
Aujourd’hui, le taux d’emploi des femmes palestiniennes citoyennes d’Israël frôle les 50 %. Un chiffre inimaginable il y a seulement vingt ans, nous explique Amnon Be’eri-Sulitzeanu, de l’ONG The Abraham Initiatives.
« Beaucoup pensent que les Palestiniens vivent uniquement en Cisjordanie, dans la bande de Gaza ou à l’étranger, hors d’Israël. Mais ce n’est pas le cas. 20% de la population en Israël est palestinienne. » De l’autre côté de l’écran, en visioconférence, se trouve Amnon Be’eri-Sulitzeanu, Israélien juif, codirecteur depuis plus de vingt ans – avec un collègue palestinien – de The Abraham Initiatives.
Il s’agit d’une organisation non gouvernementale israélienne qui, depuis 1989, œuvre à promouvoir l’égalité des droits entre citoyens israéliens, qu’ils soient juifs ou palestiniens. « Notre travail – ou plutôt notre mission dans la vie – consiste à faire en sorte que juifs et Palestiniens puissent coexister en Israël et bénéficier de conditions de vie et de travail sur un pied d’égalité », précise Be’eri-Sulitzeanu au début de l’entretien.
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Nous lui demandons une analyse et un commentaire sur la situation de la population palestinienne en Israël, à partir d’un chiffre en un sens surprenant : en mai 2025, le taux d’emploi des femmes arabes du pays a atteint 49,4 %. Un niveau inimaginable seulement vingt ans auparavant. En 2006, en effet, seulement 18 % des femmes arabes en Israël avaient un travail, contre plus de 53 % des femmes juives.
• Comment interpréter les données récentes concernant la participation des femmes arabes en Israël au marché du travail ?
En 2025, le taux d’emploi des femmes arabes a presque triplé par rapport à 2006. Les économistes estiment que ce bond contribue chaque année pour environ 15 milliards de shekels (près de 4 milliards d’euros) au PIB d’Israël. Le gouvernement s’est désormais fixé un objectif officiel de 53 % d’ici 2030, un objectif réaliste, qui pourrait même être dépassé si les tendances actuelles se poursuivent. Mais il faut être clair : de graves disparités persistent. Les salaires des femmes arabes ne représentent encore que la moitié de ceux des femmes juives ; beaucoup, de plus, occupent des emplois peu rémunérés. Il existe néanmoins une trajectoire positive indéniable, qu’il faut continuer à suivre.
• Dans quel cadre plus large s’inscrit aujourd’hui la question de l’emploi des femmes palestiniennes citoyennes d’Israël ?
Il faut préciser d’emblée qu’en Israël, des disparités existent entre citoyens juifs et arabes dans tous les domaines, tous les secteurs, tous les aspects imaginables de la vie : médical, social, économique. Les juifs – pour résumer – sont dans une meilleure situation que les Arabes. Ils reçoivent de meilleurs services, et ces services sont conçus uniquement en fonction des besoins de la population juive. Le domaine de la santé, par exemple, est éloquent. Il montre que les choses sont ici « presque égales », mais pas parfaitement égales.
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La barrière linguistique demeure également : la langue constitue encore un véritable obstacle. Beaucoup d’Arabes, pour accéder à des entreprises juives ou faire carrière, doivent parler couramment l’hébreu, mais dans de nombreux cas, vu la manière dont le système éducatif est structuré, cela n’est pas possible. De plus, dans les villes à forte population arabe, les opportunités manquent : emplois (usines, magasins, centres commerciaux…) et services (transports, crèches, etc.). Si vous êtes mère et souhaitez travailler, vous avez besoin d’une crèche ou d’une maternelle pour laisser votre enfant : dans de nombreux quartiers arabes en Israël, il n’existe tout simplement ni crèches ni écoles maternelles.
• Que faudrait-il pour réduire cet écart ?
Il existe de nombreux services dans lesquels le gouvernement doit encore investir afin de garantir une véritable égalité entre juifs et Arabes. Il revient au gouvernement de présenter un « paquet » inclusif. Il doit développer non seulement des entreprises et des lieux offrant des opportunités d’emploi, mais aussi améliorer les services de transport, d’aide sociale, d’éducation et de santé.
