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Si présenter sa candidature à l’ONU n’est pas une voie : alors quelle est-elle ?

Joseph Leneveu
30 novembre 2011
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Si présenter sa candidature à l’ONU n’est pas une voie : alors quelle est-elle ?

À la veille du dépôt de candidature pour l’adhésion de la Palestine à l’Assemblée des Nations Unies, Joseph Mathivet a rencontré sa Béatitude Mgr Michel Sabbah pour l’interroger sur la signification pour l’Église de cette démarche.


Béatitude, selon vous, qu’elle signification a pour l’Église la création d’un État palestinien ?
D’abord, en soi, on peut dire que c’est une question qui regarde les États et non les Églises. Cela regarde l’Église dans la mesure où tout ce qui touche à la justice la concerne. Avoir un État est un droit naturel pour tout peuple, afin de pouvoir se gouverner, afin d’être en mesure de se constituer comme Nation. Ainsi, pour l’Église, c’est un droit normal et naturel pour tous les peuples. En ce qui touche à la paix pour cette terre, c’est un pas en avant. Nombreux sont ceux qui disent que c’est un obstacle, à l’aune de leurs propres politiques. Mais à la vérité, c’est un pas en avant. Il s’agit d’un peuple constitué qui s’exprime comme tel, qui s’affirme comme État et qui exige la plénitude de ses droits, tout simplement. Il n’y a rien de négatif à demander à pouvoir se constituer en État. Surtout qu’il s’agit bien d’un peuple constitué. Il ne s’agit pas d’une minorité à l’intérieur d’un État… Ici, c’est Israël qui ne veut pas de ce peuple, comme citoyens de l’État israélien. Rien de plus normal par conséquent que ce groupe d’hommes se stabilise et se constitue en un État indépendant pour son bien et pour le bien de ses voisins.

Cette reconnaissance est-elle en mesure de rendre justice aux Palestiniens ?
La justice c’est de donner à chacun ce qui lui est dû, à un individu ou à un peuple. Les Nations Unies ont des critères d’après lesquels traiter avec chaque peuple. Mais la justice, pour un peuple ou pour un individu, c’est tout simplement la dignité que Dieu lui a donnée. Sa liberté, son droit à la vie, son droit à sa propre sécurité, le fait de ne pas être soumis à un autre, un peuple n’a pas à être soumis à un autre peuple, voilà la justice. Se voir restituer sa terre : voilà la justice. Ce qui est dû au peuple palestinien maintenant c’est sa terre, les territoires occupés. Il faut donner aux Palestiniens la liberté de se gouverner : voilà la justice à lui rendre.

Souvenirs… – Un jour, peut-être, les enfants palestiniens ne connaîtront-ils de l’occupation que ce que leur en diront les livres d’histoire. ©MAB/CTS

Mahmoud Abbas, avant de se présenter à l’ONU, a invité tous les représentants des Églises afin de les entretenir sur sa démarche. Quel rôle pensez-vous que l’Église doive tenir dans un « futur » État palestinien ?
Le rôle de l’Église c’est précisément d’énoncer les principes généraux que j’ai évoqués précédemment. C’est de s’assurer que les Palestiniens, l’Autorité palestinienne sont dans la bonne voie, qu’ils ne font de mal à personne, qu’ils ne font de déclaration de guerre à personne, ni à Israël ni à l’Amérique.
Il est inutile d’aller déformer leur intention dans cette démarche, de les menacer. Les États-Unis menacent de « couper les finances », Israël menace aussi. (Que peuvent-ils infliger de plus ?) L’un et l’autre parlent dans leurs seuls intérêts. Or, en se présentant devant l’Assemblée des Nations Unies, cette question, ce conflit concernent désormais tous les peuples de la terre. C’est un conflit international, ce n’est plus seulement un conflit local. L’Église doit soutenir la volonté d’un peuple qui réclame son indépendance, et qui ne fait partie d’aucun État. Il ne s’agit pas d’un mouvement séparatiste. L’Église soutient donc naturellement les Palestiniens dans leur démarche, loin de toute violence. Car précisément il n’y aucune violence dans cette démarche. Si la violence est un faux pas, si aller aux Nations Unies est un faux pas alors où serait le « vrai pas », et les bonnes mesures à prendre ? L’Église dit tout simplement que ces personnes sont dans la bonne voie, et qu’elles agissent dans l’intérêt de tous.

