Vous avez envie d’entendre parler de Jérusalem et de ses habitants à hauteur de l’amour que vous lui portez ? Vous êtes fatigués des nouvelles et de la géopolitique et désirez retrouver des hommes et des femmes qui vivent et qui aiment, qui rient et cuisinent, qui chantent et qui espèrent ? Allez voir le spectacle de Claire Bastier.
Un jour de 2020, elle posé son gilet pare-balles. Khallas / Gamour : C’est fini. Après six ans de bons et loyaux services comme journaliste en Israël et Palestine, Claire Bastier a fait une overdose de politique. Quand le 7-Octobre nous a coupé le souffle, elle envisage de reprendre du service, mais non.
Autant elle a besoin de faire entendre sa voix – “Je ne pouvais plus rester silencieuse” – autant, il fallait qu’elle s’exprime autrement. Du journalisme au spectacle seule en scène, la reconversion professionnelle s’est faite par étapes. On y verrait bien la main de la Providence si Claire n’était pas en pause avec elle. Pourtant tout a commencé avec un pèlerinage paroissial. Nous sommes en avril 2014, le pèlerinage est classique, il se termine à Jérusalem.
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“Nous sommes arrivés au mont des Oliviers. Descente à pied, entrée par la porte des Lions. C’est là que j’ai une espèce de révélation. Je me souviens très bien, en passant la porte tout s’agite ; Sainte-Anne, Al-Aqsa, le muezzin… il y avait des vendeurs, des touristes, des pèlerins… quelque chose se passe, un bouleversement, comme si mon âme retournait à cet endroit.” Claire a 27 ans, Jérusalem vient de la saisir et va bouleverser sa vie.
À peine est-elle rentrée qu’elle prend déjà un billet pour Tel Aviv. Elle veut rencontrer les gens. La veille de son départ, celle qui a enchaîné les contrats précaires durant des années, voit le fruit de son travail récompensé. France Culture lui propose un contrat à durée indéterminée. Las, l’appel de Jérusalem est plus fort. Quatre mois après son premier séjour, Claire pose son baluchon dans la ville sainte. Elle se donne un mois pour jauger si elle peut y construire un avenir. Essai concluant, même si elle entrevoit qu’il faudra manger de la vache enragée. Et cela ne va pas manquer.
Entre le terrain et la boulangerie
Afin de mieux rencontrer les gens, Claire met en place un plan d’immersion : découverte des cultures et surtout apprentissage des langues, les deux, en simultané, hébreu et arabe. “J’ai passé des soirées à me concentrer pour comprendre ce dont mes hôtes parlaient. J’en sortais avec des maux de tête. On acceptait mes balbutiements, me corrigeait, je progressais.”
Pour vivre, Claire travaille pour qui veut lui confier quelque chose, le Consulat général de France, le Christian Media Center, Terre Sainte Magazine, puis les suppléments du Figaro, La Croix. “J’ai vraiment galéré la première année !”
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C’est le quotidien La Libre Belgique qui lui permet en septembre 2015 de décrocher un visa de travail en Israël. “C’est à ce moment-là que j’ai vraiment commencé le journalisme de terrain.” Ce n’est pas tout à fait suffisant pour vivre, alors Claire se met à travailler dans une boulangerie – une autre de ses passions. 2016, c’est le graal, le correspondant du Monde lui propose de le remplacer durant ses vacances.

OÙ VOIR “JÉRUSALEM DANS LA PEAU” ?
Chez vous ! Claire est maintenant intermittente du spectacle. Toujours basée à Marseille, elle se déplace néanmoins dans la France entière pour donner des représentations. Le spectacle tourne chez les particuliers, dans des cafés associatifs et des petits théâtres. Pour voir le conte théâtral de Claire, organisez-le avec elle dans votre ville !
Durée du spectacle : 1h15.
Contact : claire.bastier@gmail.com – 06 16 30 55 43
“C’est l’été, je travaille en direct avec la rédaction de Paris. C’est passionnant, mais c’est hyper exigeant. Le rythme, le niveau de connaissances. Je dévore les livres de géopolitique, de politique locale. Avec La Libre c’était du reportage sociétal, sociologique. Avec Le Monde, on tape dans le dur de la politique.” On savait déjà qu’elle n’avait pas trop de quoi manger, on découvre qu’elle ne doit probablement pas beaucoup dormir non plus car en parallèle, Claire accroît sa présence sur le terrain pour faire du journalisme à hauteur d’hommes, pour mieux cerner les conséquences du politique sur les sociétés.
Sa connaissance des langues lui permet de travailler sans fixeur (journaliste local qui connaît le terrain, ndlr) et sortir ainsi des sentiers battus par les collègues. Avec sa connaissance du pays, s’allonge aussi la liste de ses amis, tant en Israël qu’en Palestine – Cisjordanie et Gaza. Il ne faut pas voir l’immersion de Claire comme un travail sous couverture. Ce n’est pas feint, Claire devient une jérusalémite comme les autres à ceci près qu’elle navigue d’un côté et de l’autre de la frontière que le conflit érige entre les deux sociétés.
