À Douma en Palestine, Israéliens et Palestiniens plantent ensemble des oliviers
C’est à Douma en Palestine, que l’association Rabbins pour les Droits de l’Homme (Rabbis for Human rights) avait choisi de planter des oliviers à l’occasion de la fête du nouvel an des arbres. Dans ce village palestinien de Cisjordanie, des extrémistes juifs avaient incendié deux maisons habitées cet été. Reportage.
(Jérusalem/TD) – C’est à Douma, en Palestine, que l’association Rabbins pour les Droits de l’Homme (Rabbis for Human rights) avait choisi de planter des oliviers à l’occasion de la fête du nouvel an des arbres. Douma, le village palestinien de Cisjordanie dans lequel des extrémistes juifs avaient incendié deux maisons habitées dans la nuit du 31 juillet 2015. Trois membres de la famille Dawabshé, un enfant de dix-huit mois et ses deux parents, sont morts des suites de leurs blessures.
Sous le soleil matinal de ce 4 février, non loin des remparts de Jérusalem, le minibus de l’association attend dans un parking. Abou Rami, le chauffeur palestinien, nettoie soigneusement les jantes du véhicule en attendant les participants. Ils arrivent au compte-goutte, une dizaine au total. Ils parlent hébreu, mais anglais aussi. Tous ont l’air enthousiastes de participer à l’action de l’association.
Le minibus démarre, et descend la vallée, sortant de Jérusalem vers le Nord. Le mur de séparation se dresse soudain. Sans s’arrêter, on passe le checkpoint vers les territoires palestiniens. Toujours facile dans ce sens-là. Au long de la route, régulièrement, des mobile-homes et des rangées de maisons au toit rouge émergent des collines, installations caractéristiques des implantations israéliennes en Cisjordanie. Sur le panneau indiquant la direction de la colonie de Rimonim, le nom en arabe a été barré à la peinture violette. En Cisjordanie, Palestiniens et Israéliens, qui vivent si proches les uns des autres, semblent pourtant vivre dans deux mondes opposés.
Encore une trentaine de minutes à travers les vallons palestiniens. Après les pluies de janvier, le massif ressemble à s’y méprendre aux vertes et rocailleuses collines de Provence de Marcel Pagnol. Une fois arrivé au champ d’oliviers de Douma, le minibus s’arrête, et la petite troupe descend. Une dizaine de véhicules stationne sur le bord de la route. Un autre minibus de l’association des Rabbins pour les Droits de l’Homme arrive de Tel Aviv avec une vingtaine de personnes à son bord. Des villageois et des journalistes palestiniens et israéliens sont eux aussi présents. C’est donc une soixantaine de personnes qui sont dans la plaine aujourd’hui. Parmi les volontaires, il n’y a que deux rabbins, les autres sont des laïcs.
Les plants d’oliviers, hauts d’une cinquantaine de centimètres, sont déchargés. Arik Ascherman, rabbin israélien d’origine américaine, cofondateur et figure incontournable des Rabbins pour les Droits de l’Homme, distribue quelques outils. Les volontaires s’équipent : pelles, pioches et bêches. Tout le monde se rend dans la plaine et commence à creuser. Certains énergiquement, tandis que d’autres cherchent à entrer contact avec des Palestiniens, venus eux aussi planter.
Plus de 250 arbres auraient été arrachés dans ce champ il y a cinq ans. Aujourd’hui, ce sont à peu près autant qui doivent être plantés par l’association. Bassem, le propriétaire du terrain, a le sourire au lèvres : “Bien sûr que je suis content” s’exclame-t-il. Il s’agite pour aider les volontaires et s’assurer que les arbres sont correctement mis en terre. L’accueil des Palestiniens est chaleureux. Ils ont l’air enthousiasmés par cette aide venue du ciel.
Parmi les planteurs, Sarah Newman, une Américaine, grande brune et lunettes fumées, arrivée en octobre en Israël pour faire son Alyah, explique sa venue aujourd’hui : “Je suis ici pour soutenir la communauté de Douma, notamment après ce qui s’est passé cet été, l’incendie [… ]”. “Tous les juifs ne sont pas des colons et tous les Palestiniens n’ont pas un couteau à la main. Je pense que la grande majorité d’entre nous veut vivre en paix” assène-t-elle.
Jared, né lui aussi aux États-Unis, tasse la terre autour du jeune olivier qu’il vient de planter. Queue de cheval et kippa sur la tête, il confie : “J’ai manqué Tou Bishvat [la fête des arbres ndlr], et je voulais faire une réparation de ce manque, ce qu’on appelle en hébreu un tikoune. Mon neveu devait aller planter des arbres dans les colonies mais je lui ai dit qu’il était possible de fêter Tou Bishvat sans faire de mal à qui que ce soit. J’ai pensé que venir ici était une belle opportunité pour montrer qu’on peut aimer ensemble cette terre, juifs et non juifs.”
Lui aussi a fait son Alyah, il y a vingt ans. La plupart des participants semblent être des juifs nés en dehors d’Israël, ou au moins avec des origines occidentales encore très présentes.
Comment se fait-il que tanta d’Américains soient présents aujourd’hui? “Je pense que ça vient du système de valeurs américain, lance Jared. Surtout des valeurs juives américaines qui nous poussent à être à un extrême ou l’autre du spectre politique. Beaucoup de juifs américains ayant immigré en Israël sont dans les colonies, et beaucoup sont engagés pour les valeurs de la démocratie, dans les associations plus à gauche.”
La plantation continue. Deux Palestiniens aident un Israélien à planter un olivier. Ils communiquent avec les mains pour s’accorder sur largeur du trou à creuser. On sent malgré l’absence de paroles une bienveillance étonnante entre eux. Ils sont venus dans un même but : planter des oliviers là où ils avaient été arrachés cinq ans plus tôt. La terre est meuble et très vite, des dizaines d’arbres sont plantés.
