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À Tibériade, la pêche est une tradition bien actuelle

Claire Bastier
29 novembre 2015
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La pêche sur le lac de Tibériade est une tradition qui perdure, malgré
la baisse progressive des espèces endémiques et surtout l’essor de l’élevage piscicole en Israël. Le poisson de Saint-Pierre, est ainsi toujours pêché ici par une poignée d’hommes passionnés qui perpétuent les gestes d’un savoir-faire millénaire déjà attesté dans les Évangiles.


Le vent souffle légèrement et fait tanguer les navires de tourisme amarrés au port du kibboutz Ein Gev. A 8 h 30, il fait déjà chaud, Menachem et ses coéquipiers préparent le bateau, vérifient l’état des filets en les ramendant si nécessaire. Après quoi, il est temps d’appareiller.

Ce faisant, ils perpétuent une tradition vieille de plusieurs siècles mentionnée dans les Évangiles lorsque Jésus prêche sur les rives du lac, lieu de vie des pêcheurs juifs à la fin de l’époque du Second Temple. Et c’est d’ailleurs parmi eux qu’il choisit ses disciples pour en faire des “pêcheurs d’hommes”. Nos pêcheurs contemporains prennent, quant à eux, de la sardine, du barbu et surtout du tilapia.

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Menachem a chaussé ses bottes marron et monte dans le chalutier. Avec une coque en métal renforcé, ce dernier date de 1956 lorsqu’une partie de la rive orientale du lac était syrienne ; Israël s’en emparera en 1967 avec le plateau du Golan.

Parmi les pêcheurs ce matin, Yairi, la cinquantaine, pêche depuis qu’il a 23 ans, raconte-t-il en souriant timidement, d’abord avec son père au kibboutz Ginossar, principal port d’attache de la rive occidentale du lac puis ici. Son fils Hod, 26 ans, l’accompagne depuis qu’il a terminé l’armée il y a 4 ans. Enfin, Ofer qui rallie occasionnellement l’équipage. Deux générations de pêcheurs, les premiers, témoins d’une période parvenue à son crépuscule et les seconds attirés par une vie éloignée des préoccupations contemporaines urbaines.

Un lac poissonneux

Pas un pèlerin qui passe en Israël sans voir le lac. C’est là en effet que Jésus, quittant Nazareth, commence son ministère, sur les rives du lac, Yam Kinneret dans l’Ancien Testament – yam désignant aussi bien la mer qu’une étendue d’eau plus modeste dans les terres – et Mer de Galilée dans le Nouveau Testament – lac de Tibériade, n’étant mentionné qu’une seule fois Jn 6, 1. Et en ce temps-là, la vie au bord du lac est nécessairement liée à la pêche et jusqu’aux années 1950, des Hébreux aux Arabes, les techniques changent peu.

Après 1948, les pêcheurs juifs introduisent des méthodes modernes : d’abord en lin, les filins de coton sont remplacés en 1960 par des fils en matière plastique synthétique invisible pour les poissons, permettant la pêche de jour. Les pêcheurs naviguent désormais sur des bateaux à moteur et disposent de détecteurs électroniques pour repérer les bancs de poissons. Ainsi, l’épervier cité par Marc n’est plus utilisé par les professionnels depuis 1955. En revanche, la technique qu’emploient Menachem et son équipage est celle de la seine coulissante, la plus courante pour prendre le tilapia.

“Le tilapia a toujours existé dans le lac de Tibériade, raconte Menachem. Bizarrement, on le trouve en quantité au même endroit depuis des générations”. Jésus commence à prêcher sur le rivage de Tabgha, faubourg artisanal de Capharnaüm, dont les sources chaudes attirent ces poissons d’origine tropicale. Il en existe ici 5 espèces, toutes caractérisées par une longue nageoire dorsale.

Ainsi, le plus commun se dit en arabe mousht abiad, peigne blanc. Sarotherodon galilaeus ou tilapia galilea en latin, ce poisson plat aux écailles argentées peut atteindre 40 cm de long et peser quelque 2 kilos. Il est aussi nommé amnun hagalil, “mère des poissons” en hébreu – am signifiant “mère” et nun est un des noms bibliques pour désigner les poissons.

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En effet, après la ponte des œufs et leur fertilisation, les adultes prennent ces derniers dans leur bouche pendant deux ou trois semaines, avant leur éclosion. Cette caractéristique laisse supposer que ce poisson pourrait facilement gober une pièce de monnaie. Ainsi Jésus demande-t-il à Pierre d’aller en pêcher un pour y trouver le didrachme destiné à la redevance du Temple (Mt 17, 27) ; d’où le nom de Saint-Pierre ! Mais la présence constante du tilapia dans les eaux du lac n’est plus seulement naturelle.

