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Mazin Qumsiyeh: « Se reconnecter à la nature, c’est se libérer »

Cécile Lemoine
15 mai 2025
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Multi-casquettes. Professeur, biologiste, écrivain, militant, directeur bénévole... Les multiples engagements de Mazin Qumsiyeh le sollicitent 24 h sur 24 et 7 jours sur 7. ©Cécile Lemoine/TSM

Fondateur de l’Institut palestinien pour la biodiversité et la durabilité, le biologiste Mazin Qumsiyeh est un auteur prolifique. Ses ouvrages et articles traitent autant de biodiversité que de politique et de résistance populaire. Car pour ce chrétien palestinien, tout est lié. Rencontre.


Herbe vert tendre, anémones rouges, amandiers rose pâle…Le printemps fait éclater la nature luxuriante et chatoyante d’une Terre Sainte encore gorgée de son eau hivernale. Au milieu d’un tapis de fleurs de moutarde, Mazin Qumsiyeh inspecte les orchidées dans le carré du jardin qui leur est dédié, au Musée palestinien d’Histoire naturelle de Bethléem. “Celle-ci est en danger d’extinction.” Le biologiste pointe une ophrys araignée, reconnaissable à son pétale central pourpre et velouté.

“Réchauffement climatique, urbanisation, colonisation, surpâturage… La nature a de moins en moins de place en Palestine”, regrette le scientifique, auteur d’une étude sur ces fleurs, qui comptent 36 espèces différentes rien que dans les territoires palestiniens. Repérée au détour d’une balade, il l’a replantée dans le jardin du musée, dans un souci de conservation. “Quand elles auront toutes disparu, au moins il en restera ici”, soupire le biologiste.

À 68 ans, Mazin Qumsiyeh a les traits fatigués d’un homme qui a dédié sa vie à une cause : l’activisme en faveur des droits de l’homme. Ce musée, fondé en 2014, est l’apogée de son travail et d’une vision, modelée par les secousses de l’Occupation israélienne.

Un musée d’histoire naturelle pour la Palestine

Né en 1957 dans une famille chrétienne de Beit Sahour, aujourd’hui en Cisjordanie occupée, le petit Mazin est fasciné très tôt par la nature. “Ma mère m’emmenait avec elle quand elle allait récolter les plantes médicinales. Elle m’a beaucoup appris. Son frère, Sana Attalah, fut le premier zoologiste palestinien. Je l’accompagnais lors de ses recherches sur le terrain.

Il voulait créer un musée.” Sana meurt brutalement à 27 ans, dans un accident de voiture. Mazin n’a que 13 ans mais il se fait une promesse : reprendre la mission de son oncle. “Il était devenu mon modèle”, sourit Mazin Qumsiyeh depuis son bureau du musée.

Salle dédiée à la faune indigène à la Palestine, au musée d’histoire naturelle de Bethléem ©Cécile Lemoine/TSM

Après de brillantes études en biologie, zoologie et en cytogénétique (génétique médicale) entre la Jordanie et les États-Unis, il s’implante sur le Nouveau Continent dans les années 1980. Pendant 40 ans, il dédie son travail à la recherche sur le cancer et la génétique, et enseigne dans les prestigieuses universités de Tennessee, Duke et Yale, tout en gardant un pied dans la biologie et ses activités militantes. En 2008, il est de retour à Bethléem : “Je sentais que je serais plus utile en Palestine qu’aux États-Unis. Je voulais servir et créer des institutions dont la société manquait”, expose le chercheur : “Ce fut la meilleure décision de ma vie.”

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Si l’identité palestinienne s’est construite autour du lien à la terre, peu de Palestiniens sont initiés aux questions climatiques : face à l’Occupation et à la colonisation, il faut d’abord assurer sa survie, tant physiqu qu’économique, avant de penser à l’environnement. Mazin Qumsiyeh voit les choses dans l’autre sens : “Nous reconnecter à la nature peut nous permettre de nous libérer.” C’est fort de cette conviction qu’il fonde (et finance avec ses deniers personnels) le Musée palestinien d’Histoire naturelle, et l’Institut palestinien pour la biodiversité et la durabilité à l’Université de Bethléem, en 2014.

“La vision, c’est de penser des communautés humaines et naturelles durables : si on reconnecte les gens à la nature, on peut protéger les deux”, expose le biologiste. Une mission qui repose sur quatre piliers : la recherche, l’éducation, la conservation et le service communautaire. Le tout orienté vers un but : l’autonomisation.

“Mazin ? C’est la clé de la Palestine.”

Petit îlot de verdure au cœur de la minérale Bethléem, le musée et son jardin ont été pensés comme de vrais outils pédagogiques. Sous une des serres, des légumes poussent grâce à l’aquaponie, une méthode d’agriculture en circuit fermé où les poissons nourrissent les plantes avec leurs déchets transformés en nutriments, tandis que les plantes purifient l’eau.

