Daood : « Pacifistes parce que nous n’avons pas d’autre terre que celle-ci »
Depuis 2019, elle est codirectrice du mouvement de base binational Standing Together. Rula Daood, 39 ans, est une Palestinienne chrétienne et citoyenne israélienne. Le magazine Time l’a incluse parmi les 100 dirigeants mondiaux émergents.
« L’histoire nous montre que la paix est plus proche en temps de guerre : mon espoir est que les horreurs en cours depuis presque deux ans nous aient rapprochés d’une solution, car il est clair que ni les Juifs ni les Palestiniens ne quitteront cette terre. » Palestinienne chrétienne, citoyenne israélienne, féministe, Rula Daood a été inscrite en 2024 par le périodique Time dans la liste des 100 leaders mondiaux émergents pour le travail qu’elle mène depuis 2019 avec l’Israélien Alon-Lee Green à la codirection de Standing Together, un mouvement progressiste de base en Israël qui unit des citoyens juifs et palestiniens pour mettre fin à l’occupation, obtenir l’égalité, la paix, la justice sociale et climatique.
Lire aussi → Standing Together: “La guerre ne peut pas garantir notre sécurité. Il faut une alternative”
« Cette terre est notre maison, c’est tout ce pour quoi il vaut la peine de lutter parce que nous n’avons nulle part ailleurs où aller et parce que nous voulons en faire un endroit meilleur où vivre que ce qu’il est aujourd’hui : avec tout ce qui s’est passé et continue de se passer, nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d’abandonner », a déclaré à plusieurs reprises l’activiste. Née en 1986, originaire de Kafr Yasif dans le nord d’Israël, orthophoniste, Rula a grandi dans une famille palestinienne catholique et raconte avoir vécu dès l’enfance « la condition de citoyenne de seconde zone » dans l’État juif. « Mes parents – a-t-elle confié dans un podcast – ont vécu sous les lois martiales et l’oppression : mon père nous a toujours recommandé de “garder profil bas”. Eh bien, à vingt ans, j’ai décidé que le profil bas ne me convenait plus : je ressentais le besoin de me lever et de lutter pour changer ce que je considérais comme injuste. » C’est ainsi qu’elle a commencé à fréquenter des cercles politiques de gauche et arabes, sans toutefois réussir à trouver un parti qui la représente, aussi en raison de la disparition progressive de la gauche et du front pacifiste en Israël.
En 2017, elle a rejoint le mouvement fondé deux ans plus tôt par Alon-Lee Green, déjà l’un des porte-parole des manifestations de 2011 contre le coût de la vie en Israël, et en 2019 elle en a pris la codirection. Trois ans plus tard, elle a été décorée, avec Green, du Prix Gallanter pour la société civile pour avoir organisé des dizaines d’événements et d’initiatives de coopération entre Juifs et Arabes dans le nord d’Israël et à Lod, où elle vit.
« Après tant de décennies d’occupation et après le 7 octobre [2023], observe-t-elle, presque plus personne ne parle de coexistence entre Israéliens et Palestiniens : c’est pour cela qu’il est si important d’utiliser un langage différent, de parler publiquement de cessez-le-feu, de paix, de réconciliation possible, de gouvernements potentiels autres que celui dirigé par Bibi Netanyahu : nous savons qu’en faisant cela, nous offrons aux gens d’autres perspectives. »
Lire aussi → Elles imaginent “la solution à deux États qui peut marcher”
Standing Together compte parmi les organisations les plus actives dans la lutte contre les idéologies d’extrême droite en Israël, avec des prises de position fortes, y compris lors d’événements publics, contre la rhétorique et la violence anti-palestinienne promues par d’autres groupes. « Notre tâche fondamentale est de mobiliser les gens, et le fait que notre mouvement soit en croissance me donne beaucoup d’espoir : nous estimons mériter un avenir bien meilleur, Israéliens et Palestiniens, que celui que la classe dirigeante au pouvoir ces vingt dernières années nous a infligé », souligne Daood.
L’organisation compte largement sur le soutien de sa communauté (plus de 50 % de ses financements proviennent de petites donations individuelles), afin de préserver son indépendance et de se concentrer sur sa mission. Après le 7 octobre, le mouvement a continué à grandir et, en décembre 2024, il comptait plus de 6 000 membres, dont les deux tiers soutiennent mensuellement les efforts de l’organisation. Environ un cinquième des adhérents sont Palestiniens, en ligne avec le pourcentage de la population arabe en Israël, et le comité de direction est composé à parts égales d’Arabes et de Juifs.
« Nous devons exprimer une perspective et une offre politique alternatives par rapport à ce que nous vivons : répondre différemment aux besoins des Israéliens et des Palestiniens. Quelles perspectives offre-t-on aujourd’hui ? Y a-t-il vraiment besoin d’offrir aux gens plus de guerre, plus de morts ? Ou cherchons-nous à offrir à celles et ceux qui vivent sur cette terre la sécurité, le bien-être, la paix et – pourquoi pas ? – l’indépendance ? » Le mouvement cherche à créer un front collaboratif entre différents groupes, soutenant un avenir partagé dans lequel les deux communautés puissent coexister avec dignité et droits égaux, et il met en avant l’unité entre diverses identités, notamment laïques et religieuses, mizrahi et ashkénazes, et personnes de tous genres et orientations sexuelles. Une diversité considérée comme essentielle pour bâtir une coalition solide en faveur du changement.
Lire aussi →Orna Akad, anticonformiste sur scène et dans la vie
« Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de personnes disposées à arrêter cette guerre et à embrasser une vision politique différente. Peut-être ne sommes-nous pas encore la majorité, mais nous ne sommes pas non plus une minorité clairsemée, et nous nous battons pour un avenir différent malgré la situation politique que nous traversons. » Plusieurs activistes du mouvement, y compris le codirecteur Green, ont été arrêtés lors des manifestations qui se succèdent à Tel-Aviv. Et un défi supplémentaire a été l’inclusion de Standing Together dans la liste noire dressée par les militants de la campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), parce que l’organisation dirigée par Daood poursuivrait la « normalisation » des relations avec les Juifs israéliens.
Aux côtés de May Pundak, directrice de A Land for All, et de Nivine Sandouka, codirectrice palestinienne de l’association-ombrelle Alliance for Middle East Peace (ALLMEP, qui rassemble 170 organisations non gouvernementales œuvrant pour la réconciliation entre Arabes et Juifs au Moyen-Orient), Rula Daood a participé au court-métrage For the Future: Women in Peacebuilding (visible en cliquant ici), publié il y a un mois sur la plateforme Vimeo. Le 31 octobre 2025 sera d’ailleurs célébré le 25e anniversaire de l’adoption par l’Assemblée de l’ONU de la Résolution 1325 sur les Femmes, la paix et la sécurité, qui demandait notamment une plus grande participation de négociatrices aux pourparlers de paix, à hauteur d’au moins 30 % des membres des équipes de négociation : une requête restée lettre morte dans presque tous les processus de paix médiés par l’ONU.
« La sphère publique reste assurément un domaine extrêmement difficile pour une femme, conclut Daood, d’autant plus dans le contexte du conflit israélo-palestinien : et pourtant, le prix de l’absence des femmes en politique et dans les équipes de négociation saute aux yeux. Nous devons relever ce défi parce que nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de nous mettre de côté ou de nous désintéresser. Dans les premiers mois de la guerre, beaucoup d’entre nous ont subi des insultes et des menaces sexistes de toutes sortes, y compris l’ignoble souhait de nous voir violées : il n’existe pas encore assez de solidarité entre femmes contre le langage de la haine, mais les choses évoluent. »