Est-ce qu’elle le fait, est-ce qu’elle le dit, Béatitude ?
Je crois. Les chefs des Églises envisagent de publier un communiqué pour appuyer et donner leur point de vue à l’Autorité palestinienne. Mais encore une fois, c’est une mesure politique à 100 %. L’Église n’a rien à faire là-dedans. L’Église doit dire que cela est bon, et que c’est la bonne voie. Quant à se présenter ou non devant Nations Unies, c’est un choix politique. Mais les exigences de la paix, au vu de l’état actuel du pays, pour Israël comme pour la Palestine, nécessitent que ce pas soit fait. En soi, si le peuple israélien, si les gouvernants israéliens actuels y réfléchissaient davantage, eux-mêmes engageraient ce pas. Mais les Israéliens ont peur de la création de l’État palestinien et de devoir se déposséder des territoires où il y a déjà des colonies. Benyamin Netanyahou a dit en substance : « Nous ne voulons pas de ce peuple comme citoyen, mais nous ne voulons pas non plus gouverner ce peuple ». Alors s’ils ne veulent pas le gouverner, s’ils ne veulent pas l’avoir comme citoyen, qu’il lui donne sa liberté et qu’il le soutienne même pour construire son État. Le même Netanyahou, il y a dix ans disait : « Il faut créer un État palestinien pour que les Palestiniens croissent et se multiplient non pas en Israël mais dans l’État palestinien », ce qui est très logique. Par conséquent, laissons cet État se créer. Mahmoud Abbas l’a dit : « Cette démarche n’est contre personne, nous sommes toujours pour la paix, pour les négociations. Et nous savons que la paix définitive ne se fera pas aux Nations Unies mais dans les négociations avec Israël. Nous reprendrons les négociations, nous parlerons mais au moins nous serons un État et plus un peuple sous occupation. » Évidemment, pour Israël cela changerait la donne parce que, si vraiment la Palestine est reconnue comme un État indépendant, alors Israël sera reconnu comme un État agresseur et non plus occupant. La reconnaissance de la Palestine comme État changerait le caractère légal et juridique dans les rapports Israel-Palestine. Concrètement sur le terrain, la situation ne changera pas. La vie concrète des Hommes ne changera pas. Le statut juridique changera mais la vie concrète avec Israël ça ne changera pas. Il y aura toujours le mur et les check points et tout le reste de l’Occupation…

Reconnaissance – Septembre 2011, le Président Mahmoud Abbas avait invité les chefs des Églises de Jérusalem pour leur exposer le sens de sa démarche devant les Nations Unies. © Palestinian Authority

Cela ne changera ni pour le meilleur ni pour le pire ?
Juridiquement il y aura un statut plus clair. Nous ne serons plus un peuple de réfugiés, un peuple anonyme, un peuple comme suspendu en l’air. Nous aurons un État. Voilà le bénéfice, mais la vie quotidienne dépendra toujours de la volonté d’Israël et de l’incapacité des Nations Unies, ou de la communauté internationale, à y changer quoique ce soit. La communauté internationale, si elle avait du courage, oserait peut-être reconnaître « Oui, vous êtes un État » mais cela s’arrêtera-là. Personne ne voudra faire plus de pression pour réconcilier les deux peuples, et pour convaincre Israël qu’un changement radical dans la situation. i.e. une paix définitive, est dans l’intérêt de tous. Ce qu’il faudrait réussir pour aller dans le sens de la reconnaissance de l’État palestinien, c’est d’arriver à des frontières définitives. Mais qui fera pression, qui aura le courage de faire pression ? Seul Israël, en faisant évoluer sa politique, pourrait faire évoluer la situation.

Les nouvelles générations ne pourraient-elles pas influencer le débat ?
Les jeunes libres dans le monde pourraient au moins dire la vérité : « la reconnaissance d’un État palestinien est une bonne chose. » Qu’ils disent cette vérité aux deux : Israéliens et Palestiniens. Et qu’ils les invitent aussi, les deux, à se faire une déclaration non de guerre mais de paix. Que les jeunes fassent comprendre aux jeunes israéliens et à l’État d’Israël, que la reconnaissance de l’État palestinien est pour leur propre bien. La paix s’offre à eux, elle ne s’offre pas seulement aux Palestiniens. La paix c’est le gage de leur sécurité, ce n’est pas seulement celle des Palestiniens.

Quelle espérance pour la jeunesse palestinienne chrétienne entretenez-vous si la création de leur État se faisait ?
La jeunesse palestinienne chrétienne, les chrétiens palestiniens sont palestiniens tout simplement. Pour le moment, la vie n’est normale pour personne, et donc pas non plus pour les chrétiens. Elle le deviendra si jamais il y avait un État. S’il y avait un État « normal » alors la jeunesse se développerait dans un contexte normal. Elle pourrait croire en une économie, elle pourrait croire en l’avenir librement, sans mur et sans contraintes. Aujourd’hui la vie est faite de limitations. C’est pourquoi il y a des gens qui prennent la fuite, qui émigrent. Parce que l’on n’arrive pas à vivre, parce que la vie n’est pas normale. Tous ceux qui vivent cette situation, tous, sont des héros. Ou bien ce sont des gens qui se laissent porter par les événements. Mais les autres, ceux qui ont conscience du conflit et qui restent, ce sont des héros. Il faut imaginer ce que représente d’être confronté à tout moment de votre vie quotidienne à un soldat que vous ne pouvez pas résonner, qui se bornera à vous donner des ordres auxquels vous n’avez qu’à obéir. Ça, c’est de l’héroïsme, pour tous.

