L’avocate de 56 ans a été porte-parole de Peace Now et dirige aujourd’hui en Israël une association de parents contre l’incarcération des mineurs palestiniens. Elle déclare : « Nous continuons à nous battre pour tous les mineurs, palestiniens et israéliens, contraints de subir cette guerre. »
« Il m’est difficile, même à moi, de donner une explication sur ce qui est arrivé à mon peuple, sur ce que nous sommes devenus, nous les Israéliens. Ce qui est certain, c’est qu’à Gaza nous avons touché le fond de l’abîme et qu’il faut maintenant commencer à remonter : tôt ou tard, il faudra s’asseoir autour d’une table et trouver un accord, sans fantasmes absurdes sur l’avenir de Gaza et aussi d’Israël », confie à Terrasanta.net Moira Shlomot. Avocate de 56 ans, elle est aujourd’hui présidente de l’association Parents against Child Detention, ou Parents contre la détention des enfants, après avoir été la porte-parole de Peace Now (la Paix maintenant), l’une des principales organisations pacifistes israéliennes dans les années 1990. L’organisation, fondée en 2018 par son amie et collègue Nirith Ben Horin avec d’autres familles israéliennes, vise à sensibiliser le public juif israélien au phénomène de l’incarcération des mineurs palestiniens, à l’impact de l’occupation militaire sur leur santé physique et mentale, et à exercer une pression sur la classe politique pour changer la législation actuelle.

« Nous avons choisi de souligner dès le nom la responsabilité parentale envers les mineurs, explique Moira Shlomot, car nous partons du principe que lorsqu’on devient père ou mère, on a des devoirs non seulement envers ses propres enfants, mais envers tous les enfants. Et cela vaut d’autant plus ici, en Israël, avec l’occupation que nous imposons aux Palestiniens : nous, adultes israéliens, devons nous sentir responsables de la vie de leurs enfants, de leur sécurité, de leurs droits. »
Plongés dans un climat de guerre
Née dans le kibboutz de Bar’am, dans le nord d’Israël, à 300 mètres de la frontière avec le Liban, Moira Shlomot a servi dans l’armée et a été active dans le monde du bénévolat dès son installation avec son mari, au milieu des années 1990, à Tel Aviv. Là, en juin dernier, elle a subi les conséquences de la décision d’Israël d’attaquer l’Iran. « Ce furent deux semaines terrifiantes, dit-elle, car depuis déjà deux ans nous baignons tous dans une atmosphère de mort à cause de ce que nous infligeons à tant de civils innocents à Gaza. Pendant ces 12 jours, ce minimum de routine auquel nous nous étions habitués a de nouveau été bouleversé par les alertes constantes, de jour comme de nuit. Quand les attaques ont cessé, il a fallu plusieurs jours pour retrouver le sommeil, se remettre à travailler, sortir. »
Pour ceux qui, comme elle, militent depuis trente ans dans le camp pacifiste, les sondages selon lesquels la majorité du public israélien a soutenu le Premier ministre Netanyahu dans l’attaque contre l’Iran sont accueillis sans illusion. « Il m’est difficile, même à moi, d’expliquer ce qui est arrivé à la société israélienne, comment il a été possible que les Israéliens aient perdu leur humanité, leur sens moral, les limites de ce qui est éthiquement légitime. Je ne sais pas si la guerre finira dans une semaine comme l’a proclamé Trump : ce qui est certain, c’est que l’offensive de ce gouvernement de droite contre la démocratie, contre les organisations de défense des droits humains, contre l’État de droit, elle, ne s’arrêtera pas. Outre l’avenir de Gaza, il faudra aussi discuter de l’avenir d’Israël. »
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Moira a travaillé plusieurs années dans un centre de conseil pour les droits des femmes avant d’entreprendre des études de droit à la veille de ses 40 ans. Entrée en 2015 dans le cabinet de Michael Sfard, elle s’est, avec lui et son épouse, intéressée à la condition des mineurs palestiniens dans les prisons israéliennes.
