Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Rouvrir le dialogue pour sauver Israël

Manuela Borraccino
28 mai 2021
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Rouvrir le dialogue pour sauver Israël
Un groupe de manifestants pour la paix et le dialogue devant les murs de Jérusalem le 19 mai 2021 ©Yonatan Sindel/Flash90

Shlomo Ben-Ami, Edgar Keret, David Grossmann, Daniel Bar-Tal : les appels de certains intellectuels israéliens pour un changement de leadership dans l'Etat hébreu et pour de nouvelles initiatives diplomatiques internationales.


Cherche : porte de sortie. Au lendemain de la récente guerre qui a été déclenchée entre le Hamas et l’État d’Israël, les Nations unies évaluent les dégâts dans la bande de Gaza, avec 52 000 personnes déplacées, 53 écoles et 6 hôpitaux endommagés par les bombardements (sans compter les 248 victimes palestiniennes qui sont décédées et les 13 morts en Israël). Au sein de la société israélienne se lèvent les voix de ceux qui espèrent que la vague de violence qui, pour la première fois depuis des décennies, a aussi éclatée entre Juifs et Arabes israéliens, apparaît comme un coup de semonce capable de provoquer un changement de cap et un retour à la table des négociations.

Grossman : « Nous devons croire que la paix est possible »

« Cette dernière guerre sera-t-elle l’occasion pour nous, Israéliens, de nous convaincre que notre puissance militaire est désormais presque insignifiante ? Que l’épée que nous brandissons, aussi longue et lourde soit-elle, à l’heure de la vérité s’avère toujours être une épée à double tranchant ? » s’est demandé l’écrivain David Grossman le soir du 22 mai, dans un discours prononcé depuis la scène d’une manifestation pacifiste de Tel Aviv.

« Ce qui s’est passé dans les villes mixtes est effrayant : maintenant, quelles seront les relations en Israël entre Arabes et Juifs ? » a-t-il insisté, à propos des affrontements qui ont eu lieu à Lod et dans d’autres villes israéliennes, et qui ont été qualifiés par le président israélien Reuven Rivlin comme des « pogroms », en utilisant un langage d’avant 1948, chargé de mémoire et lourd de sens, comme l’ont relevé de nombreux commentateurs. Unissons les forces les plus saines de nos sociétés israélienne et palestinienne, tel était l’appel de Grossman, afin que « lorsque la nouvelle vague de meurtres éclatera, et je crains qu’elle ne revienne dans quelques années, nous puissions l’affronter avec une résistance plus réfléchie et plus mûre, comme nous le voyons déjà ces jours-ci avec tant de rassemblements, de débats et de magnifiques initiatives ».

Ben Ami : « Pour Israël, c’est la fin de la complaisance »

Ces derniers jours, un autre grand nom de l’establishment israélien, l’essayiste et ancien ministre des Affaires étrangères et de la Sécurité intérieure entre 1999 et 2001, Shlomo Ben Ami, était intervenu dans les colonnes du quotidien El Pais pour rappeler combien les nouveaux affrontements étaient le résultat de l’effondrement du processus de paix : « Cette guerre a pris par surprise une nation piégée dans son autosatisfaction. Malgré tous les efforts déployés par Netanyahu au cours des 12 dernières années pour faire oublier aux Israéliens la question palestinienne – a fait remarquer Ben Ami – nous savons que les causes de ces nouveaux affrontements sont bien plus profondes que les prétextes pour lesquels ils ont apparemment éclaté ».

Lire aussi >> Israël-Hamas : les armes se taisent, mais pas les causes de l’embrasement

La violence qui a secoué les villes israéliennes montre qu’ « il n’y a guère de raison de crier victoire : la fragile coexistence entre Juifs et Arabes à l’intérieur des frontières israéliennes a été dévastée et le consensus interne parmi les Israéliens qui croyaient que le nationalisme palestinien avait disparu et que, par conséquent, une solution politique n’était plus nécessaire, a volé en éclats ».

Bar-Tal : « Notre démocratie en danger »

Les nouvelles victimes du conflit « ne sont pas le résultat de l’impact d’un astéroïde mais sont l’explosion finale provoquée par des mesures prises les unes après les autres menant à un désastre annoncé à l’avance », affirme l’universitaire Daniel Bar-Tal, selon qui « les guerres continueront tant que la communauté internationale assistera à ces bains de sang sans action décisive et résolue pour mettre fin à cette absurdité ».

En Israël, « ils sont incapables de le faire en raison de la mentalité nationaliste et conflictuelle partagée par les dirigeants et la majorité des Juifs israéliens », souligne le professeur. « Le Hamas et les Palestiniens ont également leurs responsabilités, mais dans une mesure bien moindre qu’Israël, qui est une superpuissance et détient le plus grand pouvoir pour initier et mener des négociations, et mobiliser les Palestiniens et les États arabes en faveur de la paix », déclare l’universitaire.

Ce dernier a consacré plus d’un demi-siècle d’activité académique à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël, une vingtaine de livres et des centaines d’essais sur la manière dont se construisent les barrières socio-psychologiques qui rendent certains conflits « insolubles », et sur la manière dont s’est construite une éthique du conflit devenue majoritaire en Israël au cours des 25 dernières années. Pourtant, répète Bar Tal, reprenant un thème qui lui tient à cœur, cette situation provoque « la désintégration de la société israélienne et l’effondrement de la démocratie » car « avec l‘annexion progressive de la Cisjordanie et le contrôle de Gaza, comme cela se fait déjà de manière informelle, Israël devra bientôt faire face au défi de donner des droits égaux à des millions de Palestiniens ».

Keret : « Nous ne reconnaissons pas nos erreurs »

« Nous ne sommes pas un pays prêt à reconnaître ses propres erreurs », énonce l’écrivain Edgar Keret, en écho à une série d’idées et de convictions exprimées ces derniers jours par les Israéliens qui ont soutenu le bombardement sur la bande de Gaza et les accusations d’antisémitisme portées par certains concernant l‘enquête lancée le 3 mars dernier par la Cour pénale internationale sur la situation dans laquelle Israël maintient les Palestiniens depuis 2014. Lorsque la prochaine guerre arrivera, dit Keret avec son ironie caustique, le risque sera « de bombarder sérieusement et de mettre fin à l’histoire une fois pour toutes ».

Sur le même sujet