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De traditions en évolutions: le mariage chrétien sous tous ses angles

Cécile Lemoine
30 mai 2023
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De traditions en évolutions: le mariage chrétien sous tous ses angles
Le zaffe, danse traditionnelle lors de laquelle le marié est porté à travers la salle par des hommes munis de cannes et coiffés de tarboosh, le couvre-chef porté par l’élite effendi palestinienne pendant la période ottomane ©Jeries Mansour/Sun Studio

En Terre Sainte, le mariage chrétien se doit d’être une fête aussi fastueuse qu’ancrée dans l’héritage palestinien. Petit aperçu de ces choses qui restent, et de celles qui changent.


Si l’échange des consentements entre les époux fait le cœur du mariage chrétien, ce sont toutes les traditions, us et coutumes en marge du passage à l’église qui en font le succès et fabriquent les souvenirs du grand jour. Le mariage palestinien a ses passages obligés.
Tout commence avec le “tulbeh” : la demande officielle en mariage. C’est une tradition tout en protocole. La famille du marié se rend chez celle de la jeune fille. Chacune est accompagnée de ses membres les plus notables (député, prêtre, docteur, ou anciens…) et ce sont ces figures respectées qui font et reçoivent la demande en mariage. Les fiançailles sont généralement célébrées à l’occasion d’une fête digne d’un petit mariage. Un prêtre aura préalablement béni et validé l’accord autour d’un café. Les alliances sont passées aux annulaires droits, en attendant le mariage, en général un ou deux ans plus tard.

Dans certains mariages on ne lésine pas sur le décor. Des mises en scènes largement importées des standards américains popularisés par la culture cinématographique.

Avant le grand jour, les amies et les femmes de la famille de la mariée se retrouvent pour une “soirée henné”. Au programme de cet enterrement de vie de jeune fille à la palestinienne : danses, chants et décoration des mains, des bras et des pieds de chacune avec une pâte de henné. Sa teinte, naturellement rouille une fois sèche, symbolise le lien à la terre et la joie. L’homme doit aussi se faire beau. Après un mois sans passage chez le barbier, le marié a droit à sa séance publique de rasage, lors d’une soirée qui précède le mariage. Une tradition perpétuée avec beaucoup de malice par les amis ou les hommes de sa famille.
Le jour J, après la célébration religieuse, certains couples se rendent dans leur nouveau logement, accompagnés de leurs familles, pour y coller une pâte à pain crue ornée de fleurs, de feuilles, et de pièces de monnaie sur ou au-dessus de la porte. Une manière de souhaiter chance et prospérité aux jeunes époux. Tout mariage palestinien qui se respecte s’accompagne traditionnellement d’un zaffe, ou marche nuptiale : une procession, faite de chanteurs, de musiciens (cornemuse, percussions…) et des invités, qui escortent le couple jusqu’à sa maison, ou la salle de réception du mariage. Véritable marque de fabrique des festivités privées et publiques moyenne-orientales, le zaffe viendrait d’Égypte et précéderait l’islam. Dans la Vieille ville de Jérusalem ces petites processions endiablées précipitent immanquablement tout le voisinage aux balcons.

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La robe de la mariée est au cœur de l’attention. Jusqu’au XXe siècle, les femmes portaient des robes traditionnelles appelées “thobes”. Pièces maîtresses des trousseaux de vêtements féminins, elles étaient cousues à la main avec l’emblématique point de croix palestinien : le tatreez. Chaque ville a ses motifs. Les robes qui appartiennent aux familles de Bethléem sont ainsi reconnaissables à leur motif de branche de pommier, introduit par les couturières entre le XIXe et le XXe siècle. “Les familles chrétiennes prospères souhaitaient créer des tendances nouvelles et distinctes dans leurs robes”, explique George Al-Ama, collectionneur bethléhémite et spécialiste de l’artisanat palestinien. Ces robes, qui incarnent l’héritage culturel et le savoir-faire des femmes palestiniennes, ont aujourd’hui été remisées au profit des robes blanches occidentales, qui répondent aux nouveaux standards de beauté.

