Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Sainte-Anne : une église française en Terre Sainte

Louise Couturaud
30 mars 2013
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Les pèlerins français n’en sont pas peu fiers. L’église Sainte-Anne passe pour être une de plus belles églises de Terre Sainte, à leurs yeux au moins… Mais la singularité de Sainte-Anne ne réside pas
dans la perfection de son architecture mais dans le fait qu’au beau milieu de Jérusalem c’est un domaine national français.


On se croirait en Bourgogne…” murmure un pèlerin français en découvrant l’église Sainte-Anne de Jérusalem, dans le quartier musulman de la Vieille Ville. Derrière le porche qu’il a franchi, la petite église romane lui rappelle la France, malgré le jardin exotique qui l’entoure. C’est que cette église n’a pas le même cachet que la majorité des sanctuaires de Terre Sainte. Et pour cause, c’est la seule église construite par les Croisés à Jérusalem qui n’a pas été détruite par les Arabes. Saladin en fit une madrassa, c’est-à-dire une école de droit coranique en 1192. La dédicace en arabe au-dessus du porche de l’église en témoigne : “(…) Cette madrasa bénie a été fondée par le roi victorieux, notre maître Salah-ed-Din (…) L’établissement a été fondé par les docteurs du rite de l’imam Abu Abdallah Mohammed (…) l’an 588”. On dit que c’est son acoustique exceptionnelle qui l’a sauvée. Une acoustique qui contribue aujourd’hui encore à faire sa réputation : tous les jours, les groupes de pèlerins l’expérimentent, s’essayant avec plus ou moins de bonheur aux chants sacrés. Par ailleurs, l’église Sainte-Anne ouvre régulièrement ses portes pour des concerts ; son architecture mettrait particulièrement en valeur les voix de soprano et de ténor. En septembre, l’Institut Français de Jérusalem y avait organisé un concert durant lequel deux sopranos avaient interprété des grands airs d’opéra.

Du Temple

En effet, l’Institut Français de Jérusalem est tout particulièrement lié à l’église Sainte-Anne qui est domaine national français.
Église bâtie par les Croisés hier, aujourd’hui domaine national français, pour comprendre ce monument, il faut comme toujours en Terre Sainte se rapporter à l’Histoire. Or l’histoire de Sainte-Anne est bien antérieure à sa construction par les Croisés en 1130. C’est la piscine probatique qui la jouxte, aussi appelée piscine de Bethesda, qui est la cause directe de son existence car c’est ici que le Christ guérit un homme infirme depuis 38 ans [Jn 5, voir encadré]. Mais l’Histoire ne suffit pas à expliquer Sainte-Anne et sa piscine, il faut aussi faire appel à la géographie. Le site de la piscine probatique et de l’église Sainte-Anne est à trois minutes au nord de l’esplanade des mosquées qui recouvre aujourd’hui les ruines du Temple détruit en 70. Chaque jour au Temple, les prêtres sacrifiaient quantité d’animaux. Les troupeaux qui entraient par la porte nord-est de la ville et étaient lavés dans ses eaux ont donné le nom de piscine probatique, ou “piscine des brebis”. Pour saisir l’importance de cette piscine du temps du Christ, il faut avoir à l’esprit la place majeure de l’eau dans les cérémonies juives de l’époque. Rituels de purification et sacrifices exigeaient beaucoup d’eau, notamment pour lessiver les autels ensanglantés. Cette “piscine” ce sont deux grands bassins grossièrement rectangulaires creusés à l’époque royale. Plus récemment un lieu de guérison, d’origine païenne, s’était développé à cause de petites résurgences juste à côté des deux grands réservoirs d’eau et ils avaient la réputation d’être miraculeux. Les malades qui espéraient une rémission attendaient que l’eau de ces bains bouillonne : le premier d’entre eux qui atteignait l’eau était guéri, “quelle que soit sa maladie”. Les fouilles menées sur ce site permettent de comprendre la détresse de l’infirme qui s’adresse à Jésus : “Seigneur, je n’ai personne pour me plonger au moment où l’eau bouillonne, et, pendant que j’y vais, un autre descend avant moi.” Il fallait nécessairement de l’aide pour atteindre en premier l’escalier étroit et pentu menant aux bains.

