine (TSM) permet de se réjouir, de regarder le travail du passé et, surtout, de réfléchir au futur. Entretien avec Marie-Armelle Beaulieu, rédactrice-en-chef, sur les projets de numérisation et les défis financiers de cette revue qui porte en elle, depuis le commencement, le désir de faire découvrir le « cinquième évangile ».


Quels sentiments vous habitent à l’heure de fêter le centenaire de Terre Sainte Magazine ?

D’abord, la joie parce que ce n’est pas tous les jours qu’une revue française peut célébrer 100 ans d’existence. Ensuite l’émerveillement. Celui de la découverte de ce trésor. Il y a 100 ans la revue La Terre Sainte avait la même ambition qu’aujourd’hui : « aimer la Terre Sainte et la faire aimer ». Mais au fil des ans on a porté un regard différent sur ce pays, eu des façons différentes de l’aimer, plusieurs manières de le faire aimer. Surtout, le pays a changé. Et c’est ça que l’on remarque quand on relit les numéros des 100 années passées. Enfin, une certaine responsabilité m’incombe : il faut tenir car 100 ans n’est pas une fin en soi. Actuellement, c’est moi qui suis à la barre mais un jour il faudra léguer à d’autres la continuité de ce magazine.

Un mot pour résumer le fil conducteur de ces 100 ans ?

« Cinquième évangile ». Je pense que depuis le début la revue a désiré faire découvrir combien cette terre n’est pas seulement celle où le Christ a pris chair mais où il continue de prendre chair. La Terre Sainte actuelle est toujours un cinquième évangile. Il n’y a pas que les Lieux saints, il y aussi la vie des hommes. J’ai l’intime conviction que la Terre sainte a une responsabilité devant le monde et pour lui. Ce que ses peuples vivent aujourd’hui est un signe pour l’humanité aujourd’hui.

Qu’est-ce qui fait la réputation de TSM depuis sa naissance ?

Quand on consacre un dossier au sujet des saints représentés sur les colonnes de la basilique de la Nativité à Bethléem au XIIe siècle, on ne le trouve nulle part ailleurs. A moins que TSM ne donne envie à d’autres de s’en charger dans un second temps. Les infos lues dans TSM sont de première main. Aucun autre journal ne les traite de manière aussi régulière et avec un tel souci d’exactitude.

Un travail salué par la France…

Oui, c’est important de le dire. Aujourd’hui encore TSM est lu par les équipes du Consulat général de France à Jérusalem. Le contenu fait parfois l’objet de notes envoyées au Quai d’Orsay à Paris. C’est pour ça que le magazine est connu et notre travail reconnu. Mais aussi par des chercheurs et pas seulement français. Le contenu de la revue d’hier et d’aujourd’hui me fait entrer comme rédactrice en chef avec des chercheurs de toute l’Europe, de Russie, comme avec des Israéliens.

Le lectorat a-t-il changé en 100 ans ?

Il y a deux constantes : pour l’essentiel, les lecteurs sont des pèlerins, anciens et futurs. Le lectorat compte aussi des personnes qui fondamentalement s’intéressent au Proche-Orient et au Proche-Orient chrétien.

Comment TSM va-t-elle marquer dans ses colonnes cet anniversaire ?

Par ce numéro exceptionnel de 100 pages. Et aussi tout au long de l’année 2021, nous reviendrons plus souvent sur des moments des années passées, notamment à l’aide de cette rubrique, à l’origine nommée Chroniques de Palestine, qui est un peu l’équivalent de l’EX Presse d’aujourd’hui. Elle rassemble des petites nouvelles qui n’ont l’air de rien et qui se trouvent être pour les historiens, 100 ans, 50 ans après, pleines de détails extrêmement précieux, à l’humour parfois très pince-sans-rire.

Des manifestations autour de la revue sont-elles prévues ?

Un colloque se tiendra théoriquement – la pandémie nous contraint à la prudence – à Paris au Collège des Bernardins, le samedi 20 novembre 2021. La matinée sera animée par des historiens. Ils traiteront respectivement du contexte général de la Terre Sainte dans les années 20, du désir des franciscains de faire naître la revue, des rapports d’alors entre la France et la Palestine. La matinée se terminera sur les ancêtres du journal. Il y a eu en effet deux revues La Terre Sainte avant celle des franciscains.

