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Bernard Philippe: « Israël-Palestine, il suffirait de peu de chose »

Hélène Morlet
19 mai 2015
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Diplomate et membre du Service européen d’action extérieure, Bernard Philippe est en poste dans la ville sainte depuis trois ans, après vingt années passées à travailler sur la résolution du conflit israélo-palestinien, il s’apprête à tirer sa révérence pour partir à la retraite.
Mais la flamme qui l’anime est intacte.


Quand on rencontre Bernard, on est frappé par l’énergie qu’il dégage et par son implication dans la construction de la paix ici, malgré les obstacles. Son dynamisme, il le puise dans son histoire personnelle et familiale de Lorrain d’après-guerre : “Né en 1950, j’ai grandi à 12 km de la frontière allemande. Tout était marqué d’une haine de l’Allemand, d’un désir de séparation, et on ne se côtoyait surtout pas. Dans mon éducation, la guerre n’était pas une notion générale mais quelque chose de très concret, qui a façonné les familles pendant plusieurs générations : fermes brûlées, prisonniers de guerre, “malgré-nous”, discriminations…”

Dans ce contexte, il est influencé par la figure paternelle, imprégnée d’un désir de dialogue avec l’ennemi de toujours. “Papa a été prisonnier de guerre pendant cinq ans dans des conditions extrêmement difficiles. Il a appris l’allemand pour pouvoir dialoguer avec ses geôliers, d’homme à homme, et nous l’a enseigné.”

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Finalement, le jeune Lorrain trouve sa place en travaillant pour l’Union Européenne : “J’ai été marqué par ces deux éducations (haine et dialogue), et j’ai senti le besoin de trouver un point de congruence entre les deux. Une correspondance entre l’expérience et la prise de conscience. Ce que j’ai fait en travaillant pour l’Europe. Cela m’a beaucoup aidé. Malgré tout, j’avais plus de 30 ans lorsque je me suis rendu pour la première fois en Allemagne !”

Alors qu’il est missionné auprès de la Banque mondiale à Washington DC, il est engagé pour participer au groupe de travail international créé au moment des Accords d’Oslo, afin de mettre en place les institutions et financements palestiniens. “J’ai été bouleversé par la découverte de la tragédie du peuple juif et par l’exil palestinien ; par la rencontre avec cette terre si sainte et si violente. Cela a fait écho avec mon expérience de la question franco-allemande : si nous avons réussi à nous réconcilier, entre Français et Allemands, pourquoi ne serait-ce pas possible ici !”

Pas de fatalité

Cette idée a fait son chemin et Bernard Philippe y a finalement consacré un livre : Le prix de la paix. Israël/Palestine : un enjeu européen ? Il y interroge la capacité de l’Europe, qui a connu des siècles de violence, à partager et transmettre sa propre expérience de réconciliation. Mère de l’impérialisme, du fascisme et du communisme, à l’origine de dizaines de millions de morts au XXe siècle, elle a réussi à s’arracher à son histoire de violence pour construire la coopération et la paix.

Bien sûr, quelques perceptions compliquent la construction de la paix au Proche-Orient : la violence serait une fatalité, la démarche du pardon impossible à mettre en œuvre, et les tiers incapables de médiation. Mais selon lui, l’Europe est la preuve que l’on peut inverser la violence, et en faire quelque chose de positif, lui donner du sens. “Il n’y a pas de fatalité à la violence, c’est une vérité universelle. Il y a des méthodes, et c’est à chaque peuple de trouver comment écrire la paix.”

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Cette certitude est devenue pour cet homme de paix un message essentiel à transmettre, sur le plan professionnel, personnel, mais aussi philosophique et spirituel. Il ajoute, ému : “On ne peut pas effacer, on ne peut pas retirer les souffrances vécues entre Allemands et Français, mais on peut leur donner un sens, faire en sorte que cela serve à d’autres.”

La comparaison est osée, elle suscite des objections. “Beaucoup d’Israéliens ou Palestiniens m’ont dit que ce n’était pas pareil, que nous avions entre Européens la même matrice spirituelle, un christianisme commun, etc. A quoi je réponds que cela ne nous a pas empêché de nous entre-tuer pendant des siècles. Et nous aurions pu continuer dans une non-paix, une non-Europe, si les pères fondateurs n’avaient pas eu cette vision partagée d’un devenir commun. Car les esprits n’étaient pas apaisés en 1945, le désir de revanche de la France et l’autodénigrement des Allemands ne créaient pas une ambiance propice. L’Europe est une décision volontaire !”