Aux croisés

Sous Hérode le Grand, un bassin fut creusé tout contre l’enceinte du Temple et la piscine de Bethesda devint inutile. Le lieu de guérison connut un recul, les bassins furent comblés ; on aménagea cependant une citerne. En 135, le sanctuaire fut transformé en temple dédié à Sérapis. Au Ve siècle, les Byzantins élevèrent sur le lieu supposé de la guérison de l’infirme une basilique de 45 m de long, c’était alors la cinquième plus grande église de Jérusalem. Restaurée en 635, la basilique est dédiée à Sainte Marie de la Probatique car on associe alors clairement à la piscine de Bethesda le lieu de la naissance de Marie. Comment comprendre ce rapprochement ? Le Proto-évangile de Jacques, un apocryphe du IVe siècle, rapporte que la Sainte Vierge naquit près du Temple et que ses parents âgés l’offrirent au Temple jusqu’au jour de son mariage avec Joseph. La tradition orale, sans doute antérieure à cet apocryphe, avait retenu ce lieu comme celui de la maison d’Anne et de Joachim. Il est permis de douter de l’historicité du lieu… Mais Dominique Arnauld, Père Blanc de Sainte-Anne, pour avoir longtemps vécu en Afrique, rappelle l’importance de la tradition orale et le respect qu’on lui accorde dans cette région. En 1010, l’église est détruite par le calife Al-Hakim. Elle ne sera rebâtie qu’un peu plus de 100 ans plus tard par les Croisés mais selon un plan tout à fait différent. Le souvenir de la naissance de Marie et de la guérison de l’infirme est dissocié : sur la piscine est bâti un petit monastère d’hommes appelé moustier et sur la maison supposée de sainte Anne est construite la vaste église romane que nous connaissons aujourd’hui. C’est la reine Mélisande, fille de Baudoin II et épouse de Foulques, roi de Jérusalem, qui aurait fait construire l’église pour sa sœur religieuse. Sainte-Anne aurait alors servi de refuge aux épouses royales abandonnées… mais bien dotées ! Par un escalier situé dans la nef droite on accède à la crypte qui correspond à la grotte dans laquelle sainte Anne aurait enfanté la Vierge Marie. Des travaux d’aménagement de l’église au XIXe siècle ont mis à jour des mosaïques byzantines sur le site : on y commémorait déjà la naissance de Marie.

Dernière église croisée de Jérusalem

De tous les édifices construits à Jérusalem par les Croisés, il ne reste plus que l’église Sainte- Anne. Le sort de cette église est tout à fait particulier puisque après avoir été transformée en école coranique par Saladin, elle a été laissée à l’abandon sous la domination ottomane, recevant quelques visites discrètes de pèlerins qui venaient vénérer le lieu de naissance de la Vierge. Mais après la guerre de Crimée (1854-1856), l’église Sainte-Anne et le terrain de la piscine probatique sont donnés à la France par les Ottomans en remerciement de son alliance contre l’empire russe. L’architecte Mauss est chargé de restaurer le monument délabré et de mener les premières fouilles. En 1878, le site est confié aux Pères Blancs du cardinal Lavigerie. Ils hésitent avant d’accepter, leur terre de mission étant l’Afrique… Mais Mgr Lavigerie met en avant “l’événement providentiel qui confiait à la Société naissante qui, dès son origine, s’était mise sous la protection de la Vierge Immaculée, la garde du sanctuaire élevé à l’endroit même où s’était opéré le grand mystère de l’Immaculée Conception”. Les Pères Blancs y ont pour mission la formation des séminaristes melkites. Ils poursuivent les fouilles et aménagent les deux grands bassins de Bethesda. Les Dominicains de l’École biblique et archéologique de Jérusalem dégagent quant à eux les ruines de la basilique et les “bains sacrés”. Les Pères Blancs ont encore la charge du domaine français de Sainte-Anne mais à cause de la guerre des Six Jours, le séminaire a été transféré au Liban en 1967. Ils se consacrent maintenant à l’accueil des pèlerins, à l’organisation de retraites, à des enseignements théologiques pour les séminaristes de l’Ordre et au dialogue interconfessionnel.

Morceau de notre pays

Chaque visiteur est nécessairement interpellé lorsqu’il visite le domaine. Une plaque de la République française est apposée à l’entrée du domaine, le drapeau français flotte sur l’église, et dans le narthex, on trouve une statue de l’Éducation de la Vierge offerte par la ville de Nantes ! Sur les murs de l’église, on remarque les plaques mortuaires de consuls français et du père Gré, et de Pères Blancs. La petite histoire nous apprend aussi qu’en 1996, lors de sa visite en Israël, Jacques Chirac sut profiter du statut particulier du domaine : excédé par le zèle des forces de sécurité israélienne,
il exigea que les soldats de Tsahal quittent le jardin de Sainte-Anne qu’il qualifia de “morceau de notre pays en Terre Sainte”. Les soldats durent s’exécuter ! Plus concrètement, le statut spécial du domaine Sainte-Anne n’a pas de réelles répercussions pour les pèlerins. Les Pères Blancs sont conduits à travailler régulièrement avec le Consulat Français, notamment pour l’exécution d’un projet qui a vu le jour il y a peu : la réouverture du musée archéologique Sainte-Anne.
Encore aujourd’hui, tous les 14 juillet, mais aussi les 8 septembre et 8 décembre, une messe consulaire est célébrée dans l’église, durant laquelle on chante le fameux : “Domine salvam fac Republicam”, Dieu sauve la République ! Une prière qui ne surprend ici… que les Français !


