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Les haredim, une chance pour la paix sociale et la paix mondiale ?

30 mai 2018
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Les haredim,  une chance pour  la paix sociale et la paix mondiale ?

Ofer Zalzberg est analyste pour le Crisis Group à Jérusalem. Depuis 2010 il est chargé de la zone Israël/Palestine et est spécialiste du conflit israélo-palestinien et de la politique intérieure et étrangère d’Israël. Terre Sainte Magazine l’a rencontré sur la question de l’avenir politique de l’État d’Israël qui se trouvera composé d’un quart de haredim au milieu du siècle.


David ben Gourion, après l’indépendance d’Israël, avait la volonté de constituer une nation israélienne unie. Pourquoi est-ce un échec dans le cas des haredim ?

A l’époque, la politique à destination des ultra-orthodoxes était pensée pour une petite communauté, moins de 3 % de la société. La dispense de service militaire accordée aux étudiants des yeshivot (pour le sens des mots en italique, voir le glossaire page 30) concernait 400 étudiants. Ben Gourion a mis en place cette politique avec la conviction que la communauté ultra-orthodoxe, et plus largement la religion, allait disparaître avec la mondialisation.
Dès que les ultra-orthodoxes ont gagné en poids politique, ils sont devenus faiseurs de roi au sein des coalitions parlementaires. La décision de M. Begin (Premier ministre de 1977 à 1983, NDLR) d’étendre la dispense à tous les étudiants des yeshivot avait pour objectif de s’assurer le soutien des ultra-orthodoxes.

 

Isaac Herzog (Parti travailliste) s’entretient avec des membres ultra-orthodoxes de la Knesset. Meir Porush et Moshe Gafni (Judaïsme unifié de la Torah) au Parlement israélien le 13 mars 2018.

 

Comment les haredim voient-ils l’État d’Israël ?

La majorité des haredim est passée de l’antisionisme à un asionisme. Pour autant, il est rare aujourd’hui de trouver une théologie ultra-orthodoxe explicitement sioniste : l’État d’Israël n’est pas l’État espéré qui viendra avec le Messie à la fin des temps. Mais se développe l’idée que cet État est légitime, car il permet à de nombreux étudiants de consacrer leur vie à la Torah.
Seul un quart des ultra-orthodoxes reste clairement antisioniste. Ils pensent que les tensions créées par l’existence de l’État d’Israël sont plus meurtrières que la diaspora. Ils refusent la nationalité israélienne et les financements publics, et vivent des dons de haredim de la diaspora.
Au moins un quart de la population haredi est proche du sionisme. Ce sont les haredim israelim, ultra-orthodoxes israéliens. Ils adoptent une attitude positive vis-à-vis de l’État. Ils cherchent à protéger leur appartenance à la communauté ultra-orthodoxe tout en étant partie prenante de la société israélienne, notamment de son économie.
En 2050 les haredim et les arabes israéliens devraient représenter chacun un quart de la population environ.

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Les laïcs seront un gros tiers. Les sionistes religieux 15 %. Quel contrat social imaginer dans un tel contexte ?

Une moitié des habitants d’Israël ne pourra pas se définir comme sioniste en 2050, les arabes et les haredim. Avec leur positionnement politique actuel, la rupture est inévitable. Mais dans les faits un quart des haredim se rapproche du sionisme. Cela dépendra donc beaucoup de l’évolution de la communauté ultra-orthodoxe.
La refondation d’une identité israélienne non-juive est une piste, avec une fête nationale qui réunirait les quatre communautés que vous évoquez pour célébrer ensemble le fait qu’elles partagent un État. Il y aurait un détachement du sionisme, en arrêtant d’attribuer à l’État une importance religieuse. La difficulté se pose principalement pour les sionistes religieux, eux qui sont le plus proche des haredim quant à l’observation de la halakha mais leur vision eschatologique de l’État d’Israël est totalement opposée à l’asionisme ultra-orthodoxe.

N’est-ce pas utopique alors qu’Israël se définisse comme un État juif pour les juifs ?

