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La municipalité de Jérusalem gèle les comptes bancaires du patriarcat Grec-Orthodoxe

Cécile Lemoine
14 août 2025
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Clergé grec-orthodoxe de Jérusalem ©Yonatan Sindel/Flash90

Cette décision est la dernière en date du long litige autour l'Arnona, un impôt municipal dont les Églises sont historiquement exemptées pour certaines de leurs propriétés, et que la municipalité de Jérusalem cherche à recouvrer. Les sommes en jeu sont colossales.


Le 6 août dernier, le Patriarcat Grec-Orthodoxe de Jérusalem a découvert que tous ses comptes bancaires avaient été gelés, sur décision de la municipalité de Jérusalem.

« Des mesures d’exécution administrative ont été prises contre le Patriarcat grec, car il n’a pas réglé ses dettes de taxe foncière (Arnona) pour des biens non utilisés comme lieux de culte », indique un communiqué du porte-parole de la municipalité : « Cela a été fait malgré les efforts de dialogue, et compte tenu de son refus de répondre aux courriers de la municipalité exigeant le paiement. »

Une somme importante a été retenue du compte, paralysant les actions du patriarcat qui gère des églises, des écoles, des hospices et d’autres institutions caritatives. Impossible de payer les salaires du clergé, ceux des employés (y compris les enseignants des écoles gérées par l’Église) ni de régler les factures.

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Ce n’est pas la première fois que de telles sanctions interviennent. Le conflit entre la municipalité et les Églises qui possèdent des biens à Jérusalem dure depuis de longues années.

Les Églises, principalement grecque orthodoxe, arménienne et catholique possèdent depuis des siècles des biens immobiliers et fonciers à Jérusalem. Beaucoup de ces biens bénéficiaient d’exemptions fiscales héritées de l’époque ottomane, puis confirmées sous le mandat britannique et après 1948. Une partie importante des logements de Jérusalem-Ouest est construite sur des terrains loués à long terme par les Églises.

Quel est le problème ?

La mairie réclame depuis de nombreuses années le paiement rétroactif de l’Arnona, une des taxes municipales, pour les biens des Églises qui ne servent pas directement au culte : les hôtels, les commerces, immeubles résidentiels loués.

La municipalité doit en effet assurer ses services alors que les deux tiers de la population de Jérusalem ne sont pas imposables : 30 % sont des juifs ultra-orthodoxes qui vivent des subsides du gouvernement et 30 % sont des Palestiniens qui ne sont pas imposables au vu de leurs ressources.

Les Églises s’opposent à cette taxation, arguant que :

  • Les Églises jouent un rôle essentiel en gérant des établissements éducatifs, sociaux et caritatifs qui servent la population locale, qu’elle soit chrétienne ou non
  • L’exemption de cet impôt est un droit historique formalisé dans des firmans ottomans de 1852 et 1853, puis entérinés par les puissances britannique, jordanienne et israélienne
  • Les Églises paient des impôts sur leurs propriétés commerciales

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En 1993, le problème a été soulevé dans l’accord fondamental entre Israël et le Saint-Siège. Selon l’article 10 de cet accord, pendant les négociations entre les deux parties concernant les biens de l’Église, « aucune mesure unilatérale incompatible avec l’engagement de négocier de bonne foi et de parvenir à un accord dans un délai de deux ans ne devait être prise ».

Aucun accord n’a été conclu, les biens sont restés exemptés d’arnona, mais la municipalité n’a pas lâché le dossier et le dialogue entre les parties est plus rugueux que jamais.

La pression monte

En 2018, la ville a décidé que l’exemption ne s’appliquait qu’aux propriétés utilisées « pour le culte, pour l’enseignement de la religion ou pour les besoins qui en découlent ». Elle a gelé les comptes bancaires de plusieurs Églises pour recouvrer des millions de shekels en taxes impayées. Les Églises ont protesté en fermant temporairement le Saint-Sépulcre.

Ce bras de fer avait aussi un arrière-plan politique : parallèlement, la Knesset examinait un projet de loi permettant à l’État d’exproprier certains terrains vendus par les Églises à des promoteurs privés, ce que celles-ci ont perçu comme une attaque directe.

L’année dernière, les chefs des Églises ont écrit à Netanyahou pour lui proposer de trouver une solution. Lors d’une réunion en juillet 2024 avec le maire de Jérusalem, Moshe Leon, ils ont expliqué et réitéré leur position. Le maire leur a assuré que la municipalité n’agirait pas unilatéralement.

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Pourtant, la pression augmente. Plus tôt cette année, le Patriarcat arménien s’est vu menacé de saisie immobilière, une procédure enclenchée dans le cadre du recouvrement de l’Arnona. Le gel des comptes du patriarcat grec-orthodoxe est aussi perçu comme une violation de cette promesse. La portée du conflit dépasse Jérusalem : les municipalités de Tel-Aviv, Nazareth et Ramla ont également tenté d’étendre l’ arnona à des propriétés qui en étaient historiquement exemptées.

Pour les Églises, l’enjeu est de préserver leur autonomie financière et de protéger leur patrimoine foncier, considéré comme un instrument d’influence et de présence chrétienne dans la ville.

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