Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Falestine histoire d’un nom

Marie-Armelle Beaulieu
30 novembre 2011
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Falestine histoire d’un nom
Habitants - Paysan palestinien travaillant sa terre, cliché pris entre 1890 et 1900 puis colorisé. © G. Eric and Edith Matson Photograph Collection/ Library of Congress, Washington DC

Parlera-t-on un jour de Palestine comme d’un Etat indépendant ?
Mais depuis quand au juste mentionne-t-on Palestine ?
La longue histoire d’un nom qui véhicule encore tant d’espoirs.


« Comment les Arabes peuvent-ils revendiquer des droits sur un pays dont ils ne peuvent même pas prononcer le nom ? La Palestine ça n’existe pas. Nous, on nous appelle juifs parce que nous sommes les habitants de la Judée. » 1Le conflit israélo-palestinien a débuté sur un conflit de territoire, il se poursuit dans un affrontement religieux et culturel et la guerre des mots et des images fait rage.
Il est vrai que la lettre « P » n’existe pas dans l’alphabet arabe où est elle remplacée lorsqu’il s’agit de la prononcer dans une langue indo-européenne par le « B ».
Pourtant en arabe, comme d’ailleurs en hébreu, pour Palestine on dit « Falestine » et cette prononciation avec le « F » est un bon indicateur des origines du nom. Il faut se souvenir que l’arabe, comme l’hébreu et l’araméen, est une langue sémitique. La racine d’un mot est une unité lexicale minimale, composée exclusivement de consonnes, le plus souvent au nombre de trois.
Ainsi si on réduit « Falestine » à ses consonnes on obtient FLST. Un autre nom propre de la bible existe sur cette même racine. Mettez un « E » entre chaque groupe de consonne et prononcez tout haut « FeLeSTe ». Mais oui mais c’est bien sûr ! FiLiSTin, philistins.2

Philistins et Palestiniens

Ainsi, si le mot Palestine n’est nulle part mentionné dans la Bible, le nom des Philistins l’est. Les Philistins, ennemis des Égyptiens qui les nommemt « Pereset »2 sont venus de la mer pour attaquer l’Égypte et se fixèrent sur la bande côtière du pays de Canaan, l’actuelle bande de Gaza et un peu plus puisque leur territoire remontait jusqu’à Jaffa, la banlieue sud de Tel Aviv, la Joppée des évangiles. Ils sont mentionnés dans différentes sources textuelles, égyptiennes, hébraïques et assyriennes (sous le nom de Palastu) sont-ils les aïeux des Palestiniens actuels ? Certains d’entre eux, sans aucun doute. Ce qui est certain c’est qu’ils n’étaient pas arabes, pas même sémites. Ils venaient vraisemblablement d’Asie Mineure, peut-être de Grèce et s’installèrent sur ces rivages de la Méditerranée dès le XIIe siècle avant J.-C.
Ces Philistins non seulement ne sont pas amis des Égyptiens, mais ils ne le sont pas non plus des juifs. C’est de leurs rangs que sortira le géant Goliath pour affronter David dans la vallée des Térébinthes (Xe siècle avant Jésus Christ), à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Bethléem. « Quand les Philistins virent que leur champion était mort, ils prirent la fuite. » Pour s’en retourner dans leur territoire qu’ils n’ont jamais quitté en dépit de l’installation des Hébreux en Canaan (XIIe siècle avant Jésus-Christ).

Les 3 Palestine – Carte de 1725 dessinée par Philippe de La Rue, Pinax Geographicus Patriarchatus Hierosolymitani conservée à la Jewish National and Universuty Library, Jerusalem.

Géographie variable

C’est au Ve siècle avant Jésus Christ que l’on retrouve le nom de Palestine, sous sa forme grecque et sous la plume d’Hérodote (482-420) au livre I (Clio) de ses Histoires ainsi qu’au livre III (Thalie) dans lequel il circonscrit le territoire de ce qu’il nomme exactement la Syrie de Palestine. « La Syrie de la Palestine s’étend depuis la Phénicie (NDLR partie du Liban actuel) jusqu’aux confins de la ville de Cadytis ; et de cette ville, qui, à mon avis, n’est guère moins grande que Sardes, toutes les places maritimes, jusqu’à Jénysus, appartiennent aux Arabes. Le pays, depuis Jénysus jusqu’au lac Serbonis (NDLR à l’Est de Port Saïd dans l’Égypte actuel), près duquel est le mont Casius, qui s’étend jusqu’à la mer, appartient de nouveau aux Syriens de la Palestine. » Si les spécialistes d’Hérodote se battent pour localiser Cadytis tantôt identifiée à Meggido tantôt à Jérusalem (Cadytis serait l’hellénisation du dialecte syrien Chadasha lui-même provenant de l’hébreu Kedosha qui signifie « saint » et c’est sous le vocable de « la sainte » qu’on aurait nommé la ville) du moins les points les plus au nord et les plus au sud sont-ils identifiables et correspondent-ils plus ou moins au territoire de la Palestine historique.
C’est ce nom de Syrie de Palestine qui prévaudra durant toute l’antiquité tardive.
Au point que l’historien juif Flavius Josèphe (Jérusalem, environ 37 – Rome, environ 100) l’utilise lui-même. « Abram émigra à Gérare en Palestine, accompagné de Sarra, qu’il faisait passer pour sa sœur » Antiquité judaïques, Livre I, chapitre XII, 214).

Peut-on parler de la Palestine au temps de Jésus ?

