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Le cadre des conversions au judaïsme en voie d’être réformé

Christophe Lafontaine
13 janvier 2022
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Le cadre des conversions au judaïsme en voie d’être réformé
Une femme se convertissant au judaïsme devant un tribunal rabbinique de Jérusalem le 21 juillet 2003 © Flash 90

Israël compte aujourd'hui près de 500 000 personnes d’ascendance juive mais qui ne sont pas considérées comme telles selon les règles juives orthodoxes. Matan Kahana, le ministre des Affaires religieuses veut y remédier.


Les réformes se suivent, agitent les passions et vont dans le même sens. Après celle de la casherout entrée en vigueur il y a 10 jours, le ministre des Affaires religieuses en Israël a repris son bâton de pèlerin pour s’attaquer cette fois-ci au système des conversions au judaïsme dans l’Etat hébreu. Et ce faisant, portant atteinte à l’influence monopolistique du Grand Rabbinat sur la vie quotidienne des Israéliens.

L’objectif annoncé de Matan Kahana, lui-même juif orthodoxe, est de faciliter le processus de conversion au judaïsme considéré comme trop sévère et décourageant. Les demandes de conversion émanent principalement de personnes nées de pères juifs et de mères non juives ; la judéité se transmettant effet par la mère. Dans une étude, l’an dernier, le Jerusalem Institute for Policy Research a révélé qu’environ 45% des personnes interrogées qui ne sont pas considérées comme juives selon la loi juive ont déclaré qu’elles seraient prêtes à se convertir ou à envisager de le faire si des changements y étaient apportés.

Encourager les conversions

En Israël, il y a aujourd’hui 450 000 personnes venues des pays de l’ancienne Union soviétique en Israël, qui ont des ancêtres juifs mais qui ne sont pas considérées comme halakhiquement juives.  La halakha est la loi juive orthodoxe traditionnelle. Au cours des dernières décennies, environ seuls 35 000 immigrants de ces pays se seraient engagés dans un processus de conversion.

De même, une autre frange de la population israélienne voudrait d’une conversion orthodoxe pour être reconnus comme juifs en Israël. Il s’agit des immigrants d’Éthiopie appartenant à la communauté Falash Mura, qui sont des Juifs éthiopiens dont les ancêtres Falashas se sont convertis au christianisme, souvent sous la contrainte, il y a plusieurs générations. Quelque 30 000 d’entre eux ont immigré en Israël depuis 1997. Il ne faut pas les confondre avec les immigrants Juifs éthiopiens de la communauté Beta Israel, les Falashas, qui eux sont reconnus comme pleinement juifs.

Matan Kahana estime qu’il est « inacceptable », a rapporté la presse israélienne, de laisser hors du giron du judaïsme, ceux qui ont des racines juives mais qui ne sont pas considérés comme juifs selon la loi halakhique alors qu’ils seraient de potentiels et nombreux futurs convertis en Israël. Pour illustrer son propos, il y a un mois, dans le Times of Israel, l’ancien pilote de chasse dans l’armée israélienne donnait un témoignage personnel. « La meilleure femme actuellement membre de mon escadron, dans les forces aériennes, n’est pas halakhiquement juive. Sa mère n’est pas juive ; sa grand-mère non plus ; son grand-père l’est. Elle va bientôt se marier ; elle a terminé son service dans l’armée et elle sera médecin. Elle va épouser un Juif israélien et ses enfants ne seront pas Juifs aux yeux de la loi juive ». Et le ministre avait fait savoir qu’« aujourd’hui, il y a des instances similaires qui découragent de manière active les convertis potentiels et sincères dans leur démarche ». Avant d’ajouter : « Toutes ne sont pas comme ça, je tiens à le souligner ».

Vers un processus uniforme dans tout le pays

C’est ainsi qu’hier, Matan Kahana a dévoilé ses propositions, soutenues par le gouvernement. Si le texte était adopté en l’état dans trois semaines, la nouvelle loi autoriserait les conversions en dehors des auspices du grand rabbinat, pour rendre leur processus moins intimidant, moins complexe et plus efficace. La réforme voulue par Matan Kahana vise à permettre aux grands rabbins municipaux d’opérer des conversions en mettant en place des tribunaux de conversion sous la houlette d’un système central et d’un comité directeur chargés de définir les règles de conversion, de surveiller leur mise en œuvre, et leur uniformité d’application dans tout l’Etat hébreu. Le Times of Israel précise que le plan permet également au Grand Rabbinat de révoquer dans certaines circonstances un rabbin d’un conseil de conversion local en cas de non-respect des règles.

Actuellement, les conversions sont contrôlées et reconnues par le Grand Rabbinat, dominé par les ultra-orthodoxes. Il n’y a que quelques dizaines de rabbins et quatre tribunaux de conversion dans tout le pays mandatés par l’Etat qui peuvent légalement effectuer des conversions au judaïsme.

A noter cependant qu’il y a moins un an, en mars 2021, la Cour suprême israélienne, a reconnu pour la première fois, la judéité de personnes se convertissant au judaïsme en Israël par le biais des mouvements réformés et conservateurs (massorti), faisant d’elles des personnes considérées comme juives par l’Etat. Mais ces conversions ne sont pas reconnues par le Grand Rabbinat et les personnes converties ne peuvent pas se marier en Israël, car les mariages sont contrôlés par le Grand Rabbinat… le mariage civil n’existant pas en Israël.

« Une opportunité historique » ? Pas pour tous

Si Matan Kahana a qualifié sa proposition d’« opportunité historique », le Grand Rabbin ashkénaze David Lau, qui est le chef de la Grande Cour rabbinique et avec qui le ministre est en lien, a pour sa part menacé de ne plus approuver de conversions au judaïsme si le gouvernement continuait à faire avancer son plan de réforme de libéralisation des conversions.

Aussi, au grand dam des ultra-orthodoxes, le projet de loi a en effet été élaboré avec l’avis de plusieurs rabbins du mouvement « moderne orthodoxe ».  Et cerise sur le gâteau, Matan Kahana a annoncé la semaine dernière que le système de conversions au judaïsme seraient dorénavant dirigées par le rabbin Benayahu Brunner, actuellement responsable des conversions dans les tribunaux rabbiniques de Safed et de Haïfa qui est affilié à Tzohar, un groupe de rabbins orthodoxes relativement libéraux. La nomination du rabbin Brunner intervient après que le ministre Kahana a relevé de ses fonctions le chef intérimaire de l’Autorité chargée des conversions, Moshe Veller, proche collaborateur du Grand rabbin David Lau… de quoi agiter les passions…

 

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