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L’autre montagne sainte: le Carmel

Rosario Pierri ofm Studium Biblicum Franciscanum
30 janvier 2013
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Elie y aurait offert le sacrifice au Dieu unique. Le prophète est aujourd’hui considéré comme le fondateur de l’Ordre du Carmel. L’histoire du Mont est elle aussi liée au monachisme.


Une petite chaîne montagneuse. Ce qui est communément appelé le Mont Carmel est le promontoire d’une chaîne de montagne de 150 kilomètres carrés, dont les pentes côtières s’étendent jusqu’à la ville de Haïfa. Le sommet de la colline le plus au sud-est de la chaîne culmine à 482 mètres de haut et est appelé el-Muhraqa « le Sacrifice ». C’est à cet endroit que la tradition situe la rencontre entre le peuple et les prophètes de Baal convoqués par le prophète Élie.
La tradition juive lie étroitement l’événement de l’apparition du prophète à son enlèvement céleste au Carmel (1R 18-21, 2R 1-2). Élie, qui signifie « mon Dieu est vraiment le Seigneur » est le pourfendeur par excellence de l’idolâtrie. Une mission qu’il confiera à son successeur Élisée (2R 2,1-18). Le Carmel est la toile de fond de certains épisodes de la vie d’Élisée (2R 4, 8-37).

Tradition monastique.

L’histoire du Carmel du IVe siècle après J.-C. est intrinsèquement liée au monachisme, qui fleurit en Palestine entre le IVe et le VIIe siècle sous l’impulsion de saint Chariton et Saint Hilarion.
L’Anonyme de Piacenza (570), affirme qu’il a vu le « Monastère d’Élisée. » Il est probable que le Piacentin ait plutôt vu le monastère d’Élie, l’ancien monastère du Bienheureux Brocardo, dont les vestiges sont visibles dans le Wadi’ain es-Siah « la Vallée des martyrs », situé à 5 km du sanctuaire Stella Maris. Les sources rappellent que dans ce même site, un monastère dédié à sainte Marguerite ou sainte Marine avait été construit vers 1200. Il faut dire que l’histoire ancienne de ces sites est très complexe et difficile à reconstituer. L’essentiel est de savoir que les sites principaux tournant autour de l’histoire des sanctuaires chrétiens du Carmel sont deux : ain Wadi es-Siah (monastère de Sainte Marguerite) et le plateau du Mont-Carmel (sanctuaire Stella Maris). Peut aussi être rajoutée la « Grotte d’Élie » appelée el’Khader « le verdoyant » par les musulmans. Celle-ci est située au pied du promontoire, correspondant au phare.

Les Pèlerins

Pendant la conquête musulmane, les pèlerins se dirigeant vers Jérusalem par voie maritime et arrivant à Haïfa, pouvaient visiter et s’arrêter dans les différents lieux dont la grotte d’Élie ou l’abbaye de Sainte Marguerite. Accueillis par les Carmes au Wadi ‘ain es-Siah, les pèlerins pouvaient puiser de l’eau à la Fontaine d’Élie ou visiter les grottes d’Élie et d’Élisée. Dans ce petit wadi, les Carmes construisirent une église et un monastère.

Les Carmes

L’Ordre des Carmes est né en Terre Sainte, précisément sur le mont Carmel. Le patriarche de Jérusalem de l’époque, Alberto, a donné une règle à un groupe d’ermites latins qui vivaient près de la source d’Élie. Pourquoi Élie avait-il attiré au cours des siècles les moines byzantins et les ermites latins ? Pourquoi, dans la tradition chrétienne, le prophète était-il devenu un modèle de vie religieuse ? Jérôme (347-419/20) et Cassien (360-435) voyaient en Élie et Élisée les initiateurs de la vie religieuse. Ainsi, la spiritualité carmélitaine porte l’empreinte d’Élie, considéré comme le fondateur de l’Ordre. Le lien est naturel : à la suite d’Élie, ses disciples, dont des ermites latins, ont vécu sans interruption sur le mont Carmel. L’approbation de la règle d’Albert Avogadro par le pape Honorius III (1216-1227) a donné une identité définitive à ce dernier groupe de religieux.

Marie

La construction d’une église en l’honneur de Marie près de la source d’Élie révèle un trait intéressant de l’histoire de la spiritualité carmélitaine. La fusion de la tradition d’Élie et de celle de la Vierge est principalement due à deux carmes qui vivaient en Europe. Le premier, John Baconthrope dans les premières décennies de 1300, appliqua à Marie le texte d’Isaïe 35,2, où est prophétisé qu’à Jérusalem « est donnée la splendeur du Carmel ». Marie est donc présentée comme la Dame du Mont. Quels que soient les événements qui se sont passés sur la montagne, conclut le moine, tout a été fait en l’honneur de Marie. Élie et Élisée préfigurent également le Christ, fils de Marie. Jean de Chaminot, cinquante ans plus tard, déclara qu’Élie et Marie appartenaient à la tribu d’Aaron, et que tous deux avaient professé sa virginité. Depuis, Marie est apparue à plusieurs reprises aux ermites. En son honneur, ils ont érigé une église près de la source.

