Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Mar Saba : Un an de solitude

Samuel Forey
8 mai 2021
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable

Au fin fond du désert de Judée, quelques moines ont fait face à la pandémie. Leur éloignement ne les a pas épargnés.


C’est le monastère le plus vieux de la chrétienté, dit-on. Mar Saba semble procéder de la pierre comme un arbre naît de la terre. Cascade de remparts et de constructions le long d’une pente, il se dresse au-dessus du Cédron, le torrent qui court de Jérusalem à la mer Morte. Dans ce paysage rendu à sa plus simple expression – la vallée, le sable, la pierre -, c’est comme si le temps passait plus lentement.

Saba s’est installé ici au Ve siècle. D’autres moines et fidèles ont suivi cet homme charismatique dans sa vie d’ermite. D’une construction l’autre, le monastère apparut, en 483. Saba fut déclaré saint et son souvenir ici protégé. Des moines s’y isolent encore, perpétuent la mémoire des premiers ermites et, dans le silence du désert de Judée, se rapprochent de la Parole de Dieu.

Nul n’échappe à cette crise – pas même le monastère. En ce mois d’avril 2021, elle dure depuis plus d’un an. Si les frontières ne rouvrent pas aux visiteurs d’ici trois semaines, ce monastère grec-orthodoxe s’apprête à vivre sa deuxième Pâque sans pèlerins.

Qu’ont vécu ces pierres, depuis des siècles ? Paix et ferveur. Guerres et massacres. Le silence du désert de Judée. La pandémie de Coronavirus. Le monde s’isole et s’ouvre au gré des pics de contamination, des campagnes de vaccination, de l’apparition de nouveaux variants. Nul n’échappe à cette crise – pas même le monastère. En ce mois d’avril 2021, elle dure depuis plus d’un an. Si les frontières ne rouvrent pas aux visiteurs d’ici trois semaines, ce monastère grec-orthodoxe s’apprête à vivre sa deuxième Pâque sans pèlerins.

De la ville la plus proche, un Palestinien arrive. Il livre un peu de nourriture. Il tire un petit cordon, à peine visible dans la lourde porte de bois. Une cloche sonne, fêlant le silence souverain. Des pas furtifs s’approchent. La porte s’ouvre sur un visage ravi. “À manger, à manger, enfin ! Entre !”, dit un moine au livreur. Habitué des lieux, celui-ci dévale une volée d’escaliers. En contrebas, Philateros accueille les rares visiteurs, ceux qui résident en Terre Sainte. Il fait passer par l’église du monastère. Elle a l’éclat sombre des lieux de culte orthodoxes. Les icônes veillent, images hiératiques comme des portraits d’ancêtres dans de vieilles maisons.

La prière nourrie des questions du monde

Il reçoit sur une petite terrasse qui surplombe le Cédron. Réverbéré par les échos, on entend le torrent couler, au fond de l’étroite vallée. Ce n’est que le début du mois d’avril, mais un air ardent se répand déjà comme un brouillard, invisible mais inexorable. “La chaleur arrive. Dans un mois commence l’été”, dit Philateros. Dans ses vêtements noirs et élimés, une seule note de couleur : la croix orthodoxe rouge sang, cousue sur sa toque. Dans son visage pâle, mangé par une barbe poivre et sel, une seule note de couleur : ses yeux bleu clair, qui semblent scruter le fond des âmes. Il est entré dans ce monastère il y a 11 ans.

Lire aussi >> Mar Saba en photos : un privilège unique

“Ces dernières années, les pèlerins venaient par centaines. Voire par milliers pendant les fêtes, notamment celle de Pâques. Pour garder du temps pour la vie monastique, nous avons dû introduire des horaires de visite.” À l’image des moines, les pèlerins arrivent de Russie, de Grèce, de Roumanie. Mais à partir du mois de mars, plus personne. “Ça n’a pas changé fondamentalement notre mode de vie. Bien sûr, c’était plus calme. Nous avions plus de temps pour la prière. Mais nous ne sommes pas totalement coupés de l’extérieur. Nous étions préoccupés. Il y avait en nous l’inquiétude profonde que quelque chose n’allait pas dans le monde”, ajoute Philateros.

Le moine ne pense pas que cette solitude imposée amène une façon de prier différente : “En temps normal, nous y consacrons nos soirs et nos nuits. Nous n’avons pas modifié ces habitudes.” Malgré les effets de la pandémie, il refuse de croire que ce virus est plus meurtrier qu’une simple grippe. Il refuse de se faire vacciner, redoutant d’éventuels effets secondaires. Il préfère attendre la fin de la crise et continuer à servir son monastère comme si de rien n’était. “Il y a eu des guerres. Il y a eu des maladies. Nous n’avons rien d’autre à faire que rester, et prier” conclut-il. Au creux de cette vallée ardente, loin du tumulte du monde, le quotidien du monastère continue, autour de la relique de saint Saba, qui dans son cercueil de verre au cœur de l’église, semble dormir paisiblement. Le temps passe plus lentement, mais passe malgré tout.

 

Dernière mise à jour: 08/04/2024 12:17

Sur le même sujet