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Shireen Abou Akleh, nouvelle icône palestinienne

Marie-Armelle Beaulieu
22 juin 2022
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Shireen Abou Akleh, nouvelle icône palestinienne
Fresque peinte à Gaza. A côté de la mosquée Al Aqsa qui symbolise tout autant la Palestine, Jérusalem que la présence musulmane, le Saint-Sépulcre pour la foi de Shireen mais aussi l’unité palestinienne ©Abed Rahim Khatib/Flash90

Fresques murales, pancartes de rue, bourses d’étude, prix de journalisme… le nom et la figure de Shireen Abou Akleh continue de se répandre partout en Palestine, dans les milieux palestiniens en Israël, comme à l’étranger.


Courant juin, près de la moitié des sénateurs démocrates américains a demandé une « implication directe » de l’administration Biden dans l’enquête sur la mort de la journaliste américano-palestinienne. Car depuis sa mort le 11 mai 2022, alors qu’elle couvrait une incursion militaire israélienne dans un camp de réfugiés de Jénine, aucune enquête n’a été en mesure de faire la vérité sur la provenance de la balle qui a tué la journaliste d’Al Jazeera. 

Un élément majeur manque : l’analyse balistique. La balle est en possession des Palestiniens mais qui a le fusil ? Des journalistes et des ONG ont enquêté de leurs côtés et tous concordent à attribuer la responsabilité de la mort de la journaliste à Israël. Balistique ou pas.

Le franciscain Ibrahim Faltas, ami de Shireen, raconte qui était la journaliste : « Toute une génération a grandi en écoutant, grâce à ses reportages, les histoires de ceux qui revendiquent le droit de vivre sur leur propre terre, le droit d’avoir une maison, le droit de vivre en liberté. Shireen nous a également parlé du beau visage de la Palestine, de la beauté de la terre et de ses lieux saints, des succès des jeunes Palestiniens dans la recherche, l’art, la musique – une façon d’encourager les jeunes à ne pas abandonner, mais à continuer à vivre ici malgré les difficultés, en construisant un chemin de dialogue. »

Hommage national

Le 11 mai, sa mort – dont la nouvelle se répandit aussitôt – bouleversa les Palestiniens. Elle était le visage, la voix, la générosité, l’opiniâtreté de leur cause. De Jénine, au nord de la Cisjordanie, son corps fut transporté à Ramallah où lui fut rendu un hommage national au palais présidentiel.

Ses funérailles se sont tenues le 13 mai à Jérusalem. C’est alors qu’elle est devenue une icône. Lors de la levée du corps à l’hôpital Saint-Joseph, son cercueil fut porté à bout de bras de la chambre froide à l’entrée de l’hôpital, vers le fourgon, au milieu d’une foule brandissant des dizaines de drapeaux palestiniens.

Les plus téméraires rêvaient de porter ainsi le cercueil jusqu’en vieille ville. La famille leur avait concédé de traverser la cour de l’hôpital et entendait bien que les 2,5 kilomètres jusqu’à l’église grecque-catholique de la porte de Jaffa se fassent en voiture. C’était sans compter que le drapeau palestinien déclenche chez les policiers et soldats israéliens une répression systématique.

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Les couleurs rouge, noir, blanche et verte sont tenues pour une odieuse résistance à l’hégémonie, qui se veut sans partage, du bleu et blanc israélien quand bien même la cour suprême de l’Etat hébreu a affirmé après les accords d’Oslo que : « Brandir un drapeau palestinien fait partie du droit constitutionnel de la liberté d’expression qui ne peut être restreint que lorsqu’il y a une quasi-certitude d’une violation grave et sérieuse de l’ordre public. »

Nouvelles forces

L’officier israélien en poste à l’entrée de l’hôpital avait reçu la consigne : « Aucun drapeau [palestinien] ne doit être visible dans les rues de Jérusalem ». Aussi quand les grilles de la cour s’ouvrirent, les soldats chargèrent, une, deux puis trois fois, matraquant avec une violence inouïe les porteurs du cercueil. Le premier à droite tomba, le premier à gauche, subissant les coups les plus violents et n’en pouvant plus, se retira. Le cercueil manqua de tomber. Toute la Palestine assistait stupéfaite à la scène télévisée.

La violence israélienne, les Palestiniens l’expérimentent chaque jour mais sur les porteurs d’un cercueil ? Du cercueil de Shireen ? « Israël a montré son vrai visage, celui de la haine sans borne. » Khaled était atterré et ravi qui ajoute « Le monde va peut-être enfin comprendre ».

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Pour Youssef, il y aura un avant et un après Shireen : « Derrière elle se sont unis tous les Palestiniens comme jamais ». Sani lui, en voyant les milliers de personnes portant le cercueil de l’église au cimetière et une marée de drapeaux palestiniens, sans que la police israélienne submergée ne puisse intervenir, estime que Shireen a « libéré – ne serait-ce que quelques heures – Jérusalem de l’occupation » ouvrant le champ à tous les possibles.

Dans leur abattement, les Palestiniens ont trouvé de nouvelles forces. La voix de Shireen Abou Akleh s’est tue mais partout ils continuent d’écrire son nom comme d’autres écrivent Liberté.

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