Hippos-Sussita, la ville païenne qui va ravir les pèlerins
Fouler les premières dalles en basalte du Decumanus Maximus, la voie principale d’Hippos-Sussita, c’est être happé par la sensation vertigineuse de marcher sur l’Histoire. Droit devant, vue plongeante sur le lac de Tibériade. De part et d’autre, les ruines d’une ville qui s’est effondrée sous les accoups d’un tremblement de terre en 749 de notre ère. Traces de cette violence, les colonnes de la cathédrale d’Hippos gisent dans un émouvant alignement figé par le temps, témoins de la grandeur passée de la cité.
Hippos (aussi appelée Antioche de la Décapole, ou Sussita en hébreu), devient le siège d’un évêché dès 359 ap. J.-C. Soit 25 ans seulement après la christianisation de l’Empire Romain. Des fouilles menées depuis 2000 par le “Zinman Institute of Archaeology” de l’Université d’Haïfa dans l’espoir de trouver une synagogue, ont permis de mettre au jour pas moins de cinq églises sur les sept potentiellement construites au cœur d’une ville aux dimensions intimes.
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Du haut de son mont, la cité domine la rive orientale du lac de Tibériade et offre une vue époustouflante sur la région où Jésus s’est installé pour son ministère public. Autant d’éléments qui font dire à l’actuel directeur des fouilles, Michael Eisenberg, que Hippos a été une “ville chrétienne majeure” et un “lieu de pèlerinage central pour les premiers chrétiens” durant la période byzantine : “C’est la seule grande ville aux abords du lac. Les autres ne sont que des villages”, expose l’archéologue.
Son équipe de bénévoles bourdonne autour de lui, s’activant dans la poussière des ruines de la cathédrale. Il est tôt, mais le soleil brûlant de juillet fatigue les troupes qui arrêtent leurs fouilles, le temps d’une collation, à l’ombre de l’arbre qui a poussé au milieu des décombres. La campagne de cette année 2021 se concentre sur la cathédrale. Les archéologues espèrent y découvrir les restes d’un sol plus ancien, qui prouverait que le bâtiment a été construit avant 359.
Hippos n’est pas dans la Bible
L’édification de cette cathédrale assez tôt dans l’histoire du christianisme, et l’importance que Hippos prend pour les premiers chrétiens, interrogent. Alors que de nombreuses villes autour du lac de Galilée sont associées au ministère du Christ, jamais il n’est fait mention de Hippos dans les textes bibliques. Michael Eisenberg défend pourtant son importance. Et ses probables liens avec certains épisodes bibliques.
Au temps de Jésus, Hippos est une cité florissante. Elle fait partie de la Décapole, cette ligue d’une dizaine de villes situées à l’est du Jourdain à qui Rome a octroyé une certaine liberté administrative pour développer la culture romaine dans une région majoritairement juive et éloignée de l’empire. Comme l’attestent les fouilles réalisées ces 20 dernières années, elle est dotée de tous les incontournables de la cité gréco-romaine : bains publics, basilique, forum, nécropole, odéon, sanctuaire dédié au dieu Pan… Hippos est donc profondément “païenne” selon le terme employé dans les Évangiles.
CONTINUITÉ
Hippos en 20 ans de fouilles
– Les cinq églises, dont une cathédrale dotée d’un baptistère, traces du passé chrétien de la ville, siège d’un évêché depuis au moins 359 ap. J.-C.
– La ville gréco-romaine avec son forum, sa basilique,
ses termes, son odéon, et même son pressoir
– Les restes d’un sanctuaire probablement dédié à Dionysos,
le dieu du vin et des Beaux-arts : théâtre, bains,
portes ornementales, masque de faune…
– Les canalisations du savant système d’approvisionnement
en eau de la ville
– Les trois cimetières, dont le plus prestigieux était la “nécropole du col”. Ses restes sont visibles sur la droite, quand on monte du parking vers le site.
Or ceux-ci relatent qu’au cours de son ministère autour du lac de Tibériade, le Christ se rend à plusieurs reprises sur ses rives orientales, en terres païennes justement, pour y prêcher en public. Mais s’est-il arrêté à Hippos ? “Si rien ne le prouve à ce jour, on ne peut pas exclure que Jésus y soit passé”, estime Dominique-Marie Cabaret, dominicain chercheur à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem qui souligne l’importance de la ville à l’époque.
