Dans le village de Burqin, au nord de la région historique de Samarie (aujourd’hui Territoire sous Occupation israélienne) est situé un bref épisode narré seulement par l’Évangile de Luc, lorsque Jésus, après la Transfiguration, a pris la décision de quitter la Galilée pour se rendre à Jérusalem. Il va alors traverser cette province du nord au sud. Région montagneuse, plantée d’oliveraies, assez fertile et à l’habitat dispersé. Il se trouve interpellé par un groupe de lépreux, dix hommes, qui implorent sa pitié pour être purifiés de leur mal et guéris -Lc 17, 11-20. Nulle part n’est mentionné le lieu précis de cette rencontre, mais sans doute est survenue une conjonction entre un terrain propice et le texte ; on connaît d’autres exemples. Il y avait dans le village de Burqin, à 2 km à l’ouest de la ville palestinienne de Jénin, trois grandes citernes taillées en profondeur dans le roc, où les pèlerins antiques ont voulu situer le refuge de ces hommes exclus de la vie sociale et religieuse à cause de la contagion à craindre. Dès le IVe siècle, au moment où les pèlerinages chrétiens se font nombreux dans toute la Palestine, on a creusé la plus grande de ces citernes en ouvrant tout un pan, ce qui permet un accès de plain-pied, formant entrée. La citerne est devenue une église entièrement taillée dans la roche blonde. À l’intérieur tout est creusé dans le rocher ; même la chaire du prêtre est en pierre, non-rapportée mais évidée, inamovible, et c’est le seul siège sacerdotal en pierre de tout le pays.

Occupée par une communauté orthodoxe, l’église est ornée d’une petite iconostase et de nombreuses icônes, de lampes suspendues au plafond et de tentures chatoyantes. Tout est prêt pour l’office. Le jardin qui est cultivé entre la porte du domaine et l’église offre l’ombrage de citronniers, orangers, cédratiers au parfum incomparable au printemps. L’accueil est simple et chaleureux ; un groupe peut rester une heure à méditer sur ce passage : des malades guéris, des exclus qui retrouvent leur vie d’avant. Et la louange à Dieu ? Le chant de merci ? Veut-on rester en relation avec celui qui nous a gratifiés de sa douceur et de la guérison ? Ou bien s’en retourne-t-on à ses occupations comme si de rien n’était ? Jésus s’étonne que seul un des dix lépreux soit revenu le remercier, “et c’était un Samaritain”. Ce groupe ethnique est déjà mentionné deux fois dans l’Évangile de Luc : quand Jésus prend sa décision de se rendre à Jérusalem et qu’il traverse un bourg de Samarie -Lc 9, 51-56- puisque la province est enserrée entre la Galilée et la Judée ; et avec la parabole du Bon Samaritain que Luc est seul à raconter -Lc 10, 29-37.
Le statut des lépreux
À lire le Lévitique, qui a été renommé dans nos liturgies catholiques “Livres des lévites”, de nombreuses prescriptions s’intéressent aux maladies dermatologiques, dartres, eczéma, exanthème, et même les brûlures et abcès cutanés. Signe qu’elles devaient être fréquentes, que l’on craignait les contagions parce qu’elles n’étaient pas curables. La lèpre a un régime particulier, considérée comme beaucoup plus grave et surtout très contagieuse. La solution trouvée est toujours l’éloignement et l’isolement des malades.
Bien d’autres miracles sont racontés dans les Évangiles et les lettres du Nouveau Testament. Ils ne sont pas toujours dépendants d’une foi explicite, et ils ne sont pas toujours suivis d’action de grâce. Beaucoup ont été inscrits dans la chair du pays par l’érection d’une chapelle, d’une église et elles sont nombreuses en Galilée. Cette petite église orthodoxe de Burqin est unique, ne la manquez pas !
Si l’on est catholique on ne pourra pas célébrer l’eucharistie dans cette petite église, il faudra se rendre à la chapelle latine édifiée dans un autre quartier. Mais lire saint Luc, s’interroger sur la gloire de Dieu, la prière et la reconnaissance due au Sauveur, aura ici une saveur particulière et bienvenue.
