Rares sont les pèlerins qui entrent dans Naplouse. Parfois ils se rendent au Puits de Jacob, dans le camp de réfugiés à l’entrée de la ville, où Jésus rencontra la Samaritaine (1). Peut-être iront-ils à Sébaste (2), sur les hauteurs de la ville. Ou sur le Mont Garizim, sanctuaire des Samaritains (3). Mais Naplouse mérite le détour et pour son architecture mamelouke et ottomane et pour ses spécialités.
Vous découvrirez ici les deux principales.
Des tours blanches s’élèvent dans les salles voûtées des anciens édifices turcs. Telles des tours d’ivoire, mais faites de savon, elles sont la fierté des familles de Naplouse qui maintiennent vivante cette tradition.
Depuis l’époque des croisades, la ville palestinienne est réputée pour son savon à l’huile d’olive exporté partout au Moyen-Orient, et jusque dans les salles de bains raffinées de l’aristocratie européenne. Pendant la période ottomane, la ville connaît une véritable explosion urbaine. Au début du XXe siècle pas moins de 33 savonneries sont recensées le long des rues pavées de la vieille ville. Tout un quartier se construira autour de la rue Al Masaabin, la rue des savonneries. L’arrivée des techniques modernes a poussé à la fermeture la plupart de ces usines. Désormais, seules quatre fabriques sont en activité, dont deux appartiennent à deux grandes familles de Naplouse. Al-Shakaa et Tuqan, dans leurs anciens bâtiments de pierre, maintiennent l’immuable tradition des grands maîtres savonniers.
“Le savon qui sort de cette usine, environ 300 tonnes par an, est envoyé jusqu’en Amérique”, affirme Abou Majdi – ouvrier à Al Shakaa – en empaquetant, un par un, les savons à peine confectionnés. “Le secret réside dans sa simplicité : de l’huile d’olive, de la soude et de l’eau. Pas de conservateur, pas d’arôme artificiel, seulement beaucoup de patience”.
Le processus est en effet long et laborieux, et nécessite le travail d’une vingtaine d’ouvriers : dans une grande cuve, le gazan, on fait bouillir l’huile d’olive, la soude et l’eau. L’ébullition dure au moins six jours. Ce “magma” bouillant est de temps en temps mélangé avec une grande palette de bois. Une fois le mélange séché et durci, il est disposé à même le sol dans les pièces adjacentes. C’est entre les imposants piliers de pierre qu’il refroidira pendant deux ou trois jours, grâce à l’air qui entre par de grandes fenêtres. Le savon doit se solidifier.
Des mains expertes viendront ensuite tracer des lignes rouges sur la masse de savon. Avec l’aide d’un petit marteau, un timbre est imprimé sur chaque carré, laissant ainsi la marque de la savonnerie. Enfin, avec un long couteau bien aiguisé, les artisans transforment l’étendue de savon en petits cubes d’ivoire, au parfum délicat, qui formeront ensuite de grandes tours circulaires sur les côtés de la salle.
Une architecture très particulière prend forme, faite de savons empilés les uns sur les autres ; l’espace laissé entre chaque savon est savamment mesuré afin de laisser le vent circuler entre les cubes de savon et finir ainsi le séchage pendant quelques jours encore. À ce stade, les mains sveltes d’Abou Majdi, agenouillé dans un coin de la pièce, emballent les savonnettes une par une ; elles sont maintenant prêtes pour la vente ou l’exportation.
Dans une région aussi riche en oliviers que la Samarie, l’huile d’olive est donc devenue la base non seulement de l’alimentation mais aussi de cette production qui s’est imposée au cours des derniers siècles, bien que, dans le monde globalisé d’aujourd’hui, l’huile avec laquelle les savons traditionnels sont fabriqués à Naplouse provienne souvent d’Italie.
Le caractère unique d’un produit comme celui-ci, fait à la main, avec patience et passion, reste inchangé. C’est le sentiment qui émane des murs de pierre de l’ancienne usine où ces hommes travaillent en silence, tels des patineurs sur la glace, à élever d’autres tours de savon.
1. La Terre Sainte, Sept.-Oct. 2010,
N 609, Le puits de la Samaritaine à Sychar, page 6 et suivantes.
2. La Terre Sainte, Nov.-Déc. 2010,
N 610, Samarie-Sébaste, une cité, deux histoires, page 6 et suivantes.
3. La Terre Sainte, Mai-Juin 2011, N 613, Le Mont Garizim,
page 10 et suivantes.
Dernière mise à jour: 04/01/2024 19:41