Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

John Munayer: penser un christianisme palestinien

Recueillis par Cécile Lemoine
10 octobre 2023
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
John Munayer: penser un christianisme palestinien
John Munayer lors d'une conférence organisée par le Rossing Center et l'Institut de Jérusalem pour la recherche en politique publique, en présence du Patriarche des Latins, Mgr Pizzaballa ©MAB/TSM

Habité par l’idée que l’espoir réside dans les actions, John, hiérosolomytain chrétien de 29 ans, veut faire rayonner une conception du christianisme vécu dans le contexte palestinien, à travers une multitude d’engagements.


Pourquoi lui ? Né à Jérusalem d’un père chrétien palestinien citoyen d’Israël et d’une mère britannique, John a été éduqué dans une école juive israélienne. Après des études en relations internationales au Royaume-Uni, et un master en théologie à Amsterdam, John est revenu à Jérusalem. Aujourd’hui âgé de 29 ans, il est le directeur de l’engagement international au Rossing Center pour l’Éducation et le dialogue, une organisation vouée au dialogue inter-religieux à Jérusalem. Il fait aussi de la recherche, écrit, donne des cours et des conférences, en plus de son implication dans différents groupes de jeunes chrétiens. Son but : conceptualiser, penser, mettre en lumière et en pratique un christianisme “palestinien” coloré de modernité.

Vous avez fait vos études à l’étranger. Qu’est-ce qui vous a ramené en Terre Sainte ?

Je ne voulais pas étudier ici. Il n’y a pas de place pour les Palestiniens dans les universités israéliennes. Et puis le niveau est meilleur à l’international. Je ne m’étais pas fermé de portes, mais en réalité, je savais que j’allais revenir. Même si j’étais à l’étranger, tout me ramenait à la Terre Sainte : l’actualité, mon travail académique, mes recherches…

En tant que chrétien, on a une forme d’appel à revenir, à s’engager dans les domaines de l’éducation, de la justice ou du plaidoyer. Clairement, c’est quelque chose que ma famille m’a transmis. Nos parents nous ont toujours encouragé, mes frères et moi, à ne pas fuir les difficultés, mais à plutôt les affronter.

En plus de votre travail au Rossing Center, vous donnez des cours au Bible College de Bethléem, vous dirigez une revue scientifique et vous êtes engagé dans plusieurs initiatives citoyennes ou chrétiennes. Pourquoi une telle boulimie d’activités ?

Il y a un manque de chrétiens éduqués, travailleurs et professionnels, parce que beaucoup partent. Beaucoup de gens avec qui j’ai grandi ont quitté le pays. Des gens talentueux. Il y a un manque de ressources humaines. Lorsqu’on a cette chance d’être éduqué et d’avoir envie de travailler, c’est facile de cumuler les positions : il y a de la demande pour les profils de jeunes chrétiens.

Lire aussi >> Daniel Munayer, la réconciliation comme engagement chrétien

Tout mon travail en Terre Sainte est orienté vers cet objectif plus large de promotion du dialogue, de l’éducation, de la justice… Je le fais juste de différentes manières, avec différents groupes. Tous ces engagements font partie de ce que j’appelle ma “vocation” ici. J’aime ce que je fais, mais cela implique une forme de sacrifice. Ma vie pourrait être plus facile ailleurs.

En tant que chrétien palestinien vivant à Jérusalem, qu’est ce qui est le plus difficile ?

Le conflit. Cette sensation qu’on essaye de se débarrasser de nous. Que cela soit de manière active, ou par la force du système. En tant que chrétien, on est considéré comme des invités sur une terre qui est pourtant aussi la nôtre. Récemment, les attaques et les intimidations se sont multipliées à l’égard de notre minorité. En ce qui me concerne, il y a eu des incidents lorsque j’étais à l’école. Aujourd’hui, ça m’interroge : est-ce que j’ai été pris à partie parce que je suis chrétien ? Palestinien ? Ou non-juif ? C’est un peu des trois.

« Je me considère comme un œcuméniste. Il est impossible d’entrer dans une seule catégorie ici. La communauté est trop petite. C’est plus fluide dans la société que dans le clergé. Je veux tout embrasser. »

Est-ce que vous vous sentez membre de l’Église de Terre Sainte ?

Je considère que je fais partie de l’Église en ce qu’elle est le “Corps du Christ”, qui transcende le contexte, le temps et l’espace. Je fais aussi partie de la communauté chrétienne de Terre Sainte. Et je fais enfin partie d’une Église spécifique. Avec 15 autres jeunes chrétiens, on a créé notre propre mouvement, en réaction aux structures patriarcales et traditionnelles des Églises de Terre Sainte, dans lesquelles on ne croit plus parce qu’elles sont problématiques.