Larmes du Christ à Jérusalem
C’est l’aboutissement de ce chemin qui conduit Jésus de la montagne de la Transfiguration, des hauteurs de la Galilée, de la chaîne montagneuse de Samarie, aux pentes du mont des Oliviers qui précède la ville sainte. Là encore le lieu exact n’est pas mentionné dans l’Évangile : “Quand il fut proche, à la vue de la ville, il pleura sur elle.” Jésus a traversé Jéricho, puis Béthanie après une rude montée et “il approche de la descente du mont des Oliviers” -Lc 19, 37. Certes il accepte les louanges et les alléluias de la foule, mais il est dans un autre état d’esprit : cette ville choisie par Dieu “pour y faire résider son nom” se refuse à l’écoute des prophètes et à la paix. S’éloignant de la Parole de Dieu, elle se perd en discordes, corruption, luttes de pouvoir entre religieux, ruses envers l’occupant romain ; et ce sera sa perte : “Tes ennemis t’environneront de retranchements, t’investiront, te presseront de toute part. Ils t’écraseront sur le sol, toi et tes enfants, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre”. Prophétie qui sera réalisée 40 ans plus tard, en l’an 70, lorsque le général Titus abattra les murailles, forcera la ville et détruira le Temple. Matthieu avait choisi une autre image, celle d’une aile maternelle qui veut protéger la ville : “Jérusalem, toi qui tues les prophètes… combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble ses poussins sous ses ailes… et vous n’avez pas voulu !” -Mt 23, 37-38.
Jésus n’a pas connaissance du moment fatidique, mais il est clair pour lui que cette situation de disputes stériles, de mésentente générale et de sourde violence ne peut conduire qu’à la ruine. Ce qu’il sait, c’est ce qu’il est, lui, en train de faire : il gagne Jérusalem pour y témoigner de l’amour de Dieu et cela lui coûtera la vie. Il n’est pas présomptueux de penser que c’est la mort de Jésus et le déchirement du rideau du Temple, qui laissent Jérusalem devant un abîme dans lequel les puissants vont s’engouffrer.

Une chapelle en témoigne
Sur cette pente les pèlerins ont voulu aussi déterminer un lieu pour faire mémoire de ce bref événement. À l’origine on y commémorait l’agonie de Jésus, sur la descente, à l’écart ; le lieu se trouve juste au-dessus du jardin actuel de Gethsémani, mais on ignore les limites de ce domaine à l’époque du Christ, certainement largement répandu sur tout le côté occidental du mont des Oliviers. Des processions s’y arrêtent comme l’ont relaté de nombreux récits de pèlerins.
Plus tard, au Moyen Âge croisé, le lieu devient celui des larmes de Jésus. Un rocher est même identifié comme celui sur lequel il pleura. La proximité géographique avec les pleurs de Jésus sur son ami Lazare -Jn 11- a certainement joué, Béthanie est tout proche.
Les musulmans en interdisaient l’accès, mais les franciscains ont acheté le terrain et y ont fait construire une chapelle en 1881. Des fouilles menées en 1954-56 ont permis de découvrir un cimetière jébuséen (1600 à 1300 av. J.-C.), un autre de l’époque du Christ (100 av. J.-C. à 135 ap. J.-C.) et un troisième de 200 à 400, fin de l’époque romaine et début de l’âge byzantin : des ossuaires gravés de rosettes, de palmes, de dessins géométriques, d’inscriptions en grec et araméen témoignent d’une mixité où se côtoient des tombes pharisiennes et judéo-chrétiennes. On remarque une dédicace byzantine : “Siméon ami du Christ construisit et décora cet oratoire et l’offrit au Christ Notre Seigneur pour l’expiation de ses péchés et le repos de ses frères l’higoumène Georges et l’ami du Christ Dométios.” Cette phrase confirme la présence d’un établissement monastique.
Les constructions byzantines ont connu là deux époques : un monastère au Ve siècle puis au VIIe une autre église. Au XXe siècle c’est l’architecte “attitré” de la Custodie, Antonio Barluzzi, qui construisit en 1955 une petite église sur l’abside ancienne. Les fouilles préventives ont révélé des traces d’un précédent autel, d’un jubé, et de sols pavés de mosaïques. Le diakonicon, qui est une des deux absides des bas-côtés, est devenu chapelle funéraire. Barluzzi arrondit son toit en ardoise en forme de larme auquel il ajoute aux quatre coins un clocheton en forme lui aussi de larme, c’est la marque des regrets du Seigneur sur la dureté de Jérusalem, son oubli de la Parole de Dieu et le triste sort qu’elle connaîtra.
Pour nous aujourd’hui deux sites de pèlerinage qui nous aident à méditer, avec Jésus, sur l’action de grâce et la valeur de la Parole de Dieu dans nos vies.



