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A quoi les Palestiniens disent-ils non ?

Marie-Armelle Beaulieu et Claire Riobé
4 mars 2020
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Des lecteurs ont écrit à Terre Sainte Magazine et posé des questions autour du plan Trump annoncé fin janvier. « Les Palestiniens ne devraient-ils pas accepter le plan présenté par la Maison blanche ? N’est-ce pas leur dernière chance d’avoir un État ? ». Terre Sainte Magazine explique ce qui rend le plan inacceptable.


A peine était-il annoncé que déjà les Palestiniens étaient vent de bout contre l’ « Accord du siècle » leur promettant un État. N’est-ce pas ce à quoi ils rêvaient depuis tant d’années ?

Mais les termes de l’accord feraient-ils vraiment de ces terres allouées aux Palestiniens un pays et un État viable ?

On appelle « territoires palestiniens » la zone géographique morcelée, comprenant la Cisjordanie (dont Jérusalem-Est) et la Bande de Gaza.

Depuis les accords d’Oslo de 1993, la Cisjordanie est divisée en trois zones. La zone A : couvre 18% de la Cisjordanie et comprend les sept grandes villes palestiniennes de Jénine, Qalqiliya, Tulkarem, Naplouse, Ramallah, Bethléem et Hébron. L’Autorité palestinienne y assure la sécurité et l’administration. Dans les faits, l’armée israélienne y intervient fréquemment. La zone B comprend la plupart des autres localités palestiniennes (22% de la Cisjordanie), à l’exception de certains camps de réfugiés et villages. Elle est en théorie administrée par l’Autorité Palestinienne, mais Israël y conserve une responsabilité prépondérante pour les questions de sécurité. La zone C représente la plus grande portion des terres de la Cisjordanie (60%), elle est sous contrôle total d’Israël pour la sécurité et l’administration. La zone C est la seule zone possédant une continuité territoriale, encerclant et divisant les zones A et B. De plus, elle comprend la plus grande part des terres fertiles et des ressources de Cisjordanie.

C’est sur ces territoires, qui ne représentent que 22% de la Palestine historique mandataire , que les Palestiniens acceptèrent en 1988, sous l’égide de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), de bâtir leur Etat. L’ « Accord du siècle » ne leur en concède plus que 11%.

Cette carte, qui porte le nom de « conceptuelle », illustre ce que serait la Palestine selon l’accord du siècle. Une peau de chagrin plus morcelée que jamais.

 

Une des premières mesures du plan est celle de l’annexion de la vallée du Jourdain. Elle représente environ 30% de la Cisjordanie et est occupée depuis juin 1967 par Israël. C’est une plaine agricole de 120 km de long, hautement stratégique pour Israël. L’État israélien la considère comme essentielle à sa sécurité car elle lui permettrait de limiter les frontières des Territoires palestiniens, et donc d’éviter de possibles infiltrations.

Une telle mesure enclaverait l’ État palestinien en Israël. Il n’y aurait plus aucun point de passage avec la Jordanie. La mesure met à mal les relations entre Israël et le royaume hachémite voisin qui s’y oppose. Le sort des populations palestiniennes annexées n’est pas clair dans le plan. Il est peu probable qu’Israël leur donne la citoyenneté (et les droits inhérents).

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Le territoire restant de Cisjordanie n’aurait pas de continuité territoriale puisqu’il resterait morcelé de colonies dites « enclaves » israéliennes qui jouiraient, elles, de la contigüité avec le territoire israélien. Des tunnels et des ponts pourraient être construits pour rallier les portions de territoires palestiniens les unes aux autres. Des réalisations d’ouvrage toutefois conditionnées à la fin de toute opposition palestinienne.

Pas d’espace aérien au nouvel État, Israël restant maître du ciel. Israël se réservant le droit d’intervenir militairement partout où elle veut, en Palestine comme aux passages frontaliers avec la Jordanie.

D’autant qu’il est demandé à « l’ État» palestinien d’accepter une démilitarisation totale. Tant en Cisjordanie que surtout dans la Bande de Gaza avec le désarmement des milices de ce territoire (soit le Hamas et le Jihad islamique). Cette démilitarisation conditionne l’application des éléments du plan en faveur du camp palestinien, dont bien sûr la construction d’un tunnel entre la Bande de Gaza et le reste des territoires palestiniens.