L’après-midi sera d’abord consacrée au lien entre la France, notamment les franciscains de France, et TSM. Il y aura aussi une communication sur le lien entre les pèlerins et les pèlerinages avec la revue tout au long du siècle passé, et un autre moment sera dédié à la question israélo-palestinienne traitée dans TSM sur cette même période. Enfin, j’interviendrai pour expliquer ce que signifie être rédactrice-en-chef laïque d’une revue franciscaine au XXIe siècle.

Parlons d’avenir. Quels sont vos projets pour le journal ?

En regardant le passé et à la demande d’un certain nombre de chercheurs que j’ai l’occasion de rencontrer à Jérusalem, je suis convaincue qu’il faut pouvoir numériser les 100 ans de la revue. Un partenariat avec l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib) à Lyon, nous permettra dans quelques mois de disposer d’une étude menée par un groupe d’étudiants. Son objet est de nous aider à discerner, comment, avec quel partenaire et pour quel coût numériser la revue. C’est un partenariat très précieux car ce sont des spécialistes qui vont préconiser des solutions et ils seront plus inventifs que notre petite équipe aurait pu l’être.

Concrètement, qu’offrira la numérisation de TSM ?

Cela suppose qu’on pourra lire en ligne les anciens numéros et faire des recherches avec la reconnaissance optique de caractères. Parallèlement Claire Burkel, collaboratrice du magazine, incrémente avec des mots-clés une base de données qui reprend tous les sommaires du magazine depuis 1921. On savait par exemple qu’un article s’intitulait « Cana », la page et le numéro dans lequel il était publié. Mais on ignorait de quoi il traitait. S’agissait-il d’archéologie, était-ce une envolée spirituelle sur l’évangile de Cana, ou un reportage sur la paroisse du même lieu ? Grâce aux mots-clés on saura de quoi il est question à chaque fois que l’on fait une recherche sur le mot Cana. Le jour où l’ensemble de la revue sera numérisé, quiconque aura accès à la base de données en ligne, pourra cliquer sur un hyperlien qui le renverra directement au bon article sur Gallica.

Le but est vraiment de rendre très pratique l’accès au patrimoine de la revue à tous les passionnés de la Terre Sainte et aux chercheurs. L’accès devrait être gratuit sauf pour les numéros les plus récents qui sont accessible à la vente au format papier et pdf.

Outre ces projets, quels défis la revue devra relever ces prochaines années ?

La question du financement de la revue et de sa capacité à vivre de ses propres ailes par le seul fait des abonnements va se poser de manière encore plus essentielle alors que l’Église de Terre Sainte connaît un krach financier depuis l’arrêt des pèlerinages en mars dernier. Les finances de toutes les institutions chrétiennes y sont très liées. Ça ne fait pas exception pour la Custodie franciscaine. Il va y avoir un cap difficile à passer. On espère que les lecteurs actuels vont se réabonner mais il va falloir aller à la rencontre d’abonnés potentiels avec de nouveaux moyens. On compte déjà sur la visibilité donnée par le centenaire grâce à un dossier de presse et au colloque aux Bernardins.

L’autre défi concerne l’avenir du papier. Beaucoup de lecteurs nous disent vouloir prendre le temps de goûter la revue. Ce qui laisse présager que le papier a encore quelques jours devant lui. Ce n’est probablement pas moi qui aurai à faire la bascule du papier au numérique. Sans pour autant abandonner le papier. Mais c’est une question à laquelle il faut penser dès maintenant. De fait, il va falloir travailler à un plus grand va-et-vient entre le papier et le site internet, terresainte.net.

Pour conclure, en chiffres, TSM ça donne quoi ?

Quand je suis arrivée en 2008 à la rédaction-en-chef, moins de 500 personnes payaient un abonnement. Avec un tirage à 10 000 exemplaires par mois. Aujourd’hui on tire à 5 500 (voire 6 000) numéros et on a actuellement 3 300 abonnements payants. Clairement il nous en faut le double pour arriver à l’équilibre. Pour autant, on a fait le choix d’offrir TSM pour des personnes qui n’ont pas ou plus les moyens de s’abonner. Nous ne pouvons interdire à quiconque la Terre Sainte. Ce n’est pas un business. C’est ce fameux « cinquième évangile ».

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