On ne lésine pas sur la mousse pour raser le marié. La culture arabe valorise une pilosité maîtrisée et le passage chez le barbier est une activité sociale à part entière chez certains jeunes Palestiniens. Avec ce rituel du rasage public, le marié apparaît comme propre, soigné et prêt à rencontrer sa fiancée à l’autel.

 

Transmission de la culture palestinienne

En Terre Sainte un mariage est un condensé de tout ce qui est cher à la culture palestinienne : la famille, la musique, la communauté, la terre… “Après la Nakba, les mariages sont devenus le seul espace où il est possible d’exprimer la culture palestinienne, explique Salim Munayer, théologien et spécialiste des chrétiens arabes israéliens. Les mariages ont donc aussi cette fonction de transmission des traditions d’une génération à une autre, et celles-ci sont pour la plupart communes aux musulmans et aux chrétiens.” Comme dit le poète palestinien contemporain Moussa Hafiz : “Si les mariages palestiniens devaient s’arrêter, notre héritage prendrait fin.”

Si les conjoints ne sont pas du même rite, le mariage est célébré dans le rite de baptême du jeune homme. Ici, grec-orthodoxe

 

Ces mariages  qui n’ont pas de prix

100 000 shekels. En moyenne. Soit 26 000 € pour 250 invités. On est sur les mêmes ordres de grandeur qu’un mariage français, alors que le niveau de vie n’est pas le même. Et les invités souvent plus nombreux. Si la sociologie des chrétiens de Terre Sainte fait d’eux des familles plus fortunées que la moyenne de la population, un mariage reste une dépense considérable. “Il faut que ça brille, que la fête soit plus belle que celle du voisin. Il y a une vraie compétition”, soupire Suhair, une chrétienne du village de Zababdeh, au nord de la Cisjordanie. La pression financière est vécue quasiment uniquement par le marié ou sa famille, qui ont à leur charge l’achat d’or pour la dot (environ 15 000 shekels, soit 5 000 €), la location ou l’achat d’une maison, la totalité des frais du grand jour (salle de réception, nourriture, boissons, robe de la mariée…). Pour soulager la famille du marié, il est de coutume que les invités s’acquittent du “naquout”, un cadeau de mariage en espèces qui aide à en couvrir les dépenses. Si les fiançailles sont rompues par la jeune fille, sa famille doit rembourser l’intégralité des frais engagées.

C’est un rituel d’une grande importance, qui s’accompagne d’un geste, celui d’apposer une pâte à pain, symbole de fertilité, agrémentée d’une branche verte, symbole de prospérité.

 

Le divorce, de moins  en moins tabou

“Entre 2004 et 2019, le taux de divorce pour 1 000 Israéliens a augmenté de plus de 50 % chez les musulmans et les druzes, et davantage encore chez les chrétiens”, a calculé Alex Weinreb, du Taub Center, analysant cela au prisme de la modernisation de la société israélienne. Dans les Territoires palestiniens, le phénomène s’observe aussi, mais dans une moindre mesure. “Les couples se rendent au tribunal ecclésiastique seulement un mois après leur mariage, regrette Mgr William Shomali, Vicaire patriarcal pour Jérusalem et la Palestine. Il y a un manque de maturité. La plupart sont des enfants gâtés.” Il y a quelques années, le patriarcat latin a monté des Comités de la famille, pour aider les couples à surmonter leurs problèmes conjugaux. “Cela fonctionne une fois sur cinq. Comme l’Église catholique, en cas de divorce, ne permet pas le remariage, les issues possibles sont la séparation provisoire, ou bien la nullité du mariage.”
La Terre Sainte en recense entre 6 et 8 tous les ans.♦

Si les thobes et leurs broderies emblématiques se sont uniformisées au fil du temps, certaines femmes ressortent fièrement leurs robes familiales à l’occasion des mariages. Trésors de savoir-faire et d’histoire, les thobes font partie de cette mise en valeur des traditions palestiniennes.

 

Dernière mise à jour: 20/05/2024 10:07

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