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Mambré, les racines du ciel

Thomas Duclert
24 novembre 2016
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Mambré, les racines du ciel
Fouilles sur le site de Mambré ©MAB/CTS

Accueillir le Seigneur sous sa tente. C’est l’expérience que fit Abraham. Un lieu commémore cette rencontre et bientôt il n’attendra que votre visite sur la route de votre pèlerinage.


Quand un groupe de pèlerins s’aventure encore à Hébron, le guide lui rappelle deux souvenirs bibliques liés à Abraham. La rencontre des trois anges (Gn 18, 1-15) et le choix de Makpela pour la sépulture du patriarche (Gn 25,8-10).

Quand un journaliste part rejoindre un archéologue, tout se complique quand il y a deux panneaux sur fond marron vous indiquant un site historique. D’un côté, un panneau indiquant le Ramet al Khalil – littéralement “le haut lieu de l’ami (de Dieu)” sous titré Mamre (orthographié sans le b en anglais).

De l’autre, celui qui mentionne Ibrahim’s Oak (le chêne d’Abraham) sous-titré Al Maskobiya littéralement “la moscovite”. Votre cœur balancerait si Sandrine Berth Geith, archéologue, chercheur associée à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, à l’initiative du projet que nous rejoignons ne vous avait précisé de prendre à gauche.

Une fois engagés dans la rue, le site est immanquable. Alors que la ville d’Hébron est densément construite, sur le bord de la route, entre les immeubles, un muret délimite une grande enceinte autour d’un espace vide. 3250 mètres carrés réservés à l’histoire, et quelle histoire!

Pas l’ombre d’un arbre

À dire vrai, la question demeure ouverte. Car si le lieu est préservé depuis des millénaires, l’objectif que se fixe Vincent Michel, professeur en histoire de l’art et archéologie antique à l’Université de Poitiers, chef de la mission archéologique d’Hébron est bien celui-là: élucider les phases de construction des ruines en présence. D’autant qu’il est à l’origine de la mission en partenariat avec l’université d’Hébron et le Département des antiquités de Palestine et qu’il en a trouvé les financements.

Selon la tradition biblique, c’est à cet endroit qu’Abraham, patriarche du judaïsme, du christianisme et de l’islam, aurait planté sa tente et bâti un autel au Seigneur venu le visiter sous son chêne. Cela ne tracasse pas plus que cela Vincent qu’il n’y ait pas l’ombre d’un arbre dans “la chênaie de Mambré”. Lui, il ne fait pas d’archéologie la Bible en main, comme il aime à le dire.

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Devant lui, quatre murs formant un rectangle de 65 mètres de long sur 50 mètres de large et conservés sur environ 2 mètres de haut. Ils sont épais de près de 2 mètres et constitués d’imposants blocs de pierres. Vincent, Sandrine et leur équipe ont trois semaines (cette année) pour les faire parler.

À l’intérieur de l’enceinte se trouvent d’autres ruines. “Mader, vers 1930, les identifie pour être les ruines d’une ancienne basilique constantinienne. “Il s’agit d’une des quatre premières églises construites par Constantin en Palestine, explique Sandrine qui poursuit. Suite à une requête de sa belle-mère, Eutropia, il demanda, par une lettre remise aux évêques de Palestine, la destruction des cultes païens et la construction d’une basilique. L’un des buts de la mission archéologique est de réétudier les vestiges (murs et fondations) afin de déterminer les différentes phases d’occupation de l’église.”

Dégradation

Dans l’angle sud-ouest, un puits dans le lieu qui est d’ailleurs connu en arabe pour être bîr il Khalil le “puits de l’ami de Dieu”, c’est-à-dire Abraham.

La présence de pierres hérodiennes qui forment une partie de l’enceinte confère au sanctuaire un caractère exceptionnel. “Des pierres taillées comme celles-ci ne se trouvent qu’en deux autres endroits. Deux lieux saints majeurs aux trois religions : la base du mur qui délimite l’esplanade des mosquées (autrefois du Temple juif) à Jérusalem et à la mosquée d’Hébron, au Tombeau des patriarches.”

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Après plusieurs campagnes de fouilles au XIXe et XXe, le site fut abandonné et se couvrit de végétation. Laissés à l’abandon dans un environnement urbain, les vestiges archéologiques étaient menacés par la dégradation.

Or Sandrine, installée à Bethléem depuis dix ans, en contact avec ses collègues sur place, très investie dans l’Association Hébron-France, sollicita Vincent avec qui elle avait fait son master et qui connaît bien déjà l’archéologie en Palestine. Cela fait 22ans qu’il a commencé à s’intéresser à ce coin de terre, et c’est à lui que l’on doit les fouilles et la mise en valeur du Khader à Taybeh (voir TSM 635. janv fév 2015).

