Alors que le conclave se réunira à partir du 7 mai pour élire le prochain pape, les médias israéliens s'intéressent au profil du cardinal Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, dont le nom figure parmi les potentiels "papabile". Le parcours de ce franciscain italien qui a passé près de 35 ans en Terre sainte et parle couramment hébreu, intrigue.
Les spéculations vont bon train. Les hommes aiment faire des listes. Anticiper. Calculer. Le conclave, fixé pour le 7 mai, ne déroge pas à la règle. Les pronostics se sont presque toujours trompés, mais ils font vendre : qui ressortira vêtu de blanc ? Quel cardinal sera le plus à même de répondre aux défis de l’Eglise ?
Dans la presse israélienne, on souligne le potentiel du cardinal « local », Mgr Pierbattista Pizzaballa. « L’un des nôtres ? Le prochain pape pourrait venir de Jérusalem », s’enthousiasme le quotidien Maariv. « Le prochain pape de Jérusalem ? Le candidat surprenant – Pierbattista Pizzaballa », titre la chaîne 12 dans un article en ligne. « Le patriarche latin de Jérusalem parmi les candidats au remplacement du pape François », raconte le Times of Israël.

À chaque fois, la même brève de l’Agence France Presse (AFP) alimente les articles. Mais le fait que des médias juifs s’intéressent à une thématique spécifiquement chrétienne montre à quel point le profil du Patriarche latin de Jérusalem intrigue. Voir séduit.
Un italien en Terre Sainte
Voilà près de 35 ans que Pierbattista Pizzaballa a débarqué en Terre Sainte pour ne plus la quitter. Né en 1965 dans une petite ville de la province de Bergame, en Italie, il est le troisième fils d’une famille d’ouvriers désargentés. Scolarisé dans un pensionnat religieux, il entre au Petit séminaire à 13 ans, rejoint le noviciat des Frère mineurs à 19 ans, et est ordonné prêtre à 25 ans.
C’est seulement trois semaines après cette ordination qu’il est envoyé à Jérusalem. On est en octobre 1990. En plein milieu de la première Intifada. Le jeune père Pizzaballa doit poursuivre ses études en théologie biblique au Studium Biblicum Franciscanum. Un sujet qu’il approfondit par la suite à l’Université hébraïque, où il entre en 1994.
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Alors que tous ses camarades de classes sont juifs, et parfois colons, le jeune Pizzaballa vit un dialogue judéo-chrétien unique : il ne se fait pas à l’ombre de la Shoah, mais dans la dynamique de l’Etat israélien. Pour la première fois, son christianisme est minoritaire.
Après cinq ans d’études, il maîtrise parfaitement l’hébreu. Une compétence souvent relevée par les médias israéliens. En 1999, il entre officiellement au service de la Custodie de Terre Sainte et se rapproche des qehillot, ces petites communautés catholiques d’expression hébraïque, fréquentées essentiellement par des juifs convertis. En tant que vicaire patriarcal, il contribue à la fondation de leur paroisse en créant le monastère Saints-Siméon-et-Anne, et en traduisant les textes liturgiques vers l’hébreu.
De Custode à Patriarche
Le 15 mai 2004, sa vie de frère franciscain à la Custodie de Terre Sainte prend un nouveau tournant : il est élu Custode. À 39 ans, sans expérience de gouvernance, il est catapulté au cœur de l’institution ecclésiale dans une des régions les plus conflictuelles du monde. Gardienne des lieux saints depuis le XIIIe siècle, la Custodie de Terre Sainte étend ses couvents et ses missions du Liban à l’Egypte en passant par la Jordanie, la Syrie, Chypre, Rhodes, Israël et la Palestine.
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Réélu deux fois, il sert douze ans en tant que Custode, et contribue à faire passer la Custodie dans le XXIe siècle. Son dernier mandat est notamment marqué par la visite du Pape François en Terre Sainte en 2014, et l’organisation, à la demande expresse du Saint-Père, d’une rencontre entre le président israélien Shimon Pérès, et le président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas.

En 2016, le pape François le nomme administrateur apostolique du Patriarcat latin, puis Patriarche en 2020. S’il n’a jamais souhaité ses rôles, leur préférant plutôt une vie calme dans un monastère contemplatif, il redresse les finances du diocèse de Jérusalem, et endosse avec succès le rôle du pasteur d’un peuple aussi fragmenté que divisé.
Réputé pour son intelligence et ses capacités de travail, Mgr Pizzaballa parvient le tour de force de s’adresser tout autant aux chrétiens d’Israël, de Cisjordanie et de Gaza, qu’ils soient palestiniens, israéliens ou migrants. Il a toujours insisté sur l’importance de l’identité chrétienne de Jérusalem, et a contribué à donner une voix à cette Eglise, souvent reléguée au second plan, derrière Rome.
Engagement en faveur de la paix
« Au fil des années, Pizzaballa a acquis une expérience rare dans la gestion des complexités de la région : relations avec les Palestiniens et Israël, médiation entre confessions chrétiennes rivales et même contact constant avec les responsables juifs – un rôle qui exige non seulement de la diplomatie mais aussi la patience d’un saint, note ainsi le journaliste israélien Jude Tergin, dans l’article de Maariv. Certains disent que sa neutralité, qui parvient à irriter à la fois les Israéliens et les Palestiniens, est le secret de son charme et de sa puissance. »
Il est fait cardinal le 30 septembre 2023 à Rome. Une semaine plus tard, le 7-Octobre bouleverse le Moyen-Orient. De cette période, la presse israélienne retient surtout cette interview du 16 octobre où le patriarche a déclaré être prêt à s’offrir en échange des enfants israéliens retenus otages dans la bande de Gaza.
« Cette déclaration a souligné son profond engagement en faveur de la paix et de l’humanitarisme et a reçu une attention internationale considérable », note l’article de la chaîne 12, avant d’évoquer les deux visites du cardinal à la paroisse latine de Gaza : « En raison de son rôle de chef de l’Église catholique en Israël et dans les territoires palestiniens, Pizzaballa est connu comme quelqu’un qui représente vigoureusement les positions des Palestiniens et est considéré comme proche de la position palestinienne. »
Chez les Israéliens investis dans le dialogue avec le christianisme, on apprécie la figure du Patriarche latin. « C’est un bon leader », loue Amnon Ramon, chercheur spécialiste des relations judéo-chrétienne en Israël. « Il est l’un des seuls chefs spirituels et religieux, ici, à oser prendre la parole », abonde Hanna Bendkowsky, directrice de programme au Centre de Jérusalem pour les relations judéo-chrétiennes : « Ce serait un beau message s’il était élu, mais on en a tout même encore besoin de lui ici. »