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Jérusalem, la ville d’or

Sofia Sainz de Aja
31 janvier 2012
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Jérusalem, la ville d’or
De la porte de Jaffa à la Porte de Sion, la beauté des pierres au soleil couchant mérite la promenade.

Elle fait le bonheur de Jérusalem. Mais d’où vient cette pierre qui prend » la lumière pour faire scintiller la ville de mille feux ?


Une lumière éblouissante, presque surnaturelle, enveloppe la ville sainte d’un halo mystérieux depuis la nuit des temps. Nombreux sont les pèlerins et touristes qui reviennent dans leur pays évoquant « cette lumière si particulière qui semble émaner de Jérusalem » spécialement au lever et au coucher du soleil. Cependant, malgré les apparences, il ne s’agit pas d’un fait inexplicable. Il suffit pour comprendre ce phénomène d’examiner le matériau avec lequel la ville entière est bâtie. Cette pierre blanchâtre aux reflets rouges et jaunes ou aux tonalités grises ou brunes donne à Jérusalem un caractère unique, qui suscite tout particulièrement l’émerveillement des visiteurs venus de loin et qui jamais n’ont vu pareille harmonie architecturale. Elle est appelée d’ailleurs « la pierre de Jérusalem », la ville sainte étant le seul lieu au monde où elle est employée. La pierre est en réalité un mélange de différents types de pierres calcaires, caractéristiques de toute la région de Judée dont Jérusalem est la capitale.

Photochrome pris à Jérusalem entre 1890-1900. © G. Eric and Edith Matson Photograph Collection/ Library of Congress, Washington DC

Mariage des éléments

Pendant des siècles, la pierre était extraite de nombreuses carrières situées tout autour de la vieille ville qui aujourd’hui n’existent plus. De nos jours, la majorité des bâtiments de la ville sont construits avec ce matériau, tout du moins en façade – une fine couche de pierres recouvrant le ciment. L’expression « Golden Jerusalem », la ville d’or, est née précisément de la rencontre de cette pierre avec la très forte lumière du soleil caractéristique de cette région de la planète. « Cette qualité propre à Jérusalem est le résultat de l’action du soleil qui fait jaillir la lumière de la pierre » souligne l’architecte israélien Michael Schwartz interviewé à l’American Colony Hotel situé dans la partie orientale de la ville sainte. « Le matin, la lumière réveille les teintes les plus claires de la pierre, ses tons jaunes, tandis qu’à la fin du jour, les tonalités rougeâtres du soleil couchant ravivent la ville de mille feux » explique Schwartz, fin connaisseur de la pierre de Jérusalem. Mais que nul ne s’y trompe, la qualité de la vraie pierre de Jérusalem n’a rien à voir avec ses imitations, les nuances de prix attestant de la différence. « L’authentique pierre de Jérusalem est dure, polie et fait preuve d’une grande résistance aux intempéries » souligne Schwartz qui l’emploie dans chacun de ses projets. Elle donne toutefois lieu à de nombreuses imitations qui de la pierre de Jérusalem n’ont que l’apparence. Des contrefaçons qui sont en réalité des condensés de sables et de minéraux extraits des carrières d’Hébron, de Birzeit ou d’autres régions palestiniennes.
« La ville sainte n’est pas intégralement construites avec la vraie pierre de Jérusalem » précise l’architecte israélien. Néanmoins, même si elles sont de qualité inégale, les imitations ressemblent de près aux pierres originales, de par leur couleur subtile en dégradés de blanc et leurs variations de relief. Et le résultat est prodigieux. La ville donne l’impression d’être bâtie de toutes parts par cette pierre aux mille reflets.

La fabrique Murra exploite dans les environs de Beit Jala une carrière qui fournit aussi le voisin israélien.

La petite sœur de Bethléem

Cependant, il est facile de se méprendre et de confondre les vraies pierres de Jérusalem avec leurs imitations. « Nous en sommes arrivés à utiliser l’appellation « pierre de Jérusalem » pour donner à n’importe quelle pierre le prestige d’une marque » ajoute Dimitri Abughattas depuis son bureau de Bethléem. Tailleur de pierre de la région de Beit Jala, il travaille pour l’entreprise « The Technical Saw ». Une histoire de famille. Cette compagnie de tailleurs de pierre a été fondée par son arrière grand-père en 1952, et depuis cette date l’entreprise est toujours restée aux mains de la famille, le savoir-faire étant continuellement transmis de génération en génération. Fiers d’être la première compagnie de tailleurs de pierre agréés de la région, ils gardent encore dans leur fabrique la toute première machine à tailler la pierre, un modèle de 1947 qui bien sûr ne fonctionne plus. « Elle est entreposée au beau milieu de l’atelier, nous ne l’avons jamais déplacée » raconte Dimitri « c’est notre porte-bonheur ». La ville de Bethléem regorge de compagnies de tailleurs de pierre toutes plus grandes les unes que les autres mais comme le souligne Dimitri « c’est un métier où nous nous entraidons énormément ». La majorité des matières premières qui arrivent à la fabrique viennent des carrières palestiniennes, même si certaines sont également en provenance de Jérusalem.

