Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Yisca Harani : le christianisme expliqué aux juifs

Beatrice Guarrera
21 août 2021
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Yisca Harani à Bethléem

Enseignante universitaire et consultante juive, Yisca Harani travaille depuis plus de 30 ans à créer des ponts et des occasions de rencontre entre personnes de religions différentes en Israël.


En Israël, elle fait partie des principaux experts du christianisme, et est très active dans le dialogue inter religieux entre juifs, chrétiens et musulmans. Yisca Harani, qui est juive, n’a eu de cesse de travailler depuis plus de 30 ans pour créer des ponts et des occasions de rencontre entre personnes de religions différentes. En raison de son expérience avérée dans la diffusion de la connaissance du monde chrétien parmi les Israéliens, le ministère israélien des Affaires Etrangères l’a récemment chargée de rédiger un recueil destiné aux diplomates pour une formation de base sur le sujet.

Conférencière universitaire, chercheuse et consultante, originaire de Jérusalem mais vivant à Tel Aviv, Yisca Harani intervient dans des domaines variés, allant de cours universitaires à des projets pour les écoles, de visites de sites chrétiens à des séminaires en ligne. Pour son engagement en faveur du dialogue interreligieux, elle a également été co-lauréate en 2013 du Prix de la Fondation Mont Sion avec Margaret Karram, aujourd’hui présidente du mouvement des Focolari.

« J’ai grandi avec cette chance : avant de voir le conflit et l’hostilité, j’ai vu le bien ».

« Lorsque j’étais étudiante, je savais déjà que je ne voulais pas travailler dans une seule université –  explique Yisca à Terrasanta.net. J’avais à cœur de me déplacer d’un lieu à l’autre et créer des occasions de rencontre pour les étudiants, mais également pour les citoyens ordinaires. Comme elle le dit elle-même, le but de son engagement n’a jamais été d’étudier une religion différente afin de la « combattre », une approche héritée, enfant, de ses parents, comme des universitaires israéliens qui connaissaient beaucoup de chrétiens. « J’ai grandi avec cette chance, admet-elle. Avant de voir le conflit et l’hostilité, j’ai vu le bien.

« La religion de tous mes voisins m’intéressait »

Mes parents étaient religieux, mais ils avaient une vision claire de la dignité de chaque être humain. C’est pourquoi la religion de tous mes voisins m’intéressaient, qu’ils soient musulmans, druzes ou autres. Cependant, je considère que la religion chrétienne est plus semblable à la mienne et davantage riche de contradictions par rapport aux défis auxquels elle se mesure ».

« Nous ne voulions pas seulement voir de belles églises, mais aussi parler à des prêtres chrétiens ».

Le travail d’Yisca Harani a débuté dans la société de protection de la nature : « J’ai commencé par organiser des voyages pour découvrir des milieux naturels et visiter des musées, puis j’ai pensé que les personnes intéressées par mes voyages auraient pu explorer non seulement la nature, mais aussi l’humanité. Ce qui était passionnant, c’est que nous ne voulions pas seulement voir de belles églises, mais aussi parler à des prêtres chrétiens ».

Pour avoir un contact réel avec le monde chrétien, Yisca ne se contente pas de faire découvrir des lieux, des églises et des sanctuaires, mais elle recherche avant tout la rencontre avec les gens. Prêtres, religieuses, fidèles laïcs : tous, dans le cadre d’un dialogue sincère et simple, peuvent communiquer de manière authentique leur réalité de vie.

Lire aussi>> Aéroport Ben Gurion: un espace de prière pour les non-juifs

L’étape suivante a été de transmettre cette vision aux guides touristiques israéliens, avec des cours de formation spécifiques. « Je voulais faire quelque chose qui puisse être multiplié dans le temps et par les initiatives individuelles », explique-t-elle.

Connaître la culture des autres

C’est toujours de la rencontre que naît le changement, et Yisca Harani est claire sur deux épisodes qui ont profondément marqué son parcours. Le premier remonte au moment où elle devenait active dans le dialogue inter religieux : elle s’était rendue dans un village musulman pour organiser une visite de la mosquée avec un cheikh. « Je l’ai rencontré dans un café et quand nous avons fini de parler, je me suis précipitée pour payer le café, parce que je pensais que ce serait un beau geste, puisque c’était moi qui l’avais invité, raconte Yisca. Quand je me suis rassise, il m’a dit : « La première chose que tu dois apprendre, si tu veux faire des activités interculturelles, c’est de connaître la culture des autres ». L’homme a ressenti ce geste comme une offense, car étant dans son village, c’était à lui de m’accueillir et de m’offrir un verre ».

« Seule la rencontre permet de dépasser les stéréotypes ».