Lire aussi >> Hagop Djernazian: “Le quartier arménien n’est pas à vendre”

Elles ne sont pas intéressées par le sort des communautés locales, il y a beaucoup de corruption. Le clergé a peur de perdre de son pouvoir. L’Église n’est pas ouverte à la critique. Notre groupe est d’inspiration évangélique, dans son sens premier de “protestant” : on propose une alternative fondée sur l’égalité et la participation. Tout le monde peut diriger le service qui a une forme libre, et donner la communion.

Vous considérez-vous plus proche de votre identité évangélique ou de vos racines orthodoxes ?

Je me considère comme un œcuméniste. Il est impossible d’entrer dans une seule catégorie ici. La communauté est trop petite. C’est plus fluide dans la société que dans le clergé. Je veux tout embrasser. Demain j’irai écrire une icône avec des sœurs melkites françaises anciennes catholiques romaines, avant d’aller rendre visite à ma famille orthodoxe à Lod. Plus personnellement, j’ai commencé un chemin pour me reconnecter à cette partie orthodoxe de mon identité et de ma foi.

Pourquoi ?

Parce que j’ai senti que j’avais repoussé mes origines orientales au profit d’un christianisme plus occidental. Ce christianisme met de côté les églises orthodoxes de manière très coloniale, donc j’essaye de me “décolonialiser”. Il y a quelqu’un dans notre mouvement de jeunes qui se décrit comme un “évangélique oriental”… De nouvelles manières de voir et de décrire les choses se développent aujourd’hui.

Lire aussi >> Les défis des chrétiens palestiniens selon Mgr Shomali

Vous êtes à l’origine de la future publication scientifique du Bible College, le “Journal du Christianisme palestinien”. Quelle est votre vision ?

Je souris parce que ce projet, c’est un peu mon bébé. Les institutions académiques doivent enseigner, mais aussi mener des recherches et publier, ce qui n’est pas le cas en Palestine. Lorsqu’on veut publier des articles qui se rapportent à la Terre Sainte, il faut s’adresser à des éditeurs occidentaux. Pour “décolonialiser” la manière dont nous faisons les choses, j’ai proposé qu’on crée notre propre publication : on a les gens, on a la qualité, faisons-le !

Témoigner de la vie des chrétiens de palestine et d’Israël devant les chrétiens du monde, c’est une des actions menées par John ©Christ at the Checkpoint

L’objectif, c’est de développer le christianisme palestinien, la théologie palestinienne à travers une plateforme qui favorise l’échange et le dialogue. La revue sera donc publiée en anglais et en arabe, et accessible entièrement gratuitement en ligne.

« L’espoir se trouve dans les actions concrètes des gens. L’espoir, c’est faire de bonnes choses dans un contexte compliqué, avec l’idée qu’il peut y avoir un résultat. »

Qu’entendez-vous par “christianisme palestinien” ?

Il s’agit d’étudier les chrétiens et le christianisme dans le contexte palestinien. Ou la manière dont socialement, politiquement, ou personnellement, les chrétiens palestiniens expriment leur foi et leur identité.

Vous prenez des initiatives, vous voulez changer les choses… Est-ce que vous avez de l’espoir pour ce pays ?

Oui et non. Surtout avec la situation politique actuelle. L’extrême-droite sioniste et religieuse au pouvoir. On est à un tournant. Face à la crise politique et sociétale actuelle, les Israéliens ne savent pas quoi faire. Cela les force à regarder la réalité du conflit en face, à voir ce que l’Occupation génère dans leur société. Le fascisme religieux et nationaliste actuel montre le côté sombre de la société israélienne. La communauté internationale est de plus en plus alertée sur ce qui se passe ici, grâce aux réseaux sociaux notamment. Le mot “apartheid” a fait son chemin jusqu’à l’ONU. Les jeunes générations ne voient plus Israël de manière aussi positive que les anciennes générations, pour qui le pays était la seule démocratie du Moyen-Orient. Il n’y a plus la même culpabilité vis-à-vis de l’Holocauste. Les préoccupations sont désormais tournées vers les égalités de genre, l’environnement, le racisme…

Lire aussi >> Réforme de la justice: le processus s’accélère, la mobilisation grandit

Autant de sujets qui résonnent ici, et qui questionnent le régime d’Occupation. La thématique de la décolonisation prend aussi une grande place dans le domaine académique. Cela va être intéressant de voir ce qui va sortir de la crise politique et sociétale actuelle. Peut-être que ça sera positif. Peut-être que certaines choses doivent mourir pour mieux renaître. Mais d’un autre côté, on voit souvent l’espoir comme un objectif à atteindre, alors que l’espoir se trouve dans les actions concrètes des gens. L’espoir, c’est faire de bonnes choses dans un contexte compliqué, avec l’idée qu’il peut y avoir un résultat. Comme planter des graines et voir ce qui va en sortir. C’est moins le résultat que l’action qui compte.

Dernière mise à jour: 24/01/2024 14:01

Sur le même sujet