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A-t-on comblé le trou de l’histoire de l’alphabet ?

Christophe Lafontaine
16 avril 2021
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A-t-on comblé le trou de l’histoire de l’alphabet ?
Vue générale du site cananéen de Tel Lakish © Wilson44691 / Wikimedia Commons


Un texte de 3 450 ans, découvert sur le site cananéen de Tel Lakish en Israël, pourrait expliquer que l’alphabet n’aurait pas été introduit au Levant sous domination égyptienne. Mais avant, au XVe siècle avant J.-C.


Il n’est probablement pas le maillon faible. Au contraire, il serait le chaînon manquant permettant de mieux comprendre la transmission de l’écriture alphabétique. Un minuscule tesson de poterie portant une inscription écrite à l’encre noire, a de fait été retrouvé en 2018, par des archéologues autrichiens sur le site de Tel Lakish dans le centre-sud d’Israël. Tel Lakish est l’un des sites du Levant méridional les plus importants de l’âge du bronze – dit « période cananéenne » – et du fer. Région couvrant approximativement Israël, les Territoires palestiniens, la Jordanie d’aujourd’hui. Certaines définitions englobent également le sud du Liban, le sud de la Syrie et / ou la péninsule du Sinaï.

L’artéfact en argile qui a été retrouvé il y a trois ans, a fait l’objet d’une toute récente publication – le 15 avril – parue sur le site du l’université de Cambridge pour le compte d’Antiquity Publications Ltd. Les chercheurs estiment que le tesson de poterie date d’environ 1 450 avant J.-C., au début de l’âge du bronze tardif. Leur conclusion est sans appel : l’inscription qui s’y lit est « actuellement le plus ancien exemple daté de manière sûre d’écriture alphabétique précoce dans le Levant méridional. »

Inscription alphabétique précoce trouvée sur un tesson de poterie à Lakish © Antiquity Publications Ltd//J J. Dye, Académie autrichienne des sciences

Un vide de 600 ans

L’inscription alphabétique qui vient d’être analysée a été découverte dans un contexte archéologique clairement datable, expliquent les chercheurs. Ils ont, d’une part, trouvé des graines d’orge à côté de l’artéfact et la datation au radiocarbone a indiqué que l’orge était cultivée vers 1 450 av. J.-C. De plus, le tesson a été découvert dans un grand bâtiment qui faisait partie des fortifications de l’âge du bronze tardif de Lakish et non des vestiges de la ville datant de l’âge de fer, à l’époque de sa reconstruction par les Israélites.

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Le morceau de poterie qui a été analysé viendrait d’un bol importé de Chypre. Rien de très étonnant, car à l’époque, Tel Lakish, ville fortifiée, était un centre cananéen important. Située à mi-chemin entre Jérusalem et Beer-Sheva, la ville était un carrefour pour les marchandises de toute la Méditerranée orientale. Lakish est d’ailleurs mentionnée dans plusieurs sources égyptiennes dont le « Papyrus de l’Hermitage 1116A » datant de l’époque d’Amenhotep II (vers 1427-1401 av. J.-C.) et les lettres d’Amarna, la correspondance cunéiforme entre les grandes puissances à l’époque d’Akhenaton, qui régna de 1369 à 1353 av. J.-C., trouvées à Tell el-Amarna en Egypte.

Mais en quoi le tesson de poterie de Lakish, ne mesurant que 4 centimètres sur 3,5 centimètres, serait-il un chaînon crucial pour comprendre l’histoire de l’alphabet ? Pour cela, rappellent les chercheurs, il faut se remémorer que les premières preuves d’écriture qui utilisent un système de lettres pour représenter les sons, et qui ont été retrouvées dans la péninsule du Sinaï et dans la vallée du Nil, remontent au XIXe siècle avant J.-C. Il y a donc environ 3 900 ans. Il est par ailleurs communément convenu que les symboles alphabétiques, qui se transformeront en alphabet phénicien par la suite, réapparaissent dans le sud du Levant seulement vers le XIIIe siècle, ce qui renvoie à environ 3 300 ans.

Mais entre les deux périodes, il y a 6 00 ans d’écart. L’inscription de Lakish, remontant à 3 450 ans, est donc désignée comme le « chaînon manquant » daté « de manière sûre », par les chercheurs. Disqualifiant de ce fait d’éventuelles autres traces archéologiques moins certaines.

Le fruit d’une interaction et non d’une domination

Ces derniers soutiennent ainsi que « l’écriture alphabétique primitive s’est étendue au Levant méridional à la fin de l’âge du bronze moyen et était utilisée au moins au milieu du XVe siècle av. J.-C. à Tel Lakish ». Ajoutant que la propagation s’est probablement produite lorsque la dynastie des Hyksos régna dans le nord de l’Egypte et au Levant plus de 100 ans, jusqu’en 1 550 av. J.-C. Les Hyksos étaient une population d’Asie occidentale, descendant d’immigrants de longue date du Levant. Ce qui peut laisser sous-entendre que leurs relations avec le Levant étaient favorables à la diffusion du système d’écriture alphabétique. Il n’y a de fait pas de traces d’occupation violente à cette époque.

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Selon les chercheurs, cela prouve que l’alphabet primitif ne s’est donc pas développé dans un rapport de force. Contrairement à ce qui était admis jusque-là. De nombreux experts pensaient en effet que l’alphabet primitif n’avait été introduit à Canaan qu’aux XIVe ou XIIIe siècles avant J.-C., à une époque où l’Egypte contrôlait directement le Levant. A cette époque, les Egyptiens ont en effet imposé leur système administratif et leur propre écriture. Mais l’artéfact de Lakish, qui a au moins un siècle de plus, montre que l’écriture alphabétique était déjà présente au Levant bien avant la conquête et la domination égyptienne dans la région !

Suggestions de déchiffrage

Composée d’une poignée de caractères répartis en diagonale sur deux lignes, l’inscription de Lakish est difficile à décrypter. Le texte est trop court et incomplet.  Les chercheurs ont déclaré qu’une lecture de droite à gauche, pourrait permettre de lire les trois premières lettres ainsi « ‘bd ».  Ce qui s’épèlerait comme « ebed », pouvant signifier « esclave » ou « serviteur ». Les noms avec cette composante sont très courants dans toutes les langues sémitiques, généralement avec un élément théophorique.

La deuxième ligne de l’artéfact pourrait se prononcer « nophet », qui signifie nectar ou miel en hébreu. S’il est lu de gauche à droite, ce terme pourrait être un verbe de la racine « tourner », ou une partie d’un nom inconnu.

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