Espérance

Cette éducation faite de haine et de méconnaissance de l’autre se retrouve au Proche-Orient. “Ici, il y a la tentation permanente de prendre position. Ce que m’a appris l’Europe, c’est qu’on ne peut que trouver un sentier de crête commun. C’est en cheminant ensemble que l’on se rééduque pour poser sur l’autre un regard nouveau. On ne réécrira pas l’Histoire, mais on peut lui donner un sens nouveau”.

De fait, Bernard et son livre reflètent une grande espérance, malgré le bourbier que représente le cas israélo-palestinien. “C’est vrai qu’en étant impliqué à temps plein depuis 21 ans sur la résolution du conflit, quand on voit ce qui se passe, ce qui se répète, c’est absolument épuisant” soupire-t-il. “Mais j’ai l’intuition qu’il suffirait de peu de chose, simplement de porter un regard décalé sur l’autre : il a aussi une famille, un vécu, des rêves, il porte en lui une promesse. Pour le reste, le droit international a déjà prévu les solutions.” Cette espérance a été renforcée par les désillusions.

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Lorsque j’ai commencé à travailler sur le conflit au moment des accords d’Oslo, en 1993, l’ambiance était euphorique, très motivante. Les équipes étaient incroyables, il y avait une grande mobilisation, nous pensions que la paix allait enfin arriver au Proche-Orient, résolvant de nombreuses tensions géopolitiques !”

Son enthousiasme est palpable, mais il le modère rapidement : “On a senti assez tôt les difficultés et on est tous passés par des périodes de dépression, notamment lors de la seconde Intifada. La violence de la colonisation israélienne et le terrorisme palestinien sont mortifères. Beaucoup ont été écœurés et sont partis, mais nombreux sont ceux qui sont restés fidèles à ce dossier et continuent de travailler à faire naître la paix.”

« La paix viendra des populations »

Cette confiance en l’avenir et en la paix est également liée à sa foi : “En tant que chrétien, on ne peut jamais démissionner” déclare-t-il simplement. “Il y a toutes les raisons de désespérer, je ne suis pas naïf, mais il y a moyen de trouver des solutions. Être chrétien ne rend pas la situation plus facile, moins énervante, mais au fond de soi, surtout en ce lieu, il y a l’espérance. La foi nous donne cette patience, cette capacité d’attente active, évidemment.”

Si son travail quotidien dans un cadre institutionnel ne lui permet pas de parler de son espérance du salut, Bernard s’implique en dehors, notamment à travers ses écrits (1), qui approfondissent la réflexion inter-religieuse autour du conflit, ou par le biais de son engagement dans le groupe d’Aix : vingt-cinq experts israéliens, palestiniens et internationaux qui, ensemble, entendent prouver qu’il existe des solutions à tous les points de tension du conflit. Ils se réunissent environ six fois par an depuis 2002, se concentrent sur la macroéconomie et produisent des documents agréés par les deux parties.

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Européen convaincu, il a son idée sur la façon dont pourrait se résoudre le conflit. “Je n’ai pas la solution, mais je pense que la paix viendra des populations. A elles de trouver leurs modalités. Si les Palestiniens s’unissent et si l’Occupation israélienne se fait moins violente, peut-être grâce à la pression internationale, et si on éduque les gens à porter un regard différent sur l’autre, tout en calmant les intégristes, c’est possible. Les femmes pourraient également jouer un rôle. Je pense que le processus collectif de poursuite de la violence et le désir de conquête sont masculins, alors que le processus de désescalade de la violence, d’attention à l’autre, est plus féminin. Il serait bénéfique que les femmes trouvent davantage d’espace pour s’exprimer, et des deux côtés.”

Bernard Philippe a vécu dans sa chair le drame d’un conflit et c’est pour éviter à d’autres cette déchirure qu’il s’est investi dans la recherche de solutions. Ému il conclut : “Alors que ma mère nous interdisait de côtoyer des Allemands, un de mes fils en a épousé une et j’ai depuis quelques mois une petite-fille allemande ! Ça peut sembler banal de nos jours, mais c’est beau quand on pense au passé de nos deux peuples”.

(1) Meyer David, Oubrou Tareq, Remaud Michel, “La Vocation de la Terre Sainte. Un juif, un chrétien et un musulman s’interrogent”. Préface de Bernard Philippe. Lessius éditions, collection L’Autre et les autres, 2014.

Meyer David et Bernard Philippe, “Le retour de Jethro. Pour une pensée religieuse du droit international dans le conflit israélo-palestinien”, Études, avril 2015.

Dernière mise à jour: 19/11/2023 11:37

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