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La piscine de Siloé fait faux bond aux archéologues

Marie-Armelle Beaulieu
30 septembre 2023
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Les bulldozers n’ont pas trouvé de revêtement de fond, ni le reste des marches, ni le mur d’enceinte à l’endroit supposé de la piscine de Siloé ©MAB/CTS

En décembre 2022, trois institutions israéliennes annonçaient de concert que des fouilles allaient être conduites dans l’ensemble du bassin biblique de Siloé. La décision fit polémique. Elle fait finalement un flop retentissant: contre toute attente, les archéologues n’ont pas trouvé la piscine.


« Pour la première fois dans l’histoire moderne, les fouilles de l’Autorité des Antiquités d’Israël permettront l’exposition complète de la piscine de Siloé, dans le cadre d’une fouille archéologique officielle. Dans un premier temps, les visiteurs pourront observer les fouilles archéologiques et, dans les mois à venir, la piscine de Siloé sera ouverte aux touristes, dans le cadre d’un itinéraire qui commencera à l’extrémité sud de la Cité de David et se terminera au pied du Mur occidental.”

Sur le site du ministère des Affaires étrangères, le communiqué, publié en date du 27 décembre 2022, est toujours accessible avec son introduction grandiloquente : “En raison de son importance considérable, la piscine de Siloé, l’un des sites les plus importants de Jérusalem, est depuis plus de 150 ans un centre d’intérêt pour les archéologues et les érudits du monde entier.”

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Du point de vue chrétien, il est exact que le site de la piscine de Siloé est important puisqu’il est mentionné par Jésus lui-même dans l’Évangile de Jean à l’occasion de la guérison de l’aveugle né : “Va te laver à la piscine de Siloé – ce qui veut dire ‘envoyé’. L’aveugle s’en alla donc, il se lava et revint en voyant clair” Jn 9, 7.

La preuve par l’archéologie ?

Les archéologues et pèlerins chrétiens du XIXe siècle le cherchèrent et crurent l’avoir trouvé en désignant la piscine du Sultan. Celle-ci se trouve plus haut sur le trajet de la vallée de la Géhenne, sur le flanc nord du mont Sion, quand la route qui vient de la porte de Jaffa bifurque vers Bethléem et Hébron.

À droite, les marches dégagées par Ronny Reich dans le périmètre nord de la piscine en 2005. À gauche, le terrain de l’Église orthodoxe sous lequel on imaginait en toute logique la continuation du bassin ©Koby Harati/Archives de la Cité de David

Très vite, ils rectifièrent pour le bassin du village de Silwan, Siloé en arabe. On désigna alors Birket al-Hamra, comme l’appelaient les Palestiniens, un tout petit bassin à la sortie du tunnel d’Ezéchias. Bien que le lieu fût moins impressionnant que la piscine du sultan, la toponymie et l’histoire biblique plaidaient en sa faveur : “Le reste des actions d’Ezéchias, et toute sa bravoure, comment il fit creuser le réservoir et le canal, et fit venir ainsi l’eau dans la ville, cela n’est-il pas écrit dans le livre des Annales des rois de Juda ?” 2 Roi, 20, 20.

En 2005, après plus de 100 ans de vénération du lieu, un archéologue israélien, Ronny Reich, fit sensation. Dans le cadre des fouilles menées à l’occasion de travaux d’infrastructure réalisés par la compagnie des eaux, il mit à jour un escalier. Trois séries de cinq marches, séparées par des plateformes. Il conclut de sa découverte qu’il était devant un bassin trapézoïdal de 60x50m, construit vers le Ier siècle av. J.-C. Les fouilles s’arrêtèrent à cette hypothèse. Le reste du bassin étant enfoui dans un terrain propriété de l’Église grecque-orthodoxe. Mais ces éléments étaient suffisamment cohérents avec leur environnement archéologique et le système de canalisation déjà mis à jour dans le cadre des fouilles conduites sur l’Ophel, sur lequel se développe depuis 30 ans le parc National dit de la Cité de David. Reich avait trouvé la “vraie” piscine de Siloé. Et personne n’en doutait. Pas même les plus ardents opposants aux récents développements.