Dater le sanctuaire

Le principal défi des archéologues sera donc de réétudier les dates des différentes étapes de construction du sanctuaire. Ils en dénombrent au moins cinq, qui remontent jusqu’à Hérode. Une tâche d’autant plus difficile qu’au cours des siècles de nombreuses pierres ont été agencées ou réutilisées par la population alentour. Le sanctuaire a-t-il 2000ans ? Plus? Ou moins ? “Les fouilles précédentes, des archéologues allemand Mader au début du XXe et israélien Magen de 1984 à 1986, ont laissé croire que le site avait été déchiffré” explique Vincent. “Rien n’est moins sûr” sourit-il. “Lors des prochaines campagnes nous espérons pouvoir concentrer notre travail sur la parcelle non-construite située à l’est du site. Les objectifs sont de mieux comprendre le contexte historique et de mettre au jour les occupations à proximité immédiate de l’enceinte”, ajoute Sandrine.

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Vincent quant à lui se donne du temps avant d’arriver à ses conclusions. Certes il a déjà en mains de nouveaux éléments issus de l’actuelle campagne de fouilles, mais surtout, sa perspective est différente de celle de ses prédécesseurs. Pour lui, la mission scientifique doit entretenir une relation pacifiée avec la religion. La démarche archéologique requiert d’analyser les textes historiques, qu’ils soient Mamelouks, Croisés, ou sacrés, comme l’Ancien Testament, pour comprendre les vestiges.

Et de ce point de vue il va à contre-courant de tout le monde. De l’archéologie biblique qui cherchait à prouver la Bible, d’une certaine archéologie israélienne qui veut montrer la primauté juive, comme aussi de la mentalité musulmane qui interdit d’analyser et remettre en question les textes sacrés et la tradition.

Une porte touristique

Cela pimente un peu la mission et la communication autour d’elle dans cette ville d’Hébron à réputation conservatrice. Sur le terrain, outre les truelles, les brosses et les tamis, ce sont aussi des outils beaucoup plus sophistiqués qui sont utilisés. Armé de son matériel optique dernier cri, Vincent Miailhe, architecte-topographe, est chargé de la photogrammétrie et du
géo-référencement du site. Derrière ces procédés scientifiques se cache une ambition: réaliser une reproduction numérique du sanctuaire, ultra-précise et en trois dimensions.

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À cette fin, des milliers de photos sont assemblées jour et nuit par un ordinateur, alignant les voxels (l’équivalent d’un pixel, en 3 dimensions). La reproduction 3D permettra à des spécialistes de pouvoir étudier les vestiges en détail, sans avoir à se rendre sur place. Pour l’heure, lui aussi creuse et tamise, mettant soigneusement de côté, dans un sac plastique flanqué des armoiries de l’État de Palestine, les bouts d’os qu’il trouve dans la terre. “C’est pour Hervé Monchot, notre archéozoologue”, explique Vincent qui entre deux explications veille que le peu de temps disponible soit utilisé le plus efficacement.

L’Autorité palestinienne espère, grâce à ce partenariat, permettre le développement du tourisme et la sensibilisation de la population locale à son patrimoine. Le sanctuaire constitue en effet un levier non-négligeable pour le développement socio-économique de la région. Les différents partenaires s’associent sur la volonté commune de faire de Mambré “la porte touristique d’Hébron”. À ces nouveaux souffles, scientifique et culturel, manquent encore un dernier souffle : le spirituel. Mambré, intégré dans de rares circuits de pèlerinage chrétiens, (re)deviendra-t-il un lieu saint incontournable? À quelques encablures de là, à Hébron, se dresse déjà le célèbre Tombeau des patriarches. Un crochet par Mambré serait l’occasion pour les pèlerins pressés de faire une pierre hérodienne deux coups. 


Coopération franco palestinienne exemplaire

La mission de Mambré a pour objectif de redonner au site l’attention et le soin qu’il mérite dans le cadre de la valorisation du patrimoine palestinien.

Pour cela, un accord a été signé entre le Ministère du Tourisme et des Antiquités palestinien et l’Université de Poitiers. À la mission il assigne notamment le travail de: nettoyage général, mise en valeur, reprise de la mission scientifique, aménagement. Le projet doit s’étaler sur quatre années dont un mois de fouilles annuel. La reprise des recherches archéologiques n’est pas le seul enjeu : la mission est aussi l’occasion d’établir des partenariats entre institutions françaises et palestiniennes.

Plusieurs autres acteurs notables collaboreront à ce projet. Sur le plan universitaire : l’université de Poitiers et les universités d’Hébron et d’Al Quds. Sur le plan financier : le Consulat Général de France à Jérusalem, la commission des fouilles du Ministère français des Affaires étrangères et Labex Resmed (Laboratoire d’excellence Religions et Sociétés dans le Monde Méditerranéen).

Sur place, le projet bénéficie aussi de l’aide précieuse – matérielle et logistique – de l’Association culturelle Hébron-France. Ces partenariats dénotent l’importance de la coopération entre la France et l’Autorité palestinienne.

Des sessions de formation en muséologie, scénographie, conservation, restauration, archéologie et archéologie préventive seront organisées à destination des étudiants palestiniens dans ces domaines. Des échanges académiques étaient aussi prévus, mais cette année au regret de Vincent Michel, chef de la mission archéologique d’Hébron, l’université de Poitiers n’a pas autorisé ses étudiants à se rendre sur place, jugeant la zone trop sensible.

Dernière mise à jour: 21/01/2024 22:45

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