La croissance de la communauté ultra-orthodoxe ne remet pas en cause l’idée d’un État-nation juif. Il y a un modèle fréquent en Europe de l’Est, celui de l’État-nation pour un groupe ethnique avec un statut formel pour une minorité nationale. Pour arriver à cela, Israël doit établir une réelle égalité entre tous ses citoyens. Il faut renforcer l’identité israélienne pour qu’elle soit acceptée par tous. Ensuite, Israël a accordé aux arabes israéliens une autonomie culturelle, mais sans jamais reconnaître l’identité palestinienne de cette population. Cela ne sera possible qu’avec un État palestinien.
De plus, il existe actuellement une diversité acceptée dans la société malgré l’absence d’une idéologie commune. La ville ultra-orthodoxe de Bnei Brak, près de Tel Aviv, est un espace rigide et ultraconservateur : femmes et hommes sont séparés dans le bus, parfois même sur le trottoir. Tel Aviv est beaucoup plus libérale, avec des magasins ouverts à shabbat, des femmes aux cheveux découverts… Rehovot, ville typiquement israélienne dans la mesure où sa composition reflète la sociologie de l’État israélien, a un maire ultra-orthodoxe. Il a cependant lutté pour maintenir l’ouverture de la piscine le samedi, afin de s’attirer les voix d’une partie des non-haredim aux prochaines élections. Il a cherché pour cela un compromis : la piscine est ouverte le shabbat, mais les tickets doivent être achetés un autre jour de la semaine. C’est ce que j’appellerais un espace public hybride. Le contrat social pourrait donc accepter la variété, avec un État qui soutiendrait également les modèles ultra-orthodoxe, libéral et hybride.

 

 

Pourrait-on imaginer un Premier ministre ultra-orthodoxe ?

Cela dépendra de l’évolution de l’ultra-orthodoxie. Actuellement, c’est impossible. Accepter la position de ministre est déjà difficile aux haredim. Les partis politiques ultra-orthodoxes dépendent de conseils rabbiniques, qui sont idéologiquement antisionistes ou asionistes, donc pour qui la position de Premier ministre serait inacceptable. Mais cette opinion pourrait évoluer avec les haredim israelim proches du sionisme. Leur vision religieuse se borne de plus en plus à leur vie privée et influence moins leur vie publique.
La halakha selon l’interprétation haredi pourrait-elle être imposée à l’ensemble de la population ?
Dans le monde contemporain, pour faire cela, il faudrait une révolution de la halakha. Or dans la logique religieuse c’est très difficile car si on change un point de la loi, pourquoi ne pourrait-on pas en changer un autre ? Où seront alors l’authenticité et la sainteté ? De plus, la fragmentation du monde ultra-orthodoxe ne permet pas à un grand rabbin de s’imposer à tous et d’opérer cette révolution. Si une partie des haredim progresse, les autres communautés ultra-orthodoxes vont dire que c’est une réforme scandaleuse.

Une dislocation de la communauté ultra-orthodoxe est-elle prévisible ?

Il y a beaucoup de personnes qui pensent que l’on assiste actuellement aux prémices de cette chute. Ils justifient cela par la disparition des grands rabbins fédérateurs, les affrontements internes qui existent entre rabbins et la division politique des ultra-orthodoxes en plusieurs partis concurrents (voir encadré). En 1989, 13 députés ultra-orthodoxes furent élus à la Knesset. Aujourd’hui, ils sont toujours 13. Malgré la croissance démographique de la communauté, le nombre de députés ultra-orthodoxes n’a pas changé.
Or, qu’est ce qu’un ultra-orthodoxe ? C’est une personne dont toute la vie est guidée par la Torah. Les rabbins ordonnent de voter pour les partis ultra-orthodoxes. Pourtant certains ne suivent pas l’avis rabbinique et votent pour le Foyer Juif (extrême droite), le Likoud (droite), le Parti travailliste (gauche), ou s’abstiennent. Beaucoup d’ultra-orthodoxes vivent en dissonance cognitive : la théologie est asioniste mais les subventions publiques sont devenues indispensables. La réconciliation de ces deux réalités est un défi pour les rabbins. Pour certains, cela va mener la communauté à sa perte.

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Quel pourrait être l’effet d’une telle évolution démographique sur l’avenir du conflit israélo-palestinien ?