S’agissant de l’emblématique Jérusalem, le président Trump a affirmé que Jérusalem resterait « la capitale indivisible d’Israël ». Il ne reconnait de souveraineté sur la ville qu’à l’unique État israélien. Les Palestiniens n’auraient donc le droit d’installer leur capitale que dans un « Jérusalem-Est » composé de quartiers situés au-delà du mur de séparation, vraisemblablement Abou Dis, (non loin de Béthanie, le village de Marthe, Marie et Lazare), aujourd’hui délaissés par la municipalité de Jérusalem.

Si le plan appelle au maintien du statu quo sur les lieux saints, en particulier sur l’esplanade des mosquées, il précise aussi que les fidèles de toutes confessions doivent pouvoir y prier en contradiction avec ledit statu quo.

En échange de terres annexées (1760 km2 estimation), dont la plupart sont agricoles, le plan prévoit de donner des terres (180 km2 estimation) aux Palestiniens dans… le désert du Négev.

 

Les Palestiniens n’ont rien à perdre puisqu’ils n’ont jamais rien obtenu.

 

Voilà pour la substantifique moelle de l’accord. Les 50 milliards « offerts » pour financer des projets dans les zones désignées pour la création d’un État palestinien, ont fait dire au président Mahmoud Abbas que les droits des Palestiniens « n’étaient ni à vendre ni à négocier ». Des observateurs ont signalé que les milliards promis par les Etats-Unis aux Palestiniens à la signature des accords d’Oslo n’étaient jamais arrivés.

En fait d’Etat, le plan concocté par le gendre du président Trump, Jared Kushner, ne propose aux Palestiniens que des réserves. Pour Kushner, il est temps que les Palestiniens oublient les « contes de fées du passé ». L’administration américaine demande en fait aux Palestiniennes d’admettre leur défaite, la victoire d’Israël et de l’entériner sans plus broncher. Comme au temps de la conquête, les Etats-Unis naissants l’ont demandé aux populations amérindiennes. Mais les Palestiniens ne veulent pas devenir des « Palestindiens ». L’administration américaine semble oublier que quoiqu’il en soit de leurs erreurs dans le passé, les Palestiniens sont fondés à attendre un État digne de ce nom car il est inscrit depuis 1947 dans le droit international. Un droit international que bafoue de bout en bout le plan.

Que la solution à deux Etats soit effectivement encore applicable ou pas  – tandis que le gouvernement Netanyahu a tout fait pour la noyauter – est presque devenu une autre question. Il y a qu’un peuple ne peut pas vivre sous la botte de l’autre.

Les Palestiniens n’ont rien à perdre puisqu’ils n’ont jamais rien obtenu. En revanche, Israël pourrait bien en gagnant cette bataille perdre la guerre.

 

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Le plan, s’il devait être appliqué, ne satisferait pas les colons les plus durs pour qui on concède déjà de trop aux Arabes. Netanyahu lui-même s’est dispensé de prononcer les mots d’Etat palestinien ce qui en dit long. Mais le jour où Israël annexerait tout, en croyant donner le coup de grâce, il signerait la fin de l’Etat juif pour les juifs. L’Etat sera à parité de population entre juifs et non juifs sauf à déporter 7 millions de Palestiniens Dieu sait où, ou à assumer la discrimination, voire l’apartheid, dans la seule démocratie du Proche-Orient.

Dans ces conditions les sanctions tomberaient du monde entier et tout le soutien des Etats-Unis pourrait ne pas suffire à la survie d’Israël.

Israéliens et Palestiniens ne sont pas au bout de leurs peines.

 

EN CHIFFRE

Palestine et Palestiniens

Les Palestiniens représentent 4 976 000 d’habitants, dont 2,98 millions en Cisjordanie et 1,98 million dans la bande de Gaza.

Avant 1948, les Palestiniens vivaient sur 87,5% de la Palestine mandataire (c’est à dire la Palestine telle qu’établie en 1923, sous mandat britannique).

Dernière mise à jour: 04/03/2024 12:08

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