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Israël, le Parlement examine une loi sur les associations (jugées indésirables)

Giulia Ceccutti
7 juillet 2025
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La Knesset en session de vote ©Chaim Goldberg/Flash90

La majorité au pouvoir a présenté un projet de loi qui prévoit une lourde taxation pour les ONG recevant des fonds publics étrangers. Les dispositions à l’étude risquent de mettre à genoux les associations qui défendent les droits civils, comme nous l’explique l’avocat Hassan Jabareen.


Le projet de loi, porté par le député du Likoud Ariel Kallner, est à l’examen à la Knesset (le parlement monocaméral israélien). Depuis plusieurs mois, il alimente un vif débat dans le pays. S’il était adopté, il entraînerait une réduction substantielle des financements et, très probablement, la fermeture de nombreuses associations œuvrant dans le domaine des droits de l’Homme. C’est ce que souligne notamment le Forum des professeurs de droit israéliens pour la démocratie (Israeli Law Professors’ Forum for Democracy) dans un appel sans détour : « Une telle loi contredirait les principes fondamentaux d’un régime démocratique (…) Ce n’est pas un hasard si des lois de ce genre ont été adoptées ces dernières années dans des États autoritaires ». Le texte précise également que « ce projet de loi, qui vise à frapper les organisations critiques à l’égard du gouvernement dans le cadre d’un effort plus large de consolidation du pouvoir par le biais de la réforme judiciaire, est inconstitutionnel et doit être bloqué ».

L’avocat Hassan Jabareen lors d’une audience devant la Cour suprême israélienne. ©Yonatan Sindel/Flash90

Adalah (« justice » en arabe), un centre juridique indépendant basé à Haïfa qui défend les droits de la minorité arabe en Israël, a également pris l’initiative d’une lettre signée par neuf ONG différentes réclamant l’abandon du projet. « C’est une attaque directe contre la société civile, l’État de droit et la structure constitutionnelle fondamentale de la démocratie israélienne », peut-on y lire. « Cela menace les droits des individus et des communautés et tente de réduire au silence la dissidence légitime sous prétexte de souveraineté ».

Nous avons demandé au fondateur et directeur d’Adalah, l’avocat palestinien Hassan Jabareen, de nous aider à clarifier les destinataires et les implications de ce projet de loi.

Maître Jabareen, pouvez-vous résumer les points essentiels de ce projet de loi ?

En résumé, il stipule que si une ONG reçoit des fonds d’une entité étrangère, elle sera taxée à hauteur de 80 % des sommes perçues. Mais il existe des exemptions : si la même ONG reçoit de l’argent de l’État israélien, elle en sera exonérée, même si elle a également été soutenue par un État étranger. Ce n’est pas tout. Si le ministre israélien des Finances – actuellement Bezalel Smotrich, leader du parti politique des colons – juge opportun d’accorder une exemption à une ONG, celle-ci pourra bénéficier des dons sans être soumise à la taxe de 80 %. Une autre exemption concerne les organisations dont le budget annuel est inférieur à 100 000 shekels.

Quelles organisations seront concernées, et lesquelles ne le seront pas ? Pouvez-vous donner des exemples ?

Cela peut surprendre, mais les principales victimes de cette loi ne sont pas des ONG palestiniennes, mais des ONG juives israéliennes. Il faut rappeler qu’en général, les organisations israéliennes actives dans le domaine des droits humains ne reçoivent pas de fonds du gouvernement israélien. Pour préserver leur indépendance, elles sont autonomes dans leurs sources de financement. Il n’est pas difficile de citer quelques noms parmi les plus connues qui seront touchées : Yesh Din – Volunteers for Human Rights, qui documente les violations des droits humains dans les Territoires palestiniens occupés ; Physicians for Human Rights Israel ; B’Tselem ; Gisha – Legal Center for Freedom of Movement ; Breaking the Silence. Et la liste pourrait continuer.

De plus, si cette loi est adoptée, ne seront pas seulement visés les groupes qui s’occupent des droits de l’Homme, mais également toutes les structures qui œuvrent pour le dialogue, pour l’égalité des droits entre les deux peuples, pour le processus de paix et la coexistence entre Palestiniens et Israéliens, dans une optique opposée à celle du gouvernement actuel. Parmi elles figure donc, par exemple, le célèbre village mixte de Neve Shalom Wahat al-Salam et ses institutions éducatives.

C’est bien le double objectif du gouvernement : frapper d’un côté les ONG israéliennes qui veulent remettre au centre l’État de droit ainsi que le droit international et humanitaire, et de l’autre, leurs bénéficiaires palestiniens.

Comment comptez-vous répondre à ce projet de loi ?

Nous avons l’intention de saisir la Cour suprême pour en contester la constitutionnalité. Nous rappellerons qu’il existe un droit constitutionnel d’association.

Le point principal sur lequel nous voulons insister est qu’il s’agit d’une loi discriminatoire. Elle discrimine en effet entre différents types d’ONG. Si, comme le prétendent les promoteurs, l’objectif est d’éviter des financements étrangers afin d’éliminer d’éventuelles influences étrangères indues, cela devrait s’appliquer à toutes les ONG, et non seulement à certaines. Par ailleurs, l’autorité que s’arroge le ministre des Finances est elle aussi inconstitutionnelle, car avec cette autorité, il décide qui aura la liberté d’association et qui ne l’aura pas. Or le ministre n’est pas un juge : c’est une figure politique. À ce titre, il agit selon des intérêts d’ordre politique.

Bien entendu, nous attaquerons également l’objectif même de cette loi. Nous dirons qu’il est illégitime, car les États étrangers qui financent ces ONG financent aussi, par exemple, les universités et les hôpitaux israéliens. Alors pourquoi cet argent est-il accepté, tandis que les fonds destinés au travail sur les droits humains, les libertés et la coexistence ne le seraient pas ? Il y a donc de nombreux arguments et aspects que nous pourrons présenter devant la Cour suprême contre ce projet de loi.

Vous affirmez que « ce n’est pas qu’une question d’argent ». Pourquoi ?

Oui, la question ne se limite pas aux fonds. Aujourd’hui, les donateurs européens ne se contentent pas de fournir de l’argent à ces structures. Ils ouvrent des portes, offrent des espaces aux activistes pour dialoguer avec les parlementaires et la société civile de leurs pays, favorisent des contacts et des synergies avec des groupes locaux travaillant sur les mêmes thèmes. En réalité, ce projet de loi vise aussi à couper cela : la possibilité de faire du lobbying auprès de l’Union européenne et de bâtir un réseau d’alliances. En résumé, il supprime l’opportunité d’avoir une voix.

Quelles ont été jusqu’à présent les réactions à ce projet ?

Le projet de loi est encore en cours d’élaboration. Il semble qu’il se heurtera à des obstacles. Nous savons qu’en coulisses, des pressions sont exercées par certains États. Même le ministère israélien des Affaires étrangères a émis des objections, affirmant qu’une telle loi nuirait à Israël lui-même, car il existe un risque de réciprocité : d’autres pays pourraient, en réponse, imposer des taxes similaires qui nuiraient à Israël.

Quel rôle voyez-vous pour l’Union européenne dans ce contexte ?

À notre avis, l’UE peut facilement « rejeter » ce projet de loi. Elle a un pouvoir important, et vous, citoyens européens, vous avez plus de pouvoir que les citoyens israéliens à l’égard de ce projet de loi. Vous pouvez exercer des pressions sur vos gouvernements, sur votre Parlement. Lancer des campagnes qui demandent des comptes sur l’utilisation de votre argent, sur les raisons pour lesquelles il ne pourrait pas être accepté.

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