Dans un environnement où la ressource hydrique est rare, la culture aquaponique, qui repose sur la complémentarité entre les besoins des plantes et ceux des poissons, permet d’économiser l’eau ©Cécile Lemoine/TSM

Un peu plus loin une unité de biogaz permet de transformer certains déchets organiques en énergie gratuite. Sur un des murs, un jardin vertical a été installé à partir de bouteilles plastiques, juste à côté du potager communautaire… “On veut encourager la souveraineté alimentaire et la petite agriculture”, expose Salah Saad, jardinier et animateur du musée, qui explique comment ils ont travaillé avec 80 fermiers de la vallée d’al-Makhrour pour leur réapprendre à cultiver les terres sans pesticide, selon les méthodes oubliées de leurs grands-parents.

Diplômé en agroécologie, le vingtenaire souligne cependant que ces initiatives restent limitées : “Les gens ne s’intéressent pas vraiment à tout ça, ça demande des efforts.” Il parle toutefois avec admiration de son mentor : “Mazin ? C’est la clé de la Palestine.”

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Après avoir vérifié les orchidées, Mazin attrape un tuyau d’arrosage et slalome entre les élèves d’un groupe en sortie scolaire pour irriguer quelques plates-bandes. “Il n’a pas assez plu cette année. La terre n’a reçu que 50 % de l’eau dont elle a besoin”, maugréé le chercheur en pestant contre le réchauffement climatique, avant de saluer le groupe scolaire. “Quand ces enfants vont dans le jardin et apprennent à connaître et aimer une nature qui leur est si inaccessible, c’est déjà une forme de résistance. L’idée, c’est de changer les comportements. Éduquer ne suffit pas, il faut susciter des actions”, détaille celui qui est aussi l’auteur d’un livre sur la résistance populaire en Palestine, publié en 2011.

Le Christ comme modèle

Pour les professeurs qui accompagnent le groupe, le musée offre surtout des activités extérieures qui font du bien aux enfants : ”Il n’y a plus beaucoup de nature à Bethléem, au moins ici ils sont au vert”, explique Miss Christine, professeur de sciences à l’école américaine de Beit Sahour. Les enfants s’extasient devant les hyènes, récupérées il y a quelques années et soignées par le musée, avant de hurler devant la série d’animaux empaillés dans le petit cabinet de curiosités, fatigué et poussiéreux, où sont exposées les espèces indigènes à la Palestine. Des ateliers pédagogiques et thématiques sont offerts toutes les semaines à des groupes.

Eduquer à agir. Les groupes scolaires se rendent régulièrement au Musée palestinien d’Histoire naturelle. Un moyen de les reconnecter à la nature, à leur patrimoine culturel, et de les initier au développement durable ©Cécile Lemoine/TSM

Penseur indépendant, Mazin Qumsiyeh ne se dit affilié à aucun parti politique, mais plutôt animé par ”la défense des droits de l’homme” : ”Le mouvement sioniste veut la terre sans ses gens. Mais en tant que peuple indigène, nous avons un droit inaliénable à vivre sur notre terre. Et c’est le combat le plus légitime. À partir du moment où on naît, parce que les Israéliens ne veulent pas de nous ici, notre vie est une résistance.” Né dans une famille chrétienne, il s’est détaché de la religion, mais garde la figure du Christ comme modèle : “Il prend soin, il soutient les plus faibles, les lépreux, les opprimés… Il est une source d’inspiration dans mon rapport à l’autre.”

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C’est là que tout s’interconnecte et qu’on touche au cœur de la pensée politique du biologiste : la solution à un État. “Du point de vue économique, environnemental et historique, c’est la solution la plus logique, la plus viable et durable face aux problèmes du Moyen-Orient. Avec une politique unitaire, on donne à chacun un intérêt à assurer la durabilité de son espace commun, on peut partager les infrastructures, et donc construire moins ; répartir plus équitablement les ressources… La justice et la prospérité assureront la paix.”

Une vision qu’il a largement développée dans un autre de ses ouvrages : Partager la Terre de Canaan. “Musulmans, chrétiens et juifs… Nous avons vécu ensemble pendant des milliers d’années sur cette terre. La Palestine a toujours été multi-ethnique, religieuse, culturelle. Il faut remettre cette pluralité au cœur des visions politiques, poursuit Mazin Qumsiyeh. On a beaucoup à apprendre de l’environnement en matière de politique. Dans la nature, la diversité biologique est une force : si on va en forêt et qu’on n’y voit qu’une seule espèce d’arbre, ou de fleur, c’est que l’environnement n’est pas sain. »

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