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Via Dolorosa, entre foi et archéologie

Thomas Duclert
25 mars 2016
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Via Dolorosa, entre foi et archéologie
Lithostrotos. Dans le sous-sol du couvent des sœurs de Sion appelé Ecce Homo, les dalles de l’époque hérodienne ©MAB/CTS

Le frère Eugenio Alliata est archéologue, professeur au Studium Biblicum Franciscanum et est directeur du musée de la Flagellation
à Jérusalem. Guide lors des excursions des étudiants de l’école, nous lui avons demandé ses lumières sur la Via Dolorosa, le chemin de croix
de Jérusalem.


A Jérusalem deux appellations circulent : Voie douloureuse et chemin de croix. Est-ce la même chose ?

La Via Dolorosa (voie douloureuse) et la Via crucis (le chemin de croix) sont deux choses différentes. La Via Dolorosa est propre à Jérusalem, elle est plus riche de mémoires. La Via crucis, la pratique du chemin de croix, est née en Europe sur la base de la Via Dolorosa, mais avec beaucoup de modifications. C’est plus une dévotion. Ensuite elle a été ré-implantée de force dans la Via Dolorosa.

Où faut-il situer le prétoire de Ponce Pilate, départ  de la première station ? La tradition l’avait localisé au nord de l’esplanade des mosquées, sur les ruines de la forteresse Antonia. D’aucuns préfèrent le voir dansl’ancien palais d’Hérode, actuellement à la porte de Jaffa, qu’en pensez-vous ?

L’hypothèse selon laquelle Pilate se serait installé dans le palais d’Hérode, soit la tour de David actuelle, est une hypothèse envisageable. Mais il faut surtout rappeler que la question du trajet de Jésus lors de sa Passion est un problème complexe. Cette hypothèse, comme toutes les autres, est fondée sur des arguments peu étayés. Il y a certes l’information donnée par les historiens de l’époque, dont Flavius Josèphe (NDLR. Né à Jérusalem vers 37 et mort à Rome vers 100), selon laquelle au moins deux successeurs de Ponce Pilate, des procurateurs romains, ont résidé dans le palais d’Hérode.

Lire aussi >> La Via Dolorosa : une tradition spirituelle construite au fil des siècles

Mais pour Ponce Pilate, rien n’est moins sûr. En outre, il faut mentionner la présence de révoltes dans Jérusalem. Le Palais d’Hérode était l’endroit le plus fortifié de la ville. Il est logique que, recherchant un lieu sûr, les gouverneurs s’y installent. L’argument principal sur lequel se fondent les chercheurs pour trouver où était le prétoire reste néanmoins faible. Il n’y a pas écrit dehors sur la porte : prétoire ! Il faut également noter qu’aucun des témoignages postérieurs, ceux des pèlerins, des visiteurs, n’est en faveur d’un prétoire situé au palais d’Hérode. Même s’il est vrai que ces témoignages ne sont pas contemporains des faits.

Quel est le rapport entre foi et archéologie, notamment dans le cas de la Via Dolorosa, le chemin de croix de Jérusalem ?

Il est nécessaire qu’il y ait un rapport, et parfois ce rapport est conflictuel. Souvent, l’hypothèse d’une personne semble l’emporter. Parce que largement partagée et médiatisée, cette hypothèse devient alors dans les esprits une vérité. Mais la science nous laisse libres de suivre d’autres hypothèses en se basant sur la force des arguments. Le cas de la Via Dolorosa est celui-ci, aucune des hypothèses n’apporte d’arguments suffisants. Scientifiquement, la question du chemin emprunté par Jésus est une des plus compliquées de la topographie de Jérusalem. Certaines mémoires sont fantaisistes, comme l’emplacement des chutes, à l’exception de la seconde chute qui appartient originalement à la Via Dolorosa, à la VIIe station.

Serait-il possible que la Via évolue encore sous l’influence des pèlerins ?

Cela arrive en fait très régulièrement ! Ces quatre dernières années, il y a eu deux changements d’emplacements de stations. Celui de la IVe station et celui de la IIIe pour des raisons de commodité de passage. La IIe aussi a été changée en 1912. Ainsi, la localisation des stations n’est pas une tradition que les franciscains tiennent pour inflexible. Mais sur le point de départ, ils maintiennent à ce jour l’identification avec la forteresse Antonia.

Le pape Jean-Paul II a proposé en 1993 de remplacer les cinq stations du chemin de croix (non de la Via Dolorosa) qui n’ont pas de fondement dans le texte évangélique. Qu’en pensez-vous ?

Cette proposition n’a pas été retenue. Mais on pouvait l’accepter parce qu’en réalité, le chemin de croix peut se changer comme on veut, ça n’a pas d’importance. À mon avis il faudrait que la Via crucis devienne plus proche de la Via Dolorosa de Jérusalem. Par exemple la VIIe station, où la tradition de Jérusalem voit Jésus sortant de la porte de la ville pour se rendre au lieu du Crâne. Du XIIIe siècle jusqu’en 1700 de nombreux pèlerins rapportent cette mémoire. Mais à la VIIe station du chemin de croix, on rapporte seulement une chute. Donc selon moi, au lieu d’éliminer les stations sans fondement dans le texte évangélique, il faudrait plutôt introduire les mémoires de la Via Dolorosa de Jérusalem, qui sont très significatives, dans le chemin de croix. Voilà ma proposition.

Dernière mise à jour: 06/01/2024 19:20

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