Le sanctuaire

La conquête des Mamelouks en 1291 a été suivie de la destruction de tous les monastères chrétiens dispersés sur le mont Carmel et le martyre de religieux. À cause du massacre, les Carmes se sont transférés en Europe, mais le désir de retourner à l’endroit d’origine n’a jamais disparu, même si le retour était tout sauf simple. C’est seulement en 1627 que la Congrégation pour la Propagation de la Foi a permis aux Carmes de revenir au Carmel, non sans avoir au préalable obtenu pour les religieux le soutien diplomatique de la France.
Le principal promoteur de la reconstruction des monastères et des églises fut le père Prosper du Saint-Esprit, qui a commencé son travail en 1631. En 1719, le projet de construire un couvent sur l’esplanade du promontoire commença à faire son chemin. La réalisation en fut confiée au Père Philippe de Saint-Jean, qui, en 1762, reprit d’abord possession de la propriété. En attendant de construire le nouveau monastère sur l’esplanade, le Père Philippe décida de faire quelques travaux d’urgence au monastère datant du Père Prosper. Puis très vite, le Père Philippe et un nouveau venu, frère Jean-Baptiste de Saint-Alexis, se sont concentrés sur la construction du couvent sur l’esplanade. L’inauguration du sanctuaire eut lieu le 16 juillet 1768, jour de la fête de Notre Dame du Saint Carmel.
Ce monastère fut détruit par Abdallah, le pacha d’Acre. En juin 1827, fut posée la première pierre d’un édifice qui, selon la volonté du roi de France, devait servir de sanctuaire, de couvent, d’hospice pour les pèlerins, d’hôpital et de forteresse.

Ouvertures Stella Maris

Abdallah, en 1820-1822, s’était fait construire une villa en face du couvent. Les Carmes l’acquirent en 1846 et installèrent sur la terrasse un phare qu’ils remplaceront à la fin de la Première Guerre mondiale par un autre provisoire. Plus tard, le bâtiment fut transformé en hospice pour les pèlerins et un nouveau phare y fut construit. Le directeur des travaux était Victor Germain, Consul honoraire pour l’Espagne à Haïfa. L’ouverture du phare qui fut baptisé du vocable de Stella Maris, eut lieu le 26 janvier 1928. Plus tard, le nom s’étendit à l’hospice puis entre 1955 et 1960, sur l’initiative du Père Antonio Stantic, au couvent tout entier.

Grotte d’Élie

D’après les sources de l’époque des croisés, la grotte d’Élie est celle au pied du promontoire (el’Khader). Ce n’est que plus tard qu’elle est présentée comme étant le lieu de l’esplanade. En 1489, Guillaume de Harlem visita sur l’esplanade l’église annexe au couvent. Il témoigne de la présence, dans la même église, du culte de Marie et d’Élie en deux endroits distincts.

El’Muhraqa (Le Sacrifice)

Durant la période byzantine, des moines vivaient dans les grottes environnant la hauteur d’El Muhraqa. Aujourd’hui il n’existe plus aucun reste de constructions croisées. Benjamin de Tudèle et d’autres voyageurs rappellent que les Juifs s’y retrouvaient pour adorer le prophète Élie. Dans le site un monument de douze grosses pierres disposées en cercle autour d’une citerne fut dressé. Ici, la tradition fixait le lieu où Élie offrit un sacrifice à Dieu s’opposant aux prophètes de Baal. Le site a été acheté par les Carmes en 1856, qui y ont construit un couvent et une église.
Le plus haut sommet du Carmel atteint 546 mètres et est situé juste à l’ouest de la colline du sacrifice.

Saint-Elias

Dans le calendrier liturgique de l’église locale la mémoire de saint Élie tombe le 20 juillet. Le saint prophète est vénéré par les chrétiens comme le patron de la fécondité. Sans doute, cette croyance est issue de deux épisodes bibliques et qui ont Élie pour protagoniste : la résurrection du fils de la veuve (1R 17.17-24) et la pluie tombée après une longue période de sécheresse (1R 18.41 – 46). Celui qui possède des pouvoirs est potentiellement protecteur de toute fécondité.

Dernière mise à jour: 30/12/2023 10:32

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