Du point de vue de l’administration romaine oui et sans aucun doute. Du point de vue de la population juive de l’époque, pas question.
Les évangiles nomme des territoires ou des villes mais s’agissant de l’espace géographique dans lequel Jésus évolue aucun nom de pays n’est donné.
L’administration romaine va reprendre le nom de Palestine à son compte sous le règne de l’empereur Hadrien (76-138). Si Titus avait incendié le temple en 70, c’est Hadrien qui en interdit l’accès aux juifs et le fit raser. Il ordonna qu’on cessât de parler de Judée pour ne plus parler que de Palestine et fit rebaptiser Jérusalem en Ælia Capitolina. Hadrien voulait éliminer toute présence juive dans la région aussi insistait-il pour la nommer du nom des pires ennemis des Hébreux.
Vers 390, le terme de « Palestine » est réutilisé pour nommer les trois subdivisions administratives du territoire de la Palestine :
La Palaestina Prima (Palestine Première avait pour chef-lieu Césarée et comprenait la Judée, la Samarie, la Pérée, et la côte méditerranéenne ; la Palaestina Secunda (Palestine Seconde) avait pour chef-lieu Scythopolis et comprenait la Galilée, la basse plaine de Jezréel, la vallée du Jourdain à l’est de la Galilée, et l’ouest de la Décapole ; la Palaestina Tertia (Palestine troisième) avait pour chef-lieu Pétra et comprenait le Néguev, le sud de la Jordanie (détaché de la province d’Arabie), et l’est du Sinaï (voir carte page 11).

Al-ard al-muqaddasa la Terre Sainte

C’est avec les invasions perses (314) puis arabes (638) que le nom s’éclipse tout ou en partie et ce sont les chrétiens arabes (orthodoxes), qui conserveront avec la subdivision des diocèses les noms et la distribution des trois Palestine. Les croisés eux connaîtront l’usage du terme sans plus lui donner de valeur administrative puisqu’ils lui substitueront le nom de Royaume Latin.
La Palestine conquise par Saladin sera noyée dans l’empire Ayyoubide, elle conserve sa couleur spécifique – déjà apparue dans les premiers temps de l’Islam (650) – de « al-ard al-muqaddasa », la Terre Sainte et Jérusalem est « al-Quds » la sainte, en fait « al-Quds al-Sharif », le saint sanctuaire.
Il faudra attendre le début de l’empire ottoman pour voir resurgir le nom de Palestine, sous le vocable local de Filastin. Il ne s’agit plus que d’un simple district ayant pour chef-lieu Jérusalem (avec les villes de Ramla, Ascalon, Hébron, Naplouse). Tibériade est le chef-lieu d’un autre district, celui de « Hauran ».
Sous la plume des Occidentaux qui viennent au XIXe siècle (Chateaubriand, Lamartine, Loti et tant d’autres) et dans leur cartographie, on retrouve le terme de Palestine et « les conflits des puissances européennes autour des Lieux saints conduisent les autorités ottomanes à établir une circonscription administrative particulière, le sandjak de Jérusalem dépendant directement du pouvoir central et non d’une capitale régionale. » 3

Sandjak de Jérusalem

« Les Occidentaux n’ont jamais cessé d’utiliser les références héritées de l’époque romaine. Même les circonscriptions consulaires calquées sur les divisions administratives ottomanes suivent les dénominations antiques et non les appellations ottomanes. Ainsi le consulat de Beyrouth (et non de Damas !) a pour circonscription la Syrie et celui de Jérusalem la Palestine. On prend donc l’habitude de traduire directement dans les langues occidentales les provinces ottomanes de Beyrouth et de Damas comme étant la Syrie et le sandjak de Jérusalem comme étant la Palestine. Cette équivalence linguistique est d’abord le fait des Européens, mais elle est aussi rapidement adoptée par les habitants dont les élites ont le français comme langue de référence moderne voire comme langue d’administration (par exemple dans les postes et télégraphes, dans le tourisme et le commerce). Dans les dernières décennies du XIXe siècle, les noms Palestine et Syrie reviennent dans le vocabulaire courant de l’arabe et du turc. C’est même plus facile pour Palestine dont l’emploi a été régulier dans les premiers siècles de l’Islam que pour Syrie qui a un équivalent arabe d’origine sémitique. Au début du XXe siècle, le principal journal publié à Jaffa a pour nom al-Filastin, la Palestine. » 4
Les Britanniques installent leur mandat sur un pays clairement dénommé Palestine. Le terme depuis n’a plus quitté le champ de l’histoire politique de cette terre.
A ce stade, il y a des chances pour qu’on ait tordu le cou à l’idée selon laquelle il n’y aurait jamais eu de Palestine.
Pour autant, y a-t-il un peuple palestinien ? Les plus virulents des juifs s’interdisent de nommer les habitants séculaires de ce pays «palestiniens». Ils préfèrent les nommer arabes et envisagent ainsi plus facilement, sans remord et sans complexe, de les déplacer vers d’autres pays arabes.
Qu’est-ce qui fait un peuple ? Qu’est-ce qui fait une nation ?
Depuis quand y a-t-il une conscience palestinienne ? Essai de réponse dans l’article suivant !

1. Citations de forums de discussions juifs.
2. L’origine crétoise du nom est contestée
3. Le mot en hébreu biblique פְּלִשְׁתִּים se prononce, Plištim, tandis que l’hébreu moderne est retourné à «Filistinim» pour Palestiniens
3. Henry Laurens, Professeur au Collège de France, in L’identité palestinienne d’hier à aujourd’hui
4. Idem

Dernière mise à jour: 31/12/2023 18:21

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