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Le petit troupeau des chrétiens de Gaza

Julio de la Guardia
30 septembre 2013
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Terre Sainte Magazine n’avait jamais encore parlé de la situation des chrétiens de Gaza. Si, sur place, le langage est à la modération, à l’extérieur de la bande côtière, des voix s’élèvent pour dénoncer une islamisation croissante de la société gazaouie et les conséquences pour la communauté chrétienne locale.


Bien qu’il n’existe pas de recensement officiel de la population permettant d’établir des statistiques précises, les chiffres, bien qu’approximatifs, sont éloquents : la Bande de Gaza compte environ 1,7 million d’habitants, dont près de 1 700 chrétiens, soit un pour mille. Parmi ceux-ci, 170 seraient de rite catholique latin, c’est-à-dire à peine un pour dix mille. Des données pour le moins déroutantes qui révèlent à quel point la communauté est restreinte et donc fragile, d’autant plus que le mouvement islamiste Hamas exerce son pouvoir sur Gaza depuis juin 2007, et tout porte à croire qu’il continuera à l’exercer au cours des prochaines années.

Orthodoxes  et Baptistes

La confession chrétienne la plus représentée dans la Bande de Gaza est de rite grec orthodoxe, dont la paroisse Saint-Porphyre (appelée ainsi en l’honneur d’un évêque de Gaza du Ve siècle), se situe dans le quartier de Zeitoun. L’église du Ve fut restaurée au XIIe siècle par les Croisés et présente d’importantes similitudes architecturales avec l’ancienne cathédrale Saint-Jean-Baptiste (sur les fondations de laquelle se trouve actuellement la Grande Mosquée de Gaza). La paroisse Saint-Porphyre est vivante, et l’église est comble chaque week-end pour la célébration de la divine liturgie.
C’est probablement parce qu’elle est la plus représentée que cette confession a connu de nombreux problèmes avec les autorités locales. L’archevêque grec orthodoxe Alexios n’a pas hésité à dénoncer le Gouvernement en place. Selon lui en effet, une dizaine de ses fidèles auraient subi des pressions pour se convertir à l’islam. Une incitation démentie de manière systématique dans les rangs du Hamas. Lors d’une interview accordée à Terre Sainte Magazine, le porte-parole du gouvernement Taher Al Nunu a nié en bloc ces accusations et a assuré que, non seulement le Premier Ministre visitait les différentes églises le jour de Noël, mais qu’il s’engageait également à garantir leur sécurité.
Toutefois, les membres de la paroisse orthodoxe se montrent sceptiques. C’est pour cela qu’ils se méfient avant tout des étrangers. “Es-tu chrétien ?”, demandent-ils plusieurs fois au nouveau venu. “Bien entendu, je suis Espagnol, et plus de 90 % des Espagnols sont chrétiens”. Rassurés, ils m’accueillent comme l’un des leurs et m’invitent à participer à la divine liturgie qui dure presque deux heures.
Les Baptistes, qui représentent la troisième et la plus petite des trois communautés avec à peine une centaine de fidèles, ne sont pas très confiants non plus. N’ayant pas d’église proprement dite, ils se réunissent au cinquième étage d’un immeuble qui abrite la première bibliothèque de Gaza, dans le quartier de Rimal. Un des murs de la pièce principale servant de chœur présente deux trous causés par les tirs lors de la guerre de juin 2007.
À l’intérieur de cette pièce austère, on remarque également un grand poster du “martyr” Rami Ayyad, jeune membre de la Société Biblique Palestinienne et propriétaire de la seule librairie chrétienne de Gaza. Rami fut assassiné devant son lieu de travail en octobre 2007 par un groupe salafiste. Le porte-parole du Gouvernement assure que les assassins ont été condamnés et qu’ils purgent encore leur peine. L’agent de sécurité de la paroisse, marié à une catholique, doute de cette affirmation et pense qu’ils ont été relâchés et qu’ils coulent des jours paisibles dans la péninsule du Sinaï. Cette supposition renforce la sensation généralisée de vulnérabilité, qu’incarne la figure de Rami Ayyad, encore très présente dans les esprits. Les chrétiens n’étant pas bien vus non plus en Égypte – sous l’influence des Frères musulmans-, leur sensation de vulnérabilité est d’autant plus forte.

