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Elections en Israël : deux blocs et un vrai casse-tête

Christophe Lafontaine
24 mars 2021
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Elections en Israël : deux blocs et un vrai casse-tête
Affiche de la campagne électorale du Likoud, à Jérusalem en mars 2021 qui fait figurer à gauche Benjamin Netanyahu (Likoud) et à droite Yair Lapid (Yesh Atid) © Yonatan Sindel/Flash90

Netanyahu est arrivé en tête aux élections d’hier. Sans majorité. Dans un pays polarisé entre pro- et anti-Netanyahu, les regards se tournent vers le parti de droite radicale Yamina et le parti arabe Ra’am. Complexe.


Israël pourrait se retrouver à nouveau dans une impasse politique. Et ce, au terme du quatrième scrutin législatif en deux ans, marqué par un taux de participation plus bas que les trois précédents à 67%. A l’heure actuelle, près de 90% des bulletins de vote ont été dépouillés et donnent vainqueur le Likoud, le parti de droite nationaliste et libéral du Premier ministre sortant, Benjamin Netanyahu. Arrivé premier, il remporterait 30 sièges sur les 120 de la Knesset, le parlement israélien. Mais sans majorité. Son principal rival, le centriste, Yaïr Lapid, chef de Yesh Atid (Il y a un futur) arrive second, et voit son parti crédité entre 17 et 18 sièges. Les résultats définitifs ne seront donnés que dans quelques jours.

En Israël, est confié le soin de former une coalition gouvernementale au bloc qui réussira à obtenir 61 députés. Chacun des deux principaux challengers va devoir convaincre le Président d’Israël qui devra déterminer qui est le mieux placé pour former une coalition.

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En Israël, les partis doivent obtenir 3,25% des voix pour faire leur entrée au Parlement, ce qui leur confère un minimum de quatre sièges. L’issue du scrutin d’hier devrait voir ainsi 13 partis se répartir les 120 sièges. Les deux leaders arrivés en tête compteront sur leurs alliés naturels mais ce ne sera pas suffisant pour assurer une majorité à l’un ou l’autre. Le bloc de Netanyahu (avec les partis religieux et d’extrême droite) obtiendrait 52 sièges. Pour envisager de former un gouvernement, il doit donc partir à la chasse des micro-partis ayant réussi à passer le seuil des 3,25% ou attirer dans son giron un à un les députés susceptibles de se rallier à lui. Mais ce sera « presque aussi désastreux que de perdre » explique le Times of Israel. « Il se retrouvera soudain avec une coalition de droite où chaque député – littéralement chaque membre de la coalition – sera en mesure de faire pression sur le Premier ministre sur des questions de politique fondamentale, du budget de l’Etat aux implantations en Cisjordanie en passant par les relations avec les Etats-Unis et les communautés de la diaspora, chaque fois que le Premier ministre aura besoin de leur vote pour adopter une loi de finances ou survivre à une motion de censure. »

Un possible faiseur de roi …

Le parti Yamina de Naftali Bennett, ancien allié devenu adversaire et chef de la droite radicale, crédité de sept voix, ne s’est pas encore prononcé sur le fait qu’il rejoindrait ou non la coalition que formerait Benjamin Netanyahu. « Je vais faire seulement ce qui est dans l’intérêt d’Israël », a-t-il déclaré mardi soir. Il lui revient en gros la grande responsabilité de rejoindre Netanyahu qui partage les mêmes valeurs politiques, ou de participer au bloc anti-Netanyahu, pour le voir partir après quasiment 12 années au pouvoir sans discontinuité, mais rattrapé par des affaires de corruption.

Cela étant Naftali Bennett « aura du mal à expliquer à ses électeurs pourquoi il ne rejoint pas un gouvernement de droite et ce, pour s’allier aux partis de gauche » et du centre, fait remarquer l’analyste politique israélien Yaron Deckel dans les colonnes du Times of Israel. « Mais il viendra auprès de M. Netanyahu avec de grandes demandes et M. Netanyahu devra en payer le prix », prévient-il.

