Gidon Bromberg : « En Israël, les problématiques écologiques ne sont pas des priorités politiques »

Co-fondateur de l’organisation régionale EcoPeace Moyen-Orient, Gidon Bromberg est spécialiste des politiques environnementales et de la sécurité de l’eau. Il revient sur les grands enjeux écologiques de la région, et ce qui les bloque.

EcoPeace, pour une paix durable. Fondée en 1994 par Gidon Bromberg, l’organisation a 3 directeurs : un Israélien, une Palestinienne et une Jordanienne. Née à la faveur de l’optimisme du processus de paix, EcoPeace a dû se réinventer pour coller aux enjeux des contractions du conflit et utilise aujourd’hui l’environnement pour promouvoir une solution à deux États.
Quels sont les principaux défis écologiques auxquels font face Israël et la Palestine ?
La crise climatique est probablement le défi qui menace le plus la viabilité de la région sur le long terme. La montée des températures, le déclin des précipitations… Tout cela a déjà un impact sur notre capacité à être dehors pendant l’été, sur l’agriculture… Grâce à de gros investissements, Israël a quasiment résolu son problème domestique en matière d’eau : 80 % de son eau potable vient des usines de dessalement, et la moitié de l’agriculture est irriguée à partir d’eaux usées traitées. Mais cette autonomisation ne s’est pas faite dans l’optique de mieux partager les ressources avec les Palestiniens.
Et cela nous amène au second grand défi : l’absence de paix. C’est un problème environnemental majeur, notamment pour les 12 cours d’eau transfrontaliers entre Israël, Gaza, la Cisjordanie et la Jordanie. Ceux qui viennent de Cisjordanie sont généralement très pollués, par manque d’investissement dans des infrastructures de traitement des eaux usées. La pollution provient également de conflits autour des déchets solides.
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En Cisjordanie les décharges illégales, utilisées par les Palestiniens autant que par les Israéliens, sont très répandues. On estime à 1,2 million de tonnes par an les déchets domestiques produits par les 3 millions de personnes (Palestiniens et Israéliens) résidant sur l’aquifère montagneux : l’élimination inadéquate de ces déchets entraîne la percolation de substances toxiques dans les eaux souterraines.
Y a-t-il un espace pour l’écologie dans le débat public israélien ?
Il y a un consensus dans l’opinion publique, autour de l’urgence de ces questions à l’échelle globale, mais aucun homme politique ne s’en empare vraiment. Il existe un petit parti Vert en Israël, fondé en 1997, mais il n’a jamais franchi le seuil électoral permettant à ses membres de siéger à la Knesset. Parce que finalement, le plus gros obstacle est le conflit, et les blocages au niveau politique. Aujourd’hui la guerre et les otages prennent 90 % de l’attention des gens. Leur parler d’environnement est compliqué. Un des angles, pour approcher le public israélien, c’est de parler de sécurité.
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Nous avons par exemple beaucoup souligné comment le non-traitement des eaux usées palestiniennes représente une menace pour nos usines de désalinisation. Il s’est produit la même chose quand Israël a fermé les vannes d’eau vers Gaza après le 7-Octobre. La communauté médicale a fait pression en expliquant que les maladies contagieuses générées par des eaux de mauvaise qualité ne s’arrêteraient pas aux frontières.
Cette région est tellement petite… Notre environnement est interconnecté. Cependant, la haine née de ce conflit est un défi pour faire des problématiques écologiques des priorités politiques.
En Israël, militer pour l’environnement est-il assimilé au militantisme en faveur de la paix ?
Tout le monde ne voit pas les choses comme ça. Les environnementalistes sont éduqués sur l’importance des ressources et sur le fait que les frontières deviennent des obstacles à leur bonne gestion. Pour des petits pays comme le nôtre, la coopération transfrontalière est nécessaire.
Après avoir proposé un ˝pacte Vert et Bleu˝ qui promeut la paix grâce à des échanges collaboratifs d’eau et d’énergie solaire entre Israël, la Palestine et la Jordanie, nous avons centré notre travail autour du corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe, cette nouvelle ˝route des épices˝ qui pourrait être facteur de durabilité pour la région et aider à penser le ˝jour d’après˝ à Gaza.
L’objectif est de construire une grande usine de dessalement à Gaza pour répondre aux besoins en eau des Palestiniens et des Jordaniens, de favoriser l’exportation d’énergies renouvelables, de construire un réseau ferroviaire, avec la Jordanie comme pôle principal avant que le chemin de fer se divise sur les 2 ports : Haïfa et Gaza. Nos études montrent que cela serait économiquement viable. Il ne manque que l’envie politique.t