Préoccupation parmi les catholiques

La paroisse catholique vit autour de l’église de la Sainte-Famille située à Zeitoun, à quelques kilomètres de l’église Saint-Porphyre. Bien qu’elle soit entourée d’un mur haut et épais pour raisons de sécurité, l’église se distingue nettement car c’est l’un des plus hauts bâtiments du quartier. En pénétrant dans l’enceinte, on est frappé par la taille de la cour, beaucoup plus grande que celle des voisins orthodoxes. Ce vaste espace permet d’accueillir des matchs de football ou d’autres sports et d’organiser des jeux, bien souvent en compagnie des jeunes orthodoxes, avec lesquels les rapports semblent excellents.
Le curé Jorge Hernández, Argentin membre de l’Institut du Verbe Incarné (IVI), se joint aux garçons pour faire quelques passes, tout comme le vicaire, le père brésilien Mario da Silva, qui joue dans l’équipe adverse. Il fait un soleil de plomb, mais le match se poursuit à l’occasion de ce qu’ils appellent l’Open Day, une journée portes ouvertes lors de laquelle ils invitent leurs voisins orthodoxes afin de passer du temps ensemble. Après l’eucharistie, tous se retrouvent pour déjeuner en plein air, discuter et entretenir les amitiés. Tandis que les garçons jouent au foot, les filles s’adonnent à d’autres activités, coordonnées par Mère María de Nazareth, également argentine et membre des Servantes du Seigneur et de la Vierge de Matará, la branche féminine de l’IVI.
À côté de l’église, se trouve l’école de la Sainte Famille, une des trois écoles détenues par le Patriarcat Latin de Jérusalem à Gaza. Sur le millier d’élèves, seuls une centaine sont chrétiens, les 90 % autres musulmans. L’école a obtenu, cette année, les meilleurs résultats généraux lors du dernier tawjihi (équivalent au baccalauréat) parmi l’ensemble des institutions éducatives de la Bande de Gaza. Cependant, malgré le succès apparent de son modèle d’intégration entre filles et garçons, elle pourrait être amenée à fermer du fait des exigences imposées par la nouvelle loi sur l’éducation ; le Hamas prône la stricte séparation entre filles et garçons et que ceux-ci soient enseignés par des hommes, les filles par des femmes. La loi exigerait aussi la construction d’un mur pour diviser la cour de récréation en deux. C’est la plus grande préoccupation des catholiques de Gaza actuellement.
Mgr William Shomali, évêque auxiliaire de Jérusalem et vicaire pour la Palestine du Patriarcat latin, a publiquement exprimé le malaise de l’Église devant la décision du Gouvernement du Hamas d’appliquer ladite loi stricto sensu et sans exception dès le mois de septembre prochain, ce qui pourrait rendre les écoles chrétiennes financièrement ingérables.
Au sein du Patriarcat on pense qu’il existe une dichotomie entre les dirigeants du Gouvernement et la base du mouvement Hamas et que, tandis que les premiers préfèrent maintenir le statu quo, les seconds souhaitent parvenir à une totale ségrégation dans le but de provoquer l’exode des quelques chrétiens encore présents dans la Bande de Gaza. La fermeture des écoles pourrait conduire à ce scénario car ces établissements chrétiens sont le dernier rempart des quelques familles restantes pour tenir dans un environnement qui par ailleurs leur est toujours plus hostile. En outre, cette décision s’opposerait à l’important rôle social que jouent ces écoles, en particulier celle de la Sainte- Famille intégrée dans l’enceinte même de l’ensemble paroissial.
La situation des chrétiens de Gaza n’est vraiment pas simple et elle est susceptible d’empirer. Ce risque pousse même certaines personnes à demander la médiation du père Manuel Mussalam, curé très apprécié de cette paroisse entre 1995 et 2009, et qui profite aujourd’hui d’une retraite bien méritée dans sa ville natale de Bir Zeit. Le problème a pris une telle ampleur qu’il pourrait bien requérir l’intervention directe du Patriarche Latin, Mgr Fouad Twal.

Dernière mise à jour: 31/12/2023 00:36

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