En fait, des centaines de milliers de tilapias sont réintroduits chaque année, avec en 2013 quelque 600 000 poissons d’abord élevés dans des piscines près du kibboutz Ginossar. Soutenu par le ministère de l’Agriculture pour résoudre la baisse progressive de poissons dans le lac, un tel élevage permettrait de garantir la biodiversité du lac et de purifier l’eau de certaines toxines produites par les algues dont ils se nourrissent.

Les flots sont calmes ce matin, seuls de minces moutons blancs en parcourent la surface. De sa cabine, Menachem l’observe attentivement, mais il écoute surtout le sonar qui repère les bancs de poissons situés jusqu’à 20 m de profondeur. “Un jouet pour les gamins, pas pour moi” plaisante-t-il, avant de montrer la vieille machine Elac, un écho sondeur à papier datant de 1942, devenue obsolète. “Avec le sonar, le bateau du kibboutz est le seul qui pêche de jour, explique-t-il. Les autres pêcheurs continuent de prendre le poisson de nuit, à la torche.” Menachem connaît les moindres recoins du lac qu’il parcourt depuis 36 ans.

Ils étaient 65 bateaux en 1990 à pêcher sur le lac, avec quelque 150 pêcheurs issus de Tibériade, Migdal ou encore des kibboutz Ein Gev ou Ginossar. Ils sont aujourd’hui 25 embarcations réparties sur les deux rives.

Le miracle c’est l’eau

Le moteur continue de vrombir. L’œil perçant et l’oreille aux aguets, Menachem repère enfin un petit banc de tilapias au sonar. L’ancre est jetée. Le filet entassé sur le pont arrière, long de 300 m et large de 40 m, est déroulé dans l’eau en un cercle qui va se resserrer progressivement autour du banc pour le cerner. Après quelques minutes, la poulie tourne bruyamment sur le pont arrière : le filet est progressivement tiré hors de l’eau. Les pêcheurs s’activent en-dessous. Piégés, les premiers poissons frétillent à la surface de l’eau.

Enfin, le banc remonte et leurs écailles étincellent au soleil. Déversés dans la barque remorquée par le chalutier, ils sont triés selon leur taille. Ce n’est pas la pêche miraculeuse, d’autant que les plus jeunes, et donc les plus petits en taille, sont rejetés à l’eau. “On n’a pas besoin de prendre d’énormes quantités, explique Menachem. Le lac nous les conserve pour les jours suivants.

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En été, jusqu’à 250 kilos peuvent être pêchés par jour dans les eaux du lac et de novembre à février, 400 kilos en moyenne. Deux grosses carpes et un poisson-chat sont également pris. Ce dernier n’a pas d’écailles : impropre à la consommation selon la loi juive (Lv 11, 10-11), il est rejeté à l’eau. Une fois toutes les caisses remplies de poissons et recouvertes de glace, elles sont empilées et mises à l’abri du soleil sous une bâche. Les pêcheurs remontent à bord du chalutier : la pêche se termine. D’ailleurs, il est temps de rentrer : le vent d’ouest chasse le vent du sud et des vaguelettes se forment rapidement à la surface de l’eau, annonciatrices de vagues plus importantes pour l’après-midi.

“Ces lieux ont quelque chose de sacré, non seulement avec Jésus mais aujourd’hui encore, conclut alors Menachem, philosophe. Le premier miracle, c’est de disposer d’une telle surface d’eau douce pour pêcher, en-dessous du niveau de la mer. Le deuxième, c’est le vent du sud qui oxygène l’eau”. Une régulation naturelle que reproduisent artificiellement les centres d’élevage piscicole intensif : “Je ne crois pas dans la technologie, ajoute-t-il, le regard fixé sur les ondes bleues. Les tilapias pêchés ici ont 2 ou 3 ans. Ceux d’élevage sont vendus à 3 ou 4 mois et pourtant ils sont deux fois plus gros. C’est juste pour gagner plus d’argent. Il faut garder la vraie pêche et manger de bons poissons, pas des animaux bourrés d’hormones.” Alors Menachem en est certain : parce qu’il vient du lac, le Saint-Pierre est le meilleur poisson au monde.

Dernière mise à jour: 19/11/2023 10:57

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