• The Abraham Initiatives travaille sur ces questions depuis plus de trente ans. Quelle est votre expérience et quel rapport entretenez-vous avec l’action du gouvernement ?
Je pars d’un exemple. Vers 2008, nous avons compris que l’une des principales causes de la pauvreté de la population arabe était que les femmes ne travaillaient pas hors du foyer. Lorsque nous sommes allés voir le gouvernement pour lui demander ce qu’il faisait à ce sujet, il nous a répondu qu’il s’agissait « d’une question de mentalité » contre laquelle on ne pouvait rien faire. Selon le gouvernement de l’époque, en résumé, une culture patriarcale et des barrières internes d’ordre culturel et social empêchaient les femmes arabes du pays de travailler hors du foyer. Nous avons donc décidé de lancer un programme expérimental, un projet pilote appelé Sharikat Haya (que l’on peut traduire par « Compagnes de vie »), afin d’évaluer la possibilité d’intégrer les citoyennes arabes au marché du travail.
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Nous nous sommes adressés en particulier aux femmes exclues du marché du travail : sans diplôme universitaire, mères, n’ayant jamais travaillé. Nous nous sommes dit : « Si nous parvenons à démontrer que cette partie de la population peut être intégrée, le gouvernement en sera convaincu. » Et c’est exactement ce qui s’est passé.
• Quelles étaient les caractéristiques de ce programme ?
Il se déroulait dans plusieurs localités arabes du nord et du sud d’Israël, dans des zones périphériques où la pauvreté est très élevée. Dans chacune de ces communautés, nous avons engagé un coordinateur local. Nous avons réussi à convaincre les femmes de participer au programme de différentes manières : parfois en passant par leurs enfants, en allant parler dans les écoles ; parfois par les parents. Nous avons également travaillé avec les maris, en leur expliquant que l’une des raisons de leur situation de pauvreté était que leurs épouses ne travaillaient pas, tout en précisant que cela ne porterait atteinte ni à leur tradition, ni à leur religion, ni à leur culture.
• Quels résultats avez-vous obtenus ?
Le résultat a été très positif. En cinq ans, plus de la moitié des participantes ont été intégrées avec succès sur un lieu de travail. Le projet a démontré que les femmes arabes peuvent non seulement travailler, mais aussi obtenir des promotions et – point le plus important – sortir leurs familles du cercle vicieux de la pauvreté. Nous sommes donc retournés voir le gouvernement, nous avons présenté les résultats et demandé leur extension à plus grande échelle. Et c’est ce qui a été fait.
Cela remonte à de nombreuses années, mais je peux dire que cela s’est réellement produit : le ministre du Bien-être de l’époque, Isaac Herzog (l’actuel chef de l’État), a veillé à ce que le programme soit élargi au niveau national. Cela a ouvert la voie à l’intégration de l’objectif d’encourager l’emploi des femmes arabes dans la Résolution gouvernementale 922, adoptée en 2015.
• Qu’est-ce que la Résolution gouvernementale 922 ?
Ce fut le premier plan gouvernemental quinquennal destiné à réduire l’écart socio-économique dans le pays. Ce fut également le premier plan de développement économique global pour la société arabe. Avec cette résolution, le gouvernement israélien a reconnu que la pauvreté des citoyens arabes d’Israël n’était pas seulement très négative pour eux, mais aussi pour l’économie israélienne dans son ensemble. Si l’économie israélienne doit croître, un moyen de l’y aider est d’investir davantage dans la communauté arabe. Actuellement, la Résolution gouvernementale 550 est en vigueur : un plan quinquennal (2022-2026) pour le progrès économique de la minorité arabe.
• Quelle est la position du gouvernement actuel sur ce sujet ?
Le gouvernement actuel cause sans aucun doute de nombreux dégâts parce qu’il ne se soucie pas des citoyens arabes, mais tout n’est pas perdu. Je le répète : tout n’est pas parfait, mais au ministère des Finances, ainsi qu’aux ministères du Commerce et du Bien-être, il y a des professionnels qui poursuivent les revendications pour lesquelles nous travaillons nous aussi, celles qui sont résumées dans le projet Sharikat Haya. Et nous comptons là-dessus.




