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Les 38 ans d’histoire des colonies de Gaza

Cécile Lemoine
7 février 2024
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Les 38 ans d’histoire des colonies de Gaza
Kfar Darom ©Daniel Ventura/Wikimedia Commons

Bruyante mais minoritaire, une petite frange de la société israélienne milite, à la faveur de la guerre, pour la réinstallation des colonies juives à Gaza, évacuées en 2005. Retour sur 38 ans de présence juive à Gaza.


Le rêve a été dessiné sur une large carte : ce que serait Gaza si les colonies y faisaient leur retour. Au total, 21 localités : les anciennes colonies du Gush Katif, et les futures, dont l’une en lieu et place de la ville de Gaza, métropole d’un million d’habitants aujourd’hui largement rasée. Une “nouvelle Gaza”, « verte, technologique, et ouverte à tous les israéliens », d’après les prospectus.

Accrochée dans le hall du Centre international des Congrès de Jérusalem, cette carte a accueilli les 5 000 Israéliens, majoritairement issu des mouvements sionistes religieux, venus assister, dimanche 28 janvier, à une conférence euphorique baptisée : “La colonisation apporte la sécurité : retour dans la bande de Gaza et dans le nord de la Samarie”. 

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La première colonie juive de Gaza a été fondée en 1946. Kfar Darom. Baptisée du nom d’un village de la période talmudique situé à proximité, elle a été établie dans le cadre du plan « 11 points du Néguev », dont l’objectif était d’assurer une présence juive dans ce territoire, avant la partition de l’ONU en 1947. Les kibboutzim Nirim et Be’eri, visés par les attaques du 7 octobre, faisaient partie de ce plan.

Arguments sécuritaires

Kfar Darom sera évacué en 1948, avant d’être repeuplé en 1970. À l’époque, le gouvernement travailliste justifie la colonisation par des arguments sécuritaires : ces points de peuplement juifs seront autant de zones tampons entre les localités et les camps de réfugiés Palestiniens. Au lendemain de la guerre de 1967, la bande de Gaza est peuplée de 350 000 Palestiniens.

Les colonies à Gaza en mars 1999 – Traduction TSM ©Wikicommons

Des bases militaires Nahal (Jeunesse pionnière combattante de Tsahal) sont installées à Kfar Darom, à Netsarim en 1972, puis à Gadid, Morag et Katif entre 1974 et 1975.

C’est la droite, sous l’impulsion du Premier ministre Menachem Begin, qui encourage la présence juive dans la bande de Gaza, transformant les bases Nahal en implantations civiles et autorisant la création de nouvelles. En 2005, Gaza comptait 8 000 colons répartis dans 21 colonies dont le territoire représentait un cinquième de la bande côtière :

  • Le Gush Katif : 17 implantations, très proches, situées le long des plages du sud de la bande de Gaz. Environ 6 800 personnes y vivaient. Pour rejoindre cette zone depuis Israël, la route empruntait un pont enjambant les routes palestiniennes.
  • Les colonies du nord : Elei Sinai, Nissanit et Dougit, qui représentaient 1 300 personnes au total. Du fait de leur proximité avec Israël, et de la ville d’Ashkelon, elles fonctionnaient plus comme des « colonies économiques » du type de celles que l’on retrouve en Cisjordanie.
  • Netzarim : isolée au centre du territoire et peuplée de 400 âmes. Pour la rejoindre, les colons voyageaient en « safari », un énorme véhicule militaire sans fenêtre, ou bien dans un autobus blindé aux vitres floutées.

La colonie de Neve Dekalim, Gush Katif ©Yakov Ben-Avraham/Wikicommons

Comme en Cisjordanie, les colons sont coupés de la réalité palestinienne. « Les maisons palestiniennes sur le chemin ? Ils ne les voient pas. Des Palestiniens des alentours, ils ne pourront connaître les visages que via leur poste de télévision. S’ils en ont un. Les 62 000 Palestiniens du camp de réfugiés de Khan Younes ? Ils sont cachés derrière des blocs de béton« , racontent Claire Snegaroff et Michaël Blum, deux journalistes de l’AFP, dans leur ouvrage Qui sont les colons ? (2005).

Un poids pour le pays

La sociologie des colons de Gaza a évolué avec le temps : « Les colonies ont d’abord séduit des habitants du sud du pays, dont beaucoup de sépharades, qui y ont vu une possibilité d’y pratiquer l’agriculture, détaillent les deux journalistes dans leur ouvrage. Puis, ce sont des sionistes religieux qui s’y sont installés, également attirés par ce décor paradisiaque et la tentation de travailler la terre. En 2004, les disciples du Rav Kook représentent 90 % des habitants du Goush Katif. » Ce rabbin orthodoxe est le fondateur du sionisme religieux.

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Sous la pression de la Seconde Intifada (2000-2005), et alors que la gestion de ce territoire s’avère de plus en plus compliquée, le Premier ministre Ariel Sharon propose en 2003 un retrait unilatéral de la bande de Gaza, sans concertation avec l’Autorité palestinienne. « Lui qui a tant contribué à la colonisation de la bande de Gaza, a fini par juger que la présence de ses habitants juifs ne servait plus l’intérêt de l’État d’Israël. Au contraire, extrêmement minoritaires dans un territoire qui compte plus de 1,2 million de Palestiniens, ils ont commencé à être perçus comme un poids pour le pays« , expliquent les journalistes.

L’agriculture est l’une des sources de revenus principale du Gush Katif ©Daniel Ventura/ Wikicommons

Les sondages de l’époque montrent qu’une majorité de Juifs israéliens se déclaraient favorables à leur départ. Le plan, qui s’accompagne de l’indemnisation et du relogement des 8 000 colons déplacés, est mis en application en 2005. Ils avaient jusqu’au 

Les plus hostiles, retranchés dans les synagogues de Kfar Darom et Neve Dekalim avec des jeunes venus en renfort, ont été évacués de force et dans la violence par l’armée le 17 août. Les maisons ont été détruites dans la foulée, mettant fin à 38 années de présence juive sur la bande de Gaza.

« Rentrer chez nous’

Depuis lors, les colons du Gush Katif n’ont cessé de militer pour un retour à Gaza, leur petite musique se frayant un chemin jusqu’au gouvernement, où ils sont défendus par Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale et Bezalel Smotrich, ministre de l’Economie.

Si leur voix est minoritaire, leur projet a pris une tournure politique à la faveur d’une guerre qui avance sans plan gouvernemental précis pour le « jour d’après » à Gaza : « Si nous ne voulons pas d’un autre 7 octobre, nous devons rentrer chez nous et contrôler [Gaza]. Nous devons trouver un moyen légal de faire émigrer volontairement [les Palestiniens] et d’imposer la peine de mort aux terroristes », a lancé Itamar Ben-Gvir lors de la conférence du 28 janvier. Des arguments sécuritaires, les mêmes que dans les années 1970, qui font mouche dans une population israélienne traumatisée.

“Il ne faut pas exagérer le mouvement de recolonisation, estime sur Twitter Mairav Sonszein, analyste de la société israélienne pour Crisis Group. Il existe, mais ce que veut l’extrême droite au sein du gouvernement, c’est s’assurer que, quoi qu’il arrive à Gaza, elle préserve et même renforce son emprise sur la Cisjordanie : qu’elle préserve la réalité d’un seul État et garantisse l’absence de direction palestinienne viable.”

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