Après une heure sur le terrain, le rabbin Arik Ascherman tente de rameuter les planteurs, éparpillés aux quatre coins de la plaine, en criant en arabe et en hébreu. Il propose aux participants, Israéliens et Palestiniens, de se réunir pour un discours des deux parties, et une prière commune. Il rappelle l’importance symbolique de l’action menée par l’association ce jour-là : “Aujourd’hui, à l’endroit où des personnes mal intentionnées ont brûlé d’autres êtres humains. Ici, le lendemain d’un autre terrible meurtre à Jérusalem. Ici, à l’endroit où il y a cinq ans, quelqu’un a déraciné des arbres au milieu de la nuit. Ici, dans une zone où des milliers d’arbres ont été déracinés, sciés, empoisonnés, dans cette lutte menée par des Israéliens afin de s’emparer de terres palestiniennes, et de demander la légalisation de leur vol. Ici, alors qu’une vague de violence continue à déferler autour de nous. Ici, nous nous rappelons les commandements de Dieu que nous avons lus dans la Torah, dans toutes les synagogues du monde Shabbat dernier : “Tu ne tueras point”, “Tu ne voleras point”, “Tu ne convoiteras pas le bien d’autrui” .”
Des membres de la famille Dawabshé sont présents. On traduit le discours de chacun, les erreurs de traduction donnent lieu à quelques rires, dans chacune des langues. Les gens sont détendus, l’ambiance est bon enfant, mais les mots sont forts : “Ils arrachent les arbres et brûlent les hommes, mais aujourd’hui nous sommes ensemble, main dans la main pour tenter de panser les plaies de la tragédie qui est arrivée ici.”
Les participants, Palestiniens et Israéliens, juifs et musulmans, réunis en cercle, écoutent ensuite une prière préparée par l’association, lue en arabe et en hébreu, “Nous espérons que les arbres que nous avons plantés donneront des fruits de paix […]”
Les volontaires sont ensuite invités à aller voir la maison incendiée à Douma. Ils arrivent en minibus devant la bicoque brûlée. Elle semble avoir été conservée telle qu’elle. Les murs blancs sont noircis, et à travers les vitres cassées on peut apercevoir un intérieur brûlé, orné de graffitis en arabe à la mémoire des victimes. Les inscriptions en hébreu signant le méfait sont encore là.
En arabe sur la façade de l’entrée de la maison on peut lire : “Ils ont brûlé le nourisson”, “Ali Dawabshé”, son nom. Un des membres de la famille, Abdeslam Dawabshé, ouvre la porte. À l’intérieur, tout est noirci et brûlé. Au milieu de la pièce, un tricycle d’enfant est encore là. Fauteuil cramé, télévision fondue, on essaye de s’imaginer la scène. Des cocktails molotov sont lancés en plein milieu de la nuit. Les parents se réveillent au milieu du feu, la mère s’empare d’une couverture dans laquelle elle croit avoir couché son enfant, mais réalise, une fois à l’extérieur, qu’il n’y est pas.
Sur le mur a été dessiné un lit de bébé, avec le petit Ali à l’intérieur. Une main israélienne armée d’une menorah met le feu à la maison. Difficile de ne rien ressentir devant une telle scène. Quelques Israéliens ressortent de la maison les larmes aux yeux. La plupart des participants sont choqués : “Comment des êtres humains peuvent-ils faire ça ?” s’exclame une d’entre eux. “Comment des juifs peuvent ils faire ça ?”
Un jeune de la famille Dawabshé entre aussi, son émotion se lit dans ses yeux humides. Il montre l’étendue des dégâts à quelques personnes. Il faut sûrement beaucoup de courage pour accepter que des Israéliens entrent dans cette maison, alors que l’amalgame pourrait être vite fait entre colons et Israéliens. Abdeslam Dawabché dit lui aussi ressentir une grande tristesse à chaque fois qu’il revient, mais au seuil de la maison il confie : “Nous savons qu’il y a une partie du peuple israélien qui veut vivre en paix avec nous”.
Tout le monde remonte dans le minibus pour revenir au champ. Le porte-parole de l’association a l’air lui aussi choqué : “C’est terrible mais il ne faut pas oublier que c’est avant tout le régime lui-même qui fait beaucoup plus de mal aux Palestiniens que les crimes commis par les extrémistes. La bureaucratie permet l’arrachage d’arbres par l’armée dans de nombreuses zones, pour construire des routes pour les colons, des barrières et des murs. Des Palestiniens sont tués à cause du mauvais comportement des soldats dans les manifestations pacifiques. Ce qui est arrivé ici, à Douma, est terrible, mais la loi fait bien plus de mal aux Palestiniens que les colons extrémistes, c’est pour ça qu’il ne faut pas se focaliser dessus”.
Fondée en 1988, l’association des Rabbins pour les Droits de l’Homme se définit comme la seule voix rabbinique spécialement dédiée à la défense des droits de l’Homme. Elle réunit plus de cent rabbins israéliens issus de divers courants du judaïsme. Sa mission est d’agir et d’informer le public israélien sur les violations des droits de l’homme, et de faire pression sur les institutions de l’État en faveur de la justice. Ses actions de plantation d’oliviers et de protection des agriculteurs pendant la récolte sont les plus connues.
En attendant de repartir vers Jérusalem, un des jeunes israéliens regarde par la fenêtre du minibus, en direction du champ. Les Palestiniens continuent à planter les oliviers. Peut-être se demande-t-il : “Et ces arbres-là, combien de temps avant qu’ils ne soient de nouveau arrachés ?”.