La famille Abughattas est spécialisée dans la taille artistique de la pierre et répond à une forte demande de fonds baptismaux et d’objets religieux pour les églises orthodoxes de la région. Pour ce qui est de la production massive de matériaux de construction, il y a la fabrique Murra, à Beit Jala également, explique Dimitri. Située au cœur d’une carrière de pierres, la fabrique dispose de machines italiennes ultramodernes capables de découper d’énormes blocs de pierres bruts en morceaux réguliers prêts pour la construction. Les pierres sont vendues aussi bien en Palestine qu’en Israël. « En général, notre plus gros client est Israël dans la mesure où la pierre est le matériau de construction le plus populaire du pays, qu’elle soit authentique ou qu’elle vienne des carrières palestiniennes qui taillent des pierres qui ressemblent beaucoup à la pierre de Jérusalem » affirme Dimitri. Il précise aussi que de nombreux matériaux sont exportés à l’étranger, et tout particulièrement la pierre de Jérusalem. Parmi les pays demandeurs, la Chine. « Les Chinois aiment ce type de pierre pour sa couleur qui tend au jaune, c’est quelque chose qu’ils n’avaient jamais vu auparavant et qui n’existe pas en Chine », explique Dimitri. Autre avantage pour le marché des tailleurs de pierre : à chaque rénovation ou réhabilitation de bâtiments à Jérusalem, une pierre identique à celle employée pour l’édifice original doit être utilisée pour conserver l’harmonie de la façade. « C’est quelquefois un vrai casse-tête. Lorsqu’il s’agit de la vraie pierre de Jérusalem, elle est facile à identifier et à réutiliser, sinon il faut parfois aller chercher des pierres à l’autre bout de la Palestine simplement pour surélever une maison. »

Pour respecter les normes de construction à Jérusalem, il faut revêtir de pierre les constructions de béton.

Jérusalem encerclée

Les carrières de pierres sont les seules à fournir des matériaux de construction à proximité, et pour cette raison la ville de Jérusalem en était entourée de toutes parts. Elles se trouvent plus exactement sous la ville, la pierre étant extraite des strates inférieures de la roche. Originellement, la pierre de Jérusalem était utilisée par commodité, il était plus facile de construire avec des matériaux disponibles sur place, sans avoir besoin de les transporter jusqu’aux chantiers de construction.
Mais où sont donc passées toutes ces carrières de pierres qui ceinturaient autrefois la ville ? Les deux seuls restes de carrières visibles aujourd’hui sont Rehov Hamadregot à Nahlaot et près de la station d’autobus de Jérusalem-Est. L’impact sur l’environnement est à l’origine de cette disparition, dans la mesure où la poussière issue de la taille des pierres est nocive et provoque de graves maladies respiratoires. Aujourd’hui il est donc impossible d’exploiter des carrières au milieu d’une ville. Il est prouvé qu’elles altèrent les écosystèmes environnants en détruisant leur biodiversité. C’est aussi pour cette raison que pendant des décennies il était compliqué de trouver d’authentiques pierres de Jérusalem. Cependant, à l’heure actuelle de nombreuses recherches sont menées pour envisager la possibilité de réhabiliter les carrières tout en réduisant leur impact sur l’environnement. En outre, comme l’expliquait Michael Schwartz, la prolifération de parkings souterrains a permis de recommencer à obtenir des pierres de Jérusalem, le forage de la roche étant inévitable pour de telles constructions.
Néanmoins, le caractère unique de Jérusalem est sûrement au-delà de ses pierres et personne ne peut rester indifférent à sa lumière. Pour celui qui n’en a pas encore fait l’expérience, il suffit d’aller s’asseoir dans un coin élevé de Jérusalem au moment du coucher ou du lever du soleil pour assister à un spectacle flamboyant. ♦


Opportunisme

« La pierre est extraite des strates inférieures de la ville et nous assistons depuis peu à une réapparition de l’usage de la véritable pierre de Jérusalem. Pendant de nombreuses années l’extraction de la pierre était presque impossible mais de nos jours, grâce aux nombreux parkings souterrains en construction et aux nouvelles technologies, nous recommençons à extraire la pierre de Jérusalem».♠

 

Dernière mise à jour: 01/01/2024 00:45

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