« Cet événement, reconnaît Yisca, fut ma première leçon et 40 ans après, je m’en souviens encore, car ce n’était pas une leçon académique, mais une leçon sur le terrain. Comme celle que j’ai reçue bien des années plus tard à Haïfa, où j’étais allée rendre visite aux carmélites de l’école italienne. Là, l’enseignant avait organisé une rencontre avec des jeunes où les sœurs ont pu parler ouvertement de leur choix de vie et de leur vocation. »

Soudain, un étudiant a posé une question impertinente : il affirmait avoir vu la religieuse dans une discothèque d’Eilat. Sans se démonter, la religieuse a répondu qu’en effet, elle était là parce qu’elle accompagnait un groupe de lycéens qui avaient exprimé le désir d’aller danser. Elle les avait donc accompagnés à la discothèque. Si la réponse a surpris Yisca, elle lui a aussi fait réaliser qu’une fois de plus, seule la rencontre permet de briser les stéréotypes.

Créer des ponts entre écoliers Israéliens et Palestiniens

Depuis 1999, Yisca s’efforce également de faire tomber d’autres types de barrières culturelles et religieuses : celles qui existent entre les écoliers palestiniens de Jérusalem-Est et leurs camarades des écoles israéliennes de Tel Aviv. « Je suis mère de trois enfants, j’ai donc commencé à créer des opportunités dans les classes de mes enfants à Tel Aviv. Le projet s’est ensuite étendu à d’autres classes et écoles. Je souhaitais que les enfants puissent s’écrire, et ensuite se rencontrer. Les enfants des écoles arabes de Jérusalem-Est ne parlent pas hébreu et les enfants israéliens des écoles de Tel Aviv ne parlent pas arabe. Nous utilisions l’anglais comme langue commune. L’idée était de créer une communication, un pont. »

Les enfants devaient s’envoyer de courts messages pour partager leur vie, jusqu’au moment le plus important : celui de la rencontre personnelle. « Nous les avons réunis entre Jérusalem-Est et Tel-Aviv, et certains d’entre eux ont déjeuné chez leurs correspondants », raconte Yisca. Il est très difficile pour une famille de Tel Aviv d’envoyer son enfant dans la vieille ville de Jérusalem, car elle est perçue comme un endroit dangereux. La méfiance est réciproque. « Un tel projet est très fragile et nécessite le courage et la participation active de toutes les personnes concernées », explique Yisca.

Cette expérience avec les plus jeunes enfants a également été importante pour les activités ultérieures, telles que Light for all (Lumière pour tous). L’initiative, lancée en 2013, vise à réunir juifs et non-juifs pour allumer les bougies de la fête juive de Hanoukka (qui précède généralement Noël pour les chrétiens occidentaux – ndlr), dans le but de créer une conversation sur le sujet.

Créer des connexions entre juifs et chrétiens

« L’année dernière, j’ai invité chez moi un moine chrétien qui vit à Jérusalem depuis 20 ans, mais qui n’avait jamais été dans une maison juive, raconte Yisca. Il me paraît donc important de créer des opportunités, des connexions, y compris linguistiquement, pour permettre aux gens de se rencontrer. Certains, des années plus tard, sont toujours en contact. »

« Noël est la fête chrétienne la plus connue dans le monde juif et beaucoup veulent en savoir plus ».

Grâce à la technologie, même les juifs ont pu assister l’année dernière à l’une des plus importantes célébrations chrétiennes en Terre Sainte : la messe de minuit de Noël 2020, diffusée via Internet depuis Bethléem le 24 décembre. Avec les autorisations nécessaires et le parrainage du musée de la Tour de David, Yisca Harani a promu un événement en ligne au cours duquel elle a commenté et expliqué en direct les différentes étapes de l’ensemble du rite.

Voir la vidéo >> Le but de Yisca : expliquer Noël à un public juif

« Noël est la fête chrétienne la plus connue du monde juif et beaucoup veulent en savoir plus. J’ai expliqué chaque moment aux milliers de personnes qui étaient connectées et elles ont été touchées positivement ». De nombreux juifs religieux n’auraient jamais mis les pieds dans une église, mais c’est virtuellement qu’ils sont entrés dans l’église franciscaine de Sainte Catherine et dans la grotte de la Nativité toute proche.

Après des années de diffusion du christianisme, il s’agissait du premier événement de ce type consacré à Noël, et il a connu un grand succès. Pour avancer sur cette voie, Yisca Harani connaît la clé : « Je pense que dans le dialogue interreligieux, il est important de ne pas parler uniquement des dénominateurs communs. La partie la plus importante est précisément d’admettre, d’affronter et d’accepter les différences ».

Sur le même sujet

Le numéro en cours

La Newsletter

Abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire

Cliquez ici