Pour Michael Eisenberg, cela ne fait aucun doute : “Jésus aurait pu marcher dans la rue principale”. L’archéologue conjecture même que deux épisodes décrits dans le Nouveau Testament pourraient y être liés. Le premier est le miracle des cochons (Mt 8, 28-34 ; Mc 5, 1-20 ; Lc 8, 26-39) traditionnellement associé aux villes de Kursi ou Gadara. Une alternative qu’il justifie par “la présence des grottes funéraires mentionnées dans le récit, celle de la pente escarpée, et la proximité avec le lac de Tibériade”, où se jettent les porcs dans lesquels Jésus a transféré le démon exorcisé du corps d’un homme tourmenté. Le deuxième fait référence à une partie du “Sermon sur la montagne” prononcé par Jésus au nord-ouest du lac de Galilée. Il y déclame cette fameuse phrase Vous êtes la lumière du monde. Une ville au sommet d’un mont n’échappe pas aux regards. (Mt 5, 14). “Cette ville dont il est fait mention est très certainement Hippos, affirme l’archéologue. C’est la ville située suffisamment en hauteur pour être vue depuis la région du sermon.”
Boussole religieuse
Des hypothèses, qui, si elles ont le mérite de rafraîchir un débat biblico-archéologique enlisé, peinent encore à convaincre le monde universitaire. Nombreuses sont les villes mentionnées dans la Bible qui n’ont pas été retrouvées. C’est le cas du site de la seconde multiplication des pains, dont on sait qu’il a eu lieu sur les abords orientaux de la mer de Galilée (Mc 8, 1-21). La première étant associée au site de Tabgha, au nord-ouest du lac. Alors quand une mosaïque aux motifs un peu naïfs d’oiseaux, de pains et de poissons est mise au jour dans “l’église brûlée” d’Hippos en 2019, la question est immédiate : y vénérait-on le lieu de la seconde multiplication ?
Rien n’est moins sûr. Prudent, Michael Eisenberg préfère y voir un symbole plutôt qu’une preuve : “Les motifs représentés et la position de l’église, en surplomb du lac de Tibériade où presque tous les miracles ont eu lieu, laissent penser que Hippos faisait office de boussole religieuse pour les premiers chrétiens. Ils y avaient une vue d’ensemble sur les autres sites et pouvaient y commémorer les différents miracles finalement survenus dans une zone géographique restreinte.”
Un lieu pour commémorer donc. Pour se souvenir. Le directeur des fouilles en est persuadé : d’ici deux ans, le site retrouvera cette fonction pour les pèlerins. Le délai de temps nécessaire à la poursuite des fouilles (à ce jour on n’a creusé que 10 % du terrain), et à l’aménagement du site. Pour l’instant, une seule route à sens unique permet d’y accéder en voiture. Deux bâtiments, construits par l’armée israélienne lorsqu’elle a occupé les lieux dans les années 1950, serviront à accueillir les futurs visiteurs. Les fondations d’un parking ont été posées, mais il reste de nombreuses étapes pour rendre le site accessible.
Et tout l’univers des pèlerinages à attirer. “On le sait, les pèlerinages en Terre Sainte ont un planning tellement dense que dix jours ne suffisent pas à visiter les lieux saints principaux, regrette le frère Dominique-Marie. C’est toujours problématique quand un nouveau lieu ouvre ses portes : le guide du groupe doit faire un choix. Il pourrait être, à l’avenir, celui de la qualité sur l’exhaustivité”. À bon entendeur…
DU CÔTÉ DE L’EBAF
“Un site pertinent pour les pèlerins chrétiens”
Fr Dominique-Marie Cabaret, archéologue à l’Ébaf : “Hippos a le potentiel pour être le plus beau site de Galilée s’il est bien aménagé. Son magnifique panorama sur le lac de Tibériade est pertinent au niveau historique pour les touristes ou les pèlerins qui s’y rendront.
Il permet de faire comprendre ce qui se déroule à l’époque de Jésus : des territoires juifs séparés des territoires gréco-romains par une étendue d’eau et que Jésus parcourt de part en part. Il permet aussi de saisir que ce pays, à un moment dans l’Histoire, a été profondément chrétien.”
Dernière mise à jour: 23/05/2024 12:47