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Par ailleurs, le Premier ministre sortant peut vouloir glaner des voix du côté des déçus du parti centre-droit de Benny Gantz (Kahol Lavan / Bleu et Blanc) ou de celui de Tikva Hadasha (Nouvel espoir) crédité de six voix. Ce parti qui se situe à droite du Likoud, est dirigé par un ancien ministre du même parti, Gideon Saar. Ce dernier a beaucoup reproché au Premier ministre d’avoir mené Israël à un quatrième scrutin en deux ans. Et il n’a d’ailleurs pas tu qu’il n’intégrerait jamais une coalition menée par Netanyahu. On l’a compris, ce réservoir de voix sera compliqué à conquérir.

… peut en cacher un autre

Netanyahu pourrait aussi profiter des voix du parti israélo-arabe Ra’am (liste arabe unie) qui obtiendrait entre 4 et 5 sièges à la Knesset. Ce parti a fait beaucoup parler de lui après s’être séparé, pour ce scrutin, de la Liste unifiée (qui rassemble le parti d’extrême gauche Hadash et trois autres formations arabes). Exprimant son souhait de rejoindre une coalition dirigée par Netanyahu, il espère décrocher des concessions pour les Arabes israéliens. Une stratégie que les trois autres partis arabes n’ont pas cautionnée. Pour autant, Mansour Abbas, son dirigeant a déclaré que « rien n’[était] dans la poche » ni pour les blocs parlementaires pro-Netanyahu ni pour les blocs anti-Netanyahu.

Cependant, il est très difficile de l’imaginer collaborer avec une coalition qui devrait englober « des fanatiques d’extrême droite et des disciples du rabbin Meir Kahane », comme le souligne Haaretz. La mouvance kahaniste, étant réputée raciste et homophobe, devrait en effet voir entrer à la Knesset certains de ses partisans après avoir rejoint le Parti sioniste religieux, crédité à 6 sièges. Ce parti est le fruit du rapprochement de trois factions d’extrême-droite, peu ou prou poussé par Benjamin Netanyahu.

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Ceci dit rien n’est garanti du côté du Likoud concernant la question du ralliement de Ra’am. Le vice-ministre de la Santé Yoav Kisch, du parti du Premier ministre, a déclaré au radiodiffuseur public Kan que le chef du parti Ra’am « ne fera absolument pas parti du gouvernement ». Il a déclaré que si le bloc pro-Netanyahu ne parvenait pas à réunir les 61 mandats nécessaires pour obtenir la majorité, « nous irons vers une cinquième élection ». Cependant, dans une autre interview accordée à la 12e chaîne, le député du Likoud Tzachi Hanegbi a déclaré qu’en « l’état actuel des choses, nous considérons Mansour Abbas comme un possible [partenaire de coalition] ». A noter que Naftali Bennett (Yamina) s’est, quant à lui, engagé à ne pas siéger dans un gouvernement soutenu par Ra’am… Ce qui, à vrai dire, complique plutôt les choses… pour Netanyahu.

Un bloc anti-Netanyahu trop hétéroclite pour gagner ?

De son côté, Yesh Atid, en tête du bloc anti-Netanyahu, groupe mélangeant des factions de gauche et du centre qui demandent le départ de celui-ci ainsi que des partis de droite déçus par le Premier ministre sortant, a fait savoir au Times of Israël par un de ses porte-parole, que son chef Yaïr Lapid et Mansour Abbas avaient déjà convenu d’une rencontre dans les prochains jours…

Le député Yaïr Golan, membre du parti de gauche du Meretz faisant parti du bloc anti-Netanyahu s’est quant à lui dit ouvert à siéger dans une coalition avec les partis de droite de Naftali Bennett (Yamina, droite radicale) ou de Gideon Sa’ar (Tikva Hadasha, à droite du Likoud). L’idée est qu’une telle alliance permette de mettre fin à la page Netanyahu. Ce serait littéralement le grand écart en matière d’idées politiques.

Quoi qu’il en soit, la gauche faisant pâle figure, Yaïr Lapid aura besoin des soutiens d’au moins deux des trois partis suivants : Yamina de Naftali Bennett, Ra’am de Mansour Abbas et la Liste unifiée dirigée par l’arabe israélien Ayman Odeh.

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