La communauté ultra-orthodoxe suit la Torah selon laquelle la vie d’un juif est plus précieuse que la défense d’une terre. Il n’y a pas débat à ce sujet. Le débat est de savoir si un compromis territorial va sauver des vies juives. C’est une question de lecture de la réalité. Un groupe d’ultra-orthodoxes pense qu’un compromis donnera plus d’appétit aux arabes qui seront plus agressifs avec les juifs. Ils virent à droite et deviennent nationalistes. Un autre groupe est plus modéré. On peut rationaliser un comportement amical avec une théologie qui n’est ni humaniste ni égalitaire. Par exemple, il y a quelques siècles, les juifs européens rejetés en Europe suivaient une décision rabbinique leur enjoignant de serrer la main aux chrétiens pour ne pas être victimes de persécutions. C’est l’avis de ce groupe.
Quoiqu’il en soit, ce débat de savoir si la solution à deux États va sauver des vies ou non est une avancée. C’est préférable au sionisme religieux qui défend une domination de la Judée-Samarie (Cisjordanie, NDLR) pour des raisons théologiques. De même, pour le Mont du Temple (l’Esplanade des Mosquées, NDLR) : les ultra-orthodoxes sont plus enclins au compromis.

Plus largement, quelles conséquences cela pourrait-il avoir sur la stabilité du Moyen-Orient ?

Parmi les États voisins, particulièrement en Iran, Israël est vu comme une présence occidentale, armée, proche de nouvelles croisades. Elle contamine le Moyen-Orient avec une culture, des technologies, un mode de vie… occidentaux. Cette forme de libéralisme serait un danger pour les identités religieuses traditionnelles selon ces États conservateurs. Si la société d’Israël devient plus conservatrice et plus religieuse, cette présence sera probablement acceptée plus facilement. Un Israël sans prétentions terriennes, contrairement à aujourd’hui sous l’influence des sionistes-religieux, sera moins rejeté. C’est une vraie opportunité pour la paix.♦


Les ultra-orthodoxes de la Knesset

L’Agoudat Israel, parti historique de l’ultra-orthodoxie, est créé en 1912 dans l’Empire russe, par les communautés ashkénazes du pays. Après la création de l’État d’Israël, ce parti devenu israélien tente d’attirer à lui les communautés séfarades venues du Maghreb. En 1984 les séfarades, se sentant méprisés dans ce parti, font sécession et forme le parti Shas. 4 ans plus tard, ce sont les lituaniens, ashkénazes non-hassidiques, qui quittent la barque pour créer leur propre parti, Degel HaTorah.
Le Shas, grâce au soutien des séfarades ultra-orthodoxes mais aussi traditionalistes, compte actuellement 7 députés. Les ashkénazes de l’Agoudat Israël et de Degel HaTorah, réunis depuis 1992 au sein de la coalition judaïsme Unifié de la Torah, occupent eux 6 sièges. 13 élus de la Knesset sur 120 sont donc ultra-orthodoxes, et 3 ministres sur 30. Une proportion proche des 10 % de haredim dans la société israélienne.


La lettre du Statu quo

Le 19 juin 1947, David Ben Gourion envoie une lettre à l’Agoudat Israel, restée comme le Statu quo, répondant aux craintes formulées par la communauté ultra-orthodoxe. Il rappelle que l’ONU conditionne la création de l’État d’Israël à la liberté de conscience de tous ses citoyens, et au refus de la mise en place d’une théocratie. Il affirme comprendre les revendications haredim et formule 4 promesses. Les 2 premières sont consensuelles : le shabbat sera jour chômé dans le nouvel État et la nourriture sera casher dans le secteur public. Les 2 autres sont aujourd’hui remises en cause par une partie de la population : l’état-civil sera tenu par les dirigeants religieux, ce qui permet aujourd’hui aux rabbins de réguler mariages et divorces, et le système éducatif haredi sera autonome et subventionné en échange de l’enseignement d’une base de savoirs profanes. Les subventions existent, les savoirs profanes n’ont jamais été enseignés.

 

Dernière mise à jour: 07/02/2024 13:54

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