Au printemps 2023, les bulldozers sont entrés en action dans la propriété des grecs-orthodoxes dont Ateret Cohanim, une organisation ultra-sioniste prétend avoir fait l’acquisition dans le cadre d’une transaction dont l’Église dénonce la validité. L’organisation Elad, à qui le gouvernement israélien a confié le développement de la cité de David et Ateret Cohanim nourrissent un projet commun, faire revivre Jérusalem comme capitale du Royaume de Juda, et reconstruire en son sein son joyau : le Temple de Jérusalem.
En attendant d’investir le Mont Moriah et de détruire les mosquées qui se trouvent aujourd’hui sur son esplanade pour y construire le troisième Temple, ils se concentrent sur l’Ophel et depuis 2005, sur le lien entre la piscine de Siloé, près de la source de Gihon, et le Temple.
Pour eux – et ils ont probablement raison – un bassin de cette taille est celui des ablutions des pèlerins juifs qui montaient par milliers au Temple pour les fêtes de pèlerinage. Ils en concluent que logiquement, de là, il y avait un chemin qui permettait de monter vers la ville. En 2014, ils trouvent une portion de rue enterrée sous les constructions du village moderne de Siloé. Ils travaillent depuis à la dégager en construisant un tunnel qui ira du bassin au Mont du Temple.
C’est d’autant plus important d’établir le lien, de lui donner une réalité qu’en réalité les fouilles de l’Ophel n’ont rien donné de très extraordinaire. Certes on a trouvé des remparts mais les explications ont beau parler du palais du roi David, rien n’a été trouvé de très probant. Il n’est pas question de nier qu’il y ait pu y avoir une présence juive en son temps sur l’Ophel, mais le moins que l’on puisse dire c’est que la cité de David n’en impose pas, ni les artéfacts qui ont été trouvés.
Au moins, avec le chemin – que l’on pourra parcourir dans un tunnel – et la piscine, on touche à quelque chose d’indubitable. Dans leur enthousiasme et ferveur religieuse, en même temps qu’ils annonçaient commencer les travaux, les archéologues d’Elad laissaient entendre qu’une fois dégagée, la piscine pourrait être restaurée et remise en eau. Toute la communication laissait les juifs qui les suivent rêver de ce que l’on pourrait bientôt faire des ablutions de purification dans la piscine de Siloé avant de monter au plus près de la Shekinah, la présence de Dieu, qui, Temple ou pas, réside toujours sur l’esplanade. Eux s’en défendaient officiellement pour des raisons de pudeur. L’ablution nécessitant et la séparation des sexes et la nudité.
La raison pour laquelle les fouilles ont commencé au bulldozer, c’est qu’il y avait un verger à détruire. Une tranchée avait déjà permis aux archéologues d’estimer la profondeur à creuser avant de causer des dommages. Sous l’œil attentif des archéologues, les bulldozers pouvaient avancer, on savait à quel niveau il conviendrait de passer à des méthodes moins invasives.
Sauf que le fond de la piscine s’est dérobé, comme la continuité des marches sur les côtés. Tout s’arrête tout d’un coup après quelques mètres. À la surprise générale, les archéologues n’ont rien trouvé. Cet été encore, sous une chaleur accablante, ils ont aménagé un chantier de fouilles avec des digues et des insulés, pour soulever systématiquement la terre au plus près des marches. Ailleurs dans le terrain, les bulldozers sont encore à l’œuvre sans davantage de succès.
Ils n’ont tellement rien trouvé, ni vestiges ni signe de destruction par la nature ou la main de l’homme que, fin août 2023, l’archéologue en charge des fouilles a confié aux bénévoles qui travaillent avec lui qu’il n’y a pas de bassin comme on s’attendait à le trouver pour la bonne raison qu’il n’aurait jamais été construit. Parce que c’était proprement impossible qu’il ait disparu sans laisser de trace. Seul l’escalier trouvé par Ronny Reich en 2005 aurait desservi un point d’eau près duquel des marches auraient été aménagées pour faciliter leurs ablutions aux pèlerins, comme on voit des marches descendre vers le Gange.

Tout ça pour ça !

Personne ne le concédera, mais c’est la soupe à la grimace pour les dirigeants d’Elad. Et la stupéfaction pour tous, tant cela devait être le chantier de fouilles qui offrirait le moins de surprise parce qu’on savait déjà ce qu’on allait trouver.
Et finalement, bien qu’il y ait matière à dénoncer ces fouilles qui vont contre le droit international, ces procédés d’expropriation de terrain de l’Église, ces démarches archéologiques qui détruisent tout ce qui n’est pas juif, cette attitude à vouloir “prouver” la Bible pour mieux effacer l’histoire de ce qui n’est pas juif, ces projets fous de nature à déclencher une guerre mondiale, on doit bien concéder qu’un beau bassin antique en eau, ça aurait eu de l’allure.
Et à la fois, au moment où l’archéologie était à ce point sûre d’elle à l’avance, voir tous les pronostics de la sorte déjoués à quelque chose de cocasse, qui est un événement en soi et une leçon.
La piscine dont le nom signifie ˝envoyé˝ et qui est censée finaliser la guérison des aveugles nous a tous envoyé promener et invités à ouvrir les yeux sur ce qui est vraiment essentiel, lequel, c’est bien connu est invisible pour les yeux.♦

Dernière mise à jour: 26/01/2024 18:11

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