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Nationalité araméenne : diviser pour régner ?

Nicolas Kimmel
5 novembre 2014
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En septembre, le ministre de l’Intérieur israélien a signé un décret permettant aux chrétiens israéliens jusque-là identifiés comme “arabes” de se définir comme “araméens”. Une décision qui fait polémique.


“Nous remercions le Ministre de l’Intérieur de nous rappeler que nous sommes des araméens, que nous sommes là bien avant d’autres peuples (sous-entendu les Hébreux eux-mêmes ndlr) et que nous sommes enracinés sur cette terre.”
Telle fut la première réaction des Arabes chrétiens de Galilée au décret publié le 16 septembre 2014 reconnaissant une nationalité araméenne, explique à Terre Sainte Magazine Mgr Marcuzzo, évêque latin en Galilée.

Le temps de la plaisanterie passé, la nouvelle de l’émission par le Ministère de l’Intérieur d’un décret permettant aux chrétiens israéliens jusque-là identifiés comme “arabes” de se définir comme “araméens” a fait l’effet d’une bombe.

Elle a été reçue comme une tentative de distinguer – parmi les citoyens israéliens non-juifs – les musulmans des chrétiens et partant de les diviser.

La Commission Justice et paix, de l’Assemblée des Ordinaires catholiques de Terre Sainte, a condamné sans équivoque la mesure. Le communiqué affirmait : “Aujourd’hui en Israël, nous sommes palestiniens arabes”, cette mesure vise à “séparer les chrétiens palestiniens des autres Palestiniens”.

Déjà, en février 2014, une loi avait été votée par le Parlement israélien établissant une distinction entre israéliens chrétiens et israéliens musulmans dans certaines assemblées représentatives.

Décret arbitraire

Ce qui choque Mgr Marcuzzo c’est le caractère arbitraire et factice d’un tel décret : “Comment devient-on quelqu’un par décret ! Nous sommes ce que l’histoire, la culture, et une vie en société ont fait de nous.” Pour lui, le qualificatif d’araméen pour les chrétiens israéliens ne recouvre pas la réalité :
“Nos fidèles sont fiers d’être arabes. Ils se sentent arabes, au point de vue linguistique, national et social. Rappeler qu’ils ont été araméens, c’est très bien. Mais le fait est que maintenant, nous nous sentons, disent-ils, arabes, palestiniens.”

“Si votre intention, en modifiant notre identité, est de garantir pour vous-mêmes un partenaire de paix, nous sommes déjà des partenaires de paix sans cette attaque qui vise notre identité” poursuivait quant à lui le communiqué.

Derrière la question de l’identité des arabes israéliens (que l’on appelle également ‘’Palestiniens d’Israël’’) se cache la question épineuse du soutien à apporter à l’État hébreu et à sa politique. La question fait débat. Pour l’Assemblée des Ordinaires catholiques de Terre Sainte, la position est arrêtée depuis longtemps : les chrétiens arabes qui sont citoyens d’Israël n’ont pas à se renier et ont le devoir de rester unis, en conservant leur identité arabo-palestinienne.

Cependant, il existe depuis quelques années un petit groupe de chrétiens (majoritairement grecs-orthodoxes et maronites) favorables à une intégration plus marquée dans la société israélienne. Soutenu politiquement et financièrement par plusieurs partis juifs ce groupe ne bénéficie d’aucun soutien de la part des autorités ecclésiastiques d’aucune Église. Ces chrétiens sont principalement motivés par la peur de l’islam, d’où la volonté de ne pas être identifiés comme “arabes”. Cet argument, Mgr Pierre Melki, évêque syriaque-catholique, le comprend, mais ne l’accepte pas : “Je peux comprendre la réaction de certaines personnes, surtout en ce moment avec Daesh (l’État islamique), de vouloir rejeter l’islam en quittant l’identité arabe. Mais après ? Pouvons-nous accepter de nous replier sur nous-mêmes pour nous couper des autres ? Nous n’avons pas d’avenir dans la région dans des projets de divisions et d’isolement d’avec le reste du monde arabe.”

On peut légitimement se demander pourquoi ces familles s’engagent dans la voie d’un soutien inconditionnel à la politique israélienne. La peur de l’islam est une motivation certaine. Mais il faut aussi considérer les avantages promis par l’État hébreu en échange du changement de nationalité. Mgr Melki cite l’exemple des Druzes auxquels l’État hébreu avait fait miroiter, en échange de leur soutien et de leur intégration à l’armée, des facilités dans la vie quotidienne et des efforts pour l’aménagement des biens et services dans leurs villages. Mais d’après des confidences de Druzes faites au prélat : “Ils ont été dupés. La situation ne s’est pas améliorée.”

Mgr Marcuzzo pointe une raison qui expliquerait les motivations de la minorité arabe chrétienne pro-israélienne :
“Ils cherchent à plaire”.

Cette attitude reçoit la même condamnation de la part des évêques de Terre Sainte : “Quant aux quelques chrétiens palestiniens en Israël qui soutiennent cette idée, à savoir la revendication des racines araméennes et l’entrée dans le service militaire, nous disons : réveillez-vous, et retournez à votre conscience, il n’est pas possible que vous fassiez du mal à votre peuple pour satisfaire vos intérêts personnels du moment. Dans votre attitude, vous ne faites du bien ni à vous-mêmes ni à Israël. Israël a besoin du chrétien à qui le Christ a dit : ‘’Bienheureux les artisans de paix’’”.

Risque de divisions

Quel sera alors l’impact d’un tel décret ? Les évêques sont assez sceptiques. Ils souhaitent mettre l’accent sur l’aberration historique de la décision, rappelant que les chrétiens n’étaient pas seuls à être araméens, puisque les juifs comme les musulmans sont également originaires de cette nation (les juifs étaient araméens avant, pour certains, de devenir chrétiens, les uns et les autres ayant pu par la suite devenir musulmans au cours des siècles. On relira avec intérêt Dt 26, 5).

Mais surtout, ils sont nombreux à estimer que cette nouvelle possibilité n’apportera rien sinon de la division. “Nous sommes 2 % en Israël. Si on prend la nationalité araméenne, qu’est-ce que ça va changer ?” demande Mgr Melki. “Le risque c’est celui de la division. Il y a une interrogation qui nécessite une réponse. Pourquoi aujourd’hui ? Surtout dans l’actualité qui est la nôtre, avec ce déchirement entre Israéliens et Palestiniens”, fait-il remarquer.

Alors les autorités sont plutôt confiantes, même si le risque de division les attriste : “Il ne faut pas avoir peur, pour ma part je ne suis pas préoccupé. Tout cela est trop artificiel, ça s’arrêtera un jour de soi-même” assure Mgr Marcuzzo.

L’expression revient plusieurs fois dans la bouche des personnes interrogées : avec ce décret, Israël donne l’impression de vouloir “diviser pour régner”. La mesure, selon toute vraisemblance, n’aura qu’un impact très faible. Le choix de la nationalité araméenne (différente de la citoyenneté qui est, elle israélienne) se faisant sur la base du volontariat, le changement ne devrait être adopté que par les quelques deux-cents familles qui répondent déjà aux sollicitations israéliennes s’agissant de l’enrôlement dans l’armée.

Pour autant, les chrétiens se seraient bien passés de ces divisions. Le communiqué du Conseil des Évêques catholiques de Terre Sainte finit cependant sur une note d’espoir et d’appel à l’apaisement : “Bienheureux les artisans de paix, car ils seront les vrais serviteurs de Dieu et de l’homme, de tout homme, palestinien et israélien, ainsi que de toute la région.”

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