L’Église appelle de ses vœux la création d’un État palestinien. Sa reconnaissance sera-t-elle plus rapide que celle de l’État d’Israël ?
L’acte de reconnaître l’État est un acte politique. C’est une démarche qui regarde les Nations Unies et non pas les Églises. Mais une fois reconnu par les Nations Unies, oui l’Église reconnaîtra la Palestine comme État, pourquoi pas ? L’Église traite avec la réalité qu’elle a devant elle. Sur cette terre elle a devant elle une réalité qui s’appelle Israël, elle traite avec l’État d’Israël. Il y aura un État qui s’appellera Palestine, elle traitera avec la Palestine. L’Église entérinera mais ce n’est pas à elle de reconnaître l’État politiquement. L’Église affirme que c’est un droit des peuples. D’ailleurs depuis longtemps le Saint-Siège le dit. Benoît XVI l’a dit lors de sa visite en 2009 et en recevant Mahmoud Abbas en juin 2011 à Rome parlant : « des aspirations légitimes du peuple palestinien à un État indépendant ». Je ne crois pas que l’Église aura un problème à reconnaître la Palestine. Si les Nations Unies l’ont reconnue, je ne crois pas que cela pose problème à quelque Église que ce soit dans le monde, encore moins à celles de Terre Sainte…

Pensez-vous que dans le cadre de la réconciliation entre Fatah et Hamas, la place que l’Autorité palestinienne accorde aux chrétiens soit garantie ?
Cela dépend des chrétiens. Par principe, je n’attends pas des musulmans qu’ils me donnent ce qui m’est dû. C’est à moi de prendre ce qui m’est dû. L’Autorité Palestinienne de son côté reconnaît la présence et l’importance des chrétiens malgré leur petit nombre. Les masses, par contre, elles mènent leur vie. Ils ne font rien contre moi. Pas même le Hamas, qui jusqu’à présent ne s’est pas trop montré. La plupart des musulmans sont tout simplement dans l’ignorance du fait chrétien. Ce qui est tout à fait naturel et normal. Prenez pas exemple Gaza : un million et demi de personnes y résident et parmi elles à peine trois milles chrétiens. Combien de gazaouis musulmans savent qu’il y a aussi des chrétiens à Gaza ? 50 000 ? La plupart n’en savent rien et ce n’est pas leur faute s’ils ignorent qu’il y a trois milles chrétiens. C’est aux chrétiens à s’affirmer. Pourtant les chrétiens de Gaza sont actifs. Le gouvernement les connaît, le Hamas les connaît et les respecte et en tient compte également. Je ne vais pas demander au Hamas ou même à l’Autorité Palestinienne d’aller faire du catéchisme à tous les musulmans de Palestine pour leur apprendre qu’il y a des chrétiens. Nous sommes néanmoins en train de demander, que dans les livres d’éducation civique ou religieuse, on forme tous les citoyens, à ce que les Palestiniens peuvent avoir des religions différentes, peuvent être musulmans ou chrétiens… Donc ça dépendra de ce que nous nous ferons. Les Palestiniens sont très bien disposés, il n’y aura aucune opposition à toute demande raisonnable que nous ferons.


Accord Saint-Siège et AP

Les relations entre le Saint-Siège et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) datent de 1994. Elles ont abouti, en l’an 2000 à une rencontre entre le pape Jean-Paul II et Yasser Arafat, président de l’Autorité palestinienne. À l’issue de cette rencontre un Accord fondamental était signé entre le Saint-Siège et l’OLP agissant au nom de l’Autorité palestinienne. Cet Accord reconnaissait juridiquement, la présence de l’Église catholique dans les territoires sous contrôle palestinien et requerrait dans son préambule, des garanties pour Jérusalem.
Sur la base de l’Accord fondamental de 2000, les discussions ont repris en décembre 2010 entre le Saint-Siège et l’Autorité palestinienne, discussions qui « tendent à un accord international réglant et promouvant la présence et les activités de l´Église catholique dans les Territoires palestiniens, pour renforcer les relations spécifiques entre le Saint-Siège et l´OLP ».
Cet accord, faisant le pendant à celui signé en 1993 entre le Saint-Siège et Israël, garantirait les droits de l´Église catholique en territoire palestinien, droits fondés, d´une part, sur le respect de la liberté religieuse et de conscience et, d´autre part, sur l´égalité entre tous les citoyens du futur État palestinien, indépendamment de leur religion.


 

Benoît XVI appelle à un État palestinien

« M. le Président (Mahmoud Abbas) le Saint-Siège soutient le droit de votre peuple à une patrie palestinienne souveraine sur la terre de ses ancêtres, sûre et en paix avec ses voisins, à l’intérieur de frontières reconnues au niveau international. » Ce sont ces mots que le pape Benoît XVI avait choisis lors de son voyage en Terre Sainte en 2009, pour exprimer sa volonté de réconciliation et de paix entre Israéliens et Palestiniens. Dans cette déclaration la position de l’Église est claire. Elle est favorable à la résolution du conflit par la solution des deux États.
Devant le Président israélien Shimon Pères, avant son départ pour Rome il ajoutait : « Que la solution de deux États devienne une réalité, et ne reste pas un rêve. Et que la paix jaillisse de ces terres, qu’elles soient « lumière des nations », apportant l’espérance à tant d’autres régions affectées par les conflits. »

Dernière mise à jour: 31/12/2023 19:31

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