« Le nombre de mineurs détenus en Israël est extrêmement élevé, souligne Shlomot, et après le 7 octobre 2023, il a dépassé le millier par an. En Israël, l’âge de la responsabilité pénale est de 12 ans et il existe un immense fossé entre la condition des mineurs juifs israéliens, qui, pour quelque infraction que ce soit, bénéficient d’un ensemble de protections, et le traitement réservé aux mineurs palestiniens. Dans la majorité des cas, la police ou les soldats de l’armée pénètrent masqués dans les maisons, de nuit ou à l’aube, arrachent les enfants à leur lit, semant la terreur dans la famille et parmi les autres enfants présents. Parfois, ils sont même arrêtés à l’école. En général, l’accusation est d’avoir jeté des pierres ou de s’être organisés en groupe pour le faire. La plupart du temps, les parents ne sont pas informés du lieu où ils seront emmenés. Il ne leur est pas permis d’être assistés par un avocat ni d’avoir leurs parents présents lors des interrogatoires. Souvent, ils sont contraints de signer des aveux en hébreu, une langue que beaucoup d’entre eux ne comprennent pas, ou subissent des menaces de violences contre eux ou leur famille. »

Violation des droits des mineurs
Ces procédures, souligne Shlomot, violent de nombreux traités internationaux relatifs aux droits des enfants (le plus important étant la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’ONU en 1989) et ont des effets traumatisants sur les communautés. « Que ce soit à Jérusalem-Est ou dans les Territoires occupés, observe-t-elle, les lois de protection des mineurs ne sont pas appliquées. Lorsque l’armée intervient en Cisjordanie, elle agit en violation du droit international : les mineurs arrêtés sont soumis aux lois martiales en vigueur dans les Territoires occupés et non aux lois ordinaires de l’État. Souvent, ils sont contraints sous la menace de dénoncer d’autres responsables des faits dont on les accuse et, dans des communautés où tout le monde se connaît, ces dénonciations dévastent les relations humaines en rendant publics les noms de ceux qui sont étiquetés comme collaborateurs, ce qui génère des conflits irréparables entre familles. »
Il est significatif que le choix de l’association de ne pas exercer d’activité d’avocat de la défense des mineurs ait été décidé en accord avec des homologues palestiniens, qui leur ont clairement indiqué ce que la société civile israélienne pouvait faire pour mettre fin à ces abus.
« Lorsque nous nous sommes demandé s’il fallait assurer la défense de ces adolescents dans les procédures pénales, raconte Shlomot, ce sont nos partenaires et collègues palestiniens qui nous ont expliqué pourquoi ne pas le faire et nous ont recommandé de nous consacrer à changer les politiques et les lois. Les mineurs arrêtés sont trop nombreux, nous ont-ils dit, pour que vous puissiez avoir un impact sur les procès : il y a déjà des avocats arabes israéliens qui les défendent. Ce que vous seuls pouvez faire, c’est tenter de changer ce système injuste de l’intérieur d’Israël, de démanteler les lois martiales et les tribunaux militaires en vigueur dans les Territoires occupés.
C’est ce que nous faisons : à travers des recherches et des expertises, nous tentons de faire pression pour modifier les politiques gouvernementales concernant les procédures pénales à l’encontre des mineurs palestiniens. Nous essayons surtout de sensibiliser le public israélien à cette réalité ignorée, afin de créer une masse critique qui finisse par exiger une modification des procédures et, plus généralement, la fin de l’occupation. »
Depuis le 7 octobre 2023, tout est plus difficile
Après l’attaque terroriste du Hamas, le travail de l’association est devenu encore plus impopulaire et source de contradiction dans un pays traumatisé par les horreurs du 7 octobre 2023. Les associations de défense des droits humains dénoncent une forte augmentation des arrestations arbitraires et du recours à la détention préventive, c’est-à-dire sans chef d’inculpation : on estime que durant ces 21 mois, plus de 16 400 Palestiniens ont été emprisonnés, dont 510 femmes et environ 1 300 mineurs. Beaucoup d’autres, disparus à Gaza et dont on est sans nouvelles, ne figurent pas dans ces statistiques en raison de ce que la Croix-Rouge internationale qualifie elle-même de « disparitions forcées ».
« Après le 7 octobre et avec la guerre à Gaza, avec tant d’enfants israéliens tués ou pris en otage, souligne Moira, nous avons compris que nous devions élargir notre champ d’action pour protéger tous les enfants, israéliens et palestiniens, contraints de vivre dans ce contexte de guerre avec tout ce que cela implique pour leur santé physique et mentale. Ces derniers mois, nous avons organisé à Tel Aviv une manifestation réunissant 70 artistes, dont de nombreux illustrateurs qui ont collaboré avec notre site, pour mettre en lumière l’impact de la guerre sur l’enfance. Nous essayons de faire passer un message simple et puissant : un enfant est un enfant, où qu’il soit : en Israël, à Gaza, en Cisjordanie.
Même si nous recevons des torrents d’insultes sur nos profils sociaux, nous organisons des performances lors des manifestations du samedi soir avec des gamelles vides et les photos d’enfants palestiniens pour sensibiliser le public aux politiques du gouvernement qui affament les habitants de Gaza. »
Depuis 2018, Moira est présidente du Comité des droits humains de la municipalité de Tel Aviv. Elle raconte avec fierté être mère d’une jeune femme de 27 ans qui est objectrice de conscience (refuznik) : « Ma fille a passé plus de quatre mois en prison pour avoir refusé de servir dans l’armée, et aujourd’hui elle est aussi militante de Combatants for Peace. Je ne sais pas si son frère, qui a aujourd’hui 15 ans, suivra ses pas, mais son exemple me donne beaucoup d’espoir. »