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Un roi belge pour Jérusalem

Marie-Armelle Beaulieu
15 janvier 2016
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Un roi belge pour Jérusalem
D’un roi à l’autre. La statue de Godefroy de Bouillon qui inspirait à Denys Cochin de confier les Lieux saints de Palestine à la Belgique ©Eric Chaumont

C’est le genre d’information que l’on trouve sans la chercher. Les perdants de l’histoire ont toujours tort. Pourtant, le désir de mettre Jérusalem sous tutelle de la Belgique a bel et bien existé. Elle aurait fait d’Albert Ier, roi des Belges, le roi de Jérusalem.


Il y a deux ans encore, à l’issue de la messe du 15 novembre, on entendait résonner dans l’église du couvent franciscain Saint-Sauveur, en vieille ville de Jérusalem, l’hymne national belge, la Brabançonne. Si l’actuel Consul général a renoncé à ce privilège, il n’en est pas moins présent à la messe organisée chaque année par la Custodie pour la Belgique et ses dirigeants à l’occasion de la fête du Roi.

La communauté belge y est présente en petit nombre. Mais quel lustre revêtirait la fête si le projet avait pris corps : celui de confier Jérusalem à la Belgique. Ce n’est pas à cause des quelques similitudes qui existent entre la Terre Sainte et la Belgique qu’a germé une telle idée. Deux pays qui peuvent se vanter d’avoir une terre, deux langues, deux peuples, un passé commun et un avenir à construire ensemble. Non, l’idée est née dans le cerveau de quelques industriels qui la soufflèrent aux politiciens.

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Au début du XXe siècle, l’empire ottoman était en déliquescence et déjà les puissances européennes songeaient à se le partager. Le sujet faisait partie de l’actualité au point d’être repris en Une du Gaulois (qui devait fusionner plus tard avec Le Figaro), par un député de Paris, Denys Cochin. Le 17 novembre 1914 il écrivait : “Quand la ruine de l’empire turc se sera achevée (…) quel sera alors le destin que les puissances chrétiennes voudront assurer à la Palestine ? Ces puissances ne sauraient oublier que la question des Lieux Saints est devenue, il y a soixante ans, entre la France, l’Angleterre et la Russie, une cause ou au moins un prétexte d’inimitié.(…) Elles chercheront à confier la Palestine à une puissance chrétienne, aimée de ses grandes voisines et ne leur portant pas ombrage. »

La terre sainte en cadeau

« Si cette pensée occupe alors l’esprit des diplomates, qu’ils veuillent bien se rendre à Bruxelles, sur la place Royale, et qu’ils contemplent le chevalier de bronze (…) Je serais bien étonné si la vue de cette statue ne leur inspirait pas une heureuse solution du problème des Lieux Saints. Ils s’avanceront sous les fenêtres du palais et salueront Albert Ier, digne successeur de Godefroy de Bouillon, roi des Belges et roi de Jérusalem. Tel est le vœu que je forme pour la gloire de notre noble allié et pour la paix de l’Europe chrétienne.”

De Bouillon (dans les Ardennes belges) à Jérusalem. Logique implacable au point qu’Albert Bassompierre, alors attaché à la direction des Affaires étrangères belges, écrivait en janvier 1915 : “La Terre Sainte pourrait nous être offerte en souvenir de Godefroy de Bouillon. »

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Mais la réalité était moins prosaïque. Et le même Bassompierre d’ajouter : “L’industrie belge, qui doit de toute nécessité trouver au dehors des débouchés, se dit qu’elle a plus à gagner de la possession économique assurée d’un riche marché lointain que d’un accroissement territorial qui ne ferait qu’élargir nos frontières.” Les Neuray, de Gaiffier, Empain, Rolin, van Eetvelde, de Broqueville, qu’ils fussent politiciens ou industriels, se ralliaient aux idées de l’homme qui s’activait à les inspirer : Alfred Eid, vice-consul de Belgique en Égypte où sa famille, d’origine syrienne, avait de nombreux intérêts. En Palestine les industriels visent les “organisations urbaines : tramways, éclairage électrique, distribution d’eau”, en plus de l’agriculture.

« Le Roi, la Loi, la Liberté !”

En 1916, le projet n’avait rien d’une chimère. Les politiques belges travaillent à en dessiner les contours en vue des accords de Sykes-Picot. Lors de la conférence de Saint-Jean de Maurienne, en 1917, la France elle-même votait une résolution secrète pour confier les Lieux saints à la Belgique. Le dossier semble avancer. Les Britanniques avancent eux aussi, mais sur le terrain. En pleine Première Guerre mondiale, ils conduisent les batailles visant à libérer la Palestine des Turcs et de leurs alliés allemands.

Ni les victoires britanniques ni la Déclaration de Balfour (novembre 1917) ouvrant à la création en Palestine d’un “foyer national juif” ne découragent les Belges. C’est la Conférence de Paris qui sonne le glas des espoirs. Elle s’achève en 1920 en faisant naître la SDN, Société des Nations, laquelle confiera la même année un mandat sur toute la Palestine aux Britanniques.

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Dans le même temps, les politiques belges reçoivent, en provenance de leur personnel diplomatique en Égypte, quelques informations sur la famille Eid. Leurs intérêts personnels auraient par trop conduits leurs suggestions et nourri un rêve dorénavant déçu. Cela ne leur sera pas pardonné. Alfred Eid doit démissionner de son poste de vice-consul de Belgique au Caire, et ne trouvera plus jamais à se placer dans la diplomatie belge en Orient.

Quant à Jérusalem et aux Lieux saints, on n’y entendit jamais dans les rues chanter ces mots : “Tu vivras toujours fière et belle, Plus grande dans ta forte unité, Gardons pour devise immortelle : Le Roi, la Loi, la Liberté !”

Dernière mise à jour: 29/12/2023 16:41

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