Dans le dur du journalisme
Son travail lui a valu d’entendre mille histoires. Sa vie personnelle d’entrer dans l’intime de la joie et de la douleur que procure la vie sur place. Mais la ville qui tue les prophètes, consume aussi les journalistes. Après six ans, c’est le trop plein. “J’écrivais la nuit pour Le Monde, le jour pour La Libre et j’étais fatiguée d’écrire sur la politique. Mon corps me donnait des signaux, il fallait arrêter et arrêter tout, même le journalisme.” La double décision est radicale et il faut la digérer.
Claire rentre en Europe dans un cargo où elle a chargé son vélo qui lui permettra de remonter d’Italie vers la France. Elle se fixe à Marseille “où je trouve une lumière similaire à celle de Jérusalem”. Après avoir envisagé de devenir boulangère, l’écriture la rattrape, elle suit une formation pour animer des ateliers et écrit pour elle-même sur… Jérusalem. Écrire sur la ville sainte, c’est aussi ne pas la quitter même s’il a fallu prendre des distances. Claire sait ce qu’elle doit à cette ville, elle sait aussi ce qu’elle lui a donné. Il lui faudra deux à trois ans pour se remettre physiquement de son épuisement.

L’écriture participe de la récupération et de l’envie de continuer à partager ce qu’elle en a reçu. “Je suis revenue avec 30 carnets de notes, des histoires qu’aucun article ne restitue vraiment”. Un recueil de poèmes sortira fin 2025. Mais cela ne suffit pas encore. Claire veut aussi parler, alors elle se forme au métier de conteur et se plonge dans les contes palestiniens et juifs. Elle les narre d’autant mieux qu’elle en connaît les images, le soleil, les arbres, le désert, les vieux courbés et les enfants qui jouent.
Survient le 7-Octobre, “la chose” comme elle le nomme. Claire était en Galilée, revenue une nouvelle fois, comme une dizaine de fois depuis son départ en 2020. Elle rentre en France le 14 octobre en état de choc. Elle renonce à repartir comme journaliste mais après un temps de sidération, elle sait vouloir, devoir peut-être, parler des gens qu’elle aime. Il y a même urgence à le faire. C’est la directrice d’une salle de spectacle à Marseille qui force le destin. Elle l’informe en janvier qu’elle a une date libre en février et lui propose de donner un récit. Claire a trois semaines pour écrire le texte qu’elle intitulera “Jérusalem dans la peau”.
Lʹurgence dʹune autre parole
“Je commence par un chant en arabe, j’enchaîne sur mon histoire et je lis des poèmes en hébreu ou en arabe. Je raconte un conte palestinien en plein milieu. Ailleurs j’évoque un conte yiddish.” À l’issue de la première représentation, le 2 février 2024 (Claire a-t-elle vraiment oublié que c’est la fête de la Présentation du Seigneur au Temple ? Providence quand tu nous tiens…), c’est la Révélation, c’est ça. Elle doit faire cela. Ses amis n’en reviennent pas non plus, on la sait dotée de tous les dons mais quand même, cette aisance sur scène, cette fluidité. C’est un succès dès la première représentation. “Je pense que les gens avaient besoin d’entendre un discours apaisé.”
Le spectacle est aconfessionnel, il n’en est que plus universel dans le contexte. “Je crois que les gens sont émus par l’attachement à ce lieu. Certains me disent que leur Jérusalem est au Maroc, à Tokyo. Ce qui touche c’est d’être tombée amoureuse d’un lieu avec lequel je n’avais aucun lien. Je pense que certains spectateurs sont touchés par le fait que j’incarne les lieux. C’est mon histoire qui se passe en Palestine, en Israël, mais je parle surtout de mes amis. Il n’y a pas de géopolitique, ni de froide analyse. »
« Pour autant, je ne pense pas que le spectacle soit naïf, poursuit la jeune femme. Il est nourri de mon passé journalistique, de ce que je sais, mais je fais parler des gens. Je parle de leur quotidien, de notre amitié, de cuisine, de la façon dont un tel était habillé. Toutes ces anecdotes font redescendre la pression qui s’empare de nous quand on évoque Israël et la Palestine”.
Claire parle de son conte théâtral et son amour pour cette terre et ses habitants transpire. “Ce n’est pas un spectacle de nostalgie sur ce que j’ai vécu. C’est pour cela que depuis la première représentation, des parties ont changé au rythme des nouveaux séjours de Claire dans le pays. Parce que fondamentalement, j’ai voulu apporter de la lumière dans ce chaos”. C’est bien ce dont nous avons besoin.