Les Domaines nationaux français en Terre Sainte

Entre 1856 et 1878, l’État français devint propriétaire de quatre domaines en Terre Sainte. Trois à Jérusalem même, Sainte-Anne, l’Éleona (grotte du Pater sur le mont des Oliviers), le Tombeau des Rois et le quatrième à Abu Gosh.
Ces domaines nationaux ont été acquis au XIXe siècle, alors que la Palestine était le théâtre d’une vive rivalité internationale. Les grandes puissances d’alors, désireuses de s’implanter en Terre Sainte, encouragèrent les communautés religieuses à s’y installer.… Dans ce contexte, la France obtint du Sultan deux édifices en remerciement pour des services rendus ou en compensation pour des dons à d’autres nations : Sainte-Anne et Abu-Gosh. C’étaient des dons souverains, sans restrictions ni conditions. La France a aussi profité de la générosité de riches familles françaises : ainsi reçut-elle de particuliers l’Éleona et le Tombeau des Rois qu’elle s’honore de mettre toujours plus en valeur.


Les Franciscains et Sainte-Anne

Bien que les musulmans fussent maîtres du sanctuaire on n’oublia pas que dans la grotte-crypte la Mère du Sauveur naquit. Les pèlerins certes n’y entraient que contre bacchiche et plus tard, le passage de la porte leur étant interdit, ils furent obligés de s’y laisser glisser par une fenêtre.
Les Franciscains se sont servi pendant des siècles de cette singulière entrée soit pour y conduire des pèlerins, soit pour y célébrer la sainte Messe de la Conception immaculée et de la nativité de la Vierge Marie. Les santons exigeaient, comme récompense de leur complaisance, une somme assez forte, puis il fallait se présenter de nuit, car la mort attendait tout chrétien qui, par sa présence de nuit, profanait un lieu de prière musulman. Comme la fenêtre était à plus de trois mètres au-dessus du sol de la crypte, plus d’un se blessa en y descendant, d’autres n’en revinrent plus.
In La Terre Sainte, 15 sept 1922

 

Ce que dit l’évangile selon saint Jean v, 2-15

À Jérusalem, près de la Porte des Brebis, il existe une piscine qu’on appelle en hébreu Bézatha. Elle a cinq portiques, sous lesquels étaient couchés une foule d’infirmes, aveugles, boiteux et impotents qui attendaient l’agitation de l’eau (car, à certains moments, l’ange du Seigneur descendait dans la piscine, l’eau s’agitait et le premier qui y entrait après que l’eau avait bouillonné était guéri, quelle que fût sa maladie). Il y en avait un qui était infirme depuis trente-huit ans. Jésus, le voyant couché là, et apprenant qu’il était dans cet état depuis longtemps, lui dit : “Est-ce que tu veux retrouver la santé ?” Le malade lui répondit : “Seigneur, je n’ai personne pour me plonger dans la piscine au moment où l’eau bouillonne ; et pendant que j’y vais, un autre descend avant moi.” Jésus lui dit : “Lève-toi, prends ton grabat et marche.” Et aussitôt l’homme retrouva la santé. Il prit son grabat : il marchait ! Or, ce jour-là était un jour de sabbat. Les Juifs dirent à cet homme que Jésus avait guéri : “C’est le sabbat ! Tu n’as pas le droit de porter ton grabat.” Il leur répliqua : “Celui qui m’a rendu la santé, c’est lui qui m’a dit : “prends ton grabat, et marche !”” Ils l’interrogèrent : “Quel est l’homme qui t’a dit : “Prends-le, et marche” ?” Mais celui qui avait été guéri ne le savait pas ; en effet, Jésus s’était éloigné, car il y avait foule à cet endroit. Plus tard, Jésus le retrouva dans le Temple et lui dit : “Te voilà en bonne santé. Ne pèche plus, il pourrait t’arriver pire encore.” L’homme partit annoncer aux Juifs que c’était Jésus qui lui avait rendu la santé.

Dernière mise à jour: 30/12/2023 14:04

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