Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Des pèlerinages toujours, mais pas les mêmes

Claire Burkel, enseignante à l’École Cathédrale-Paris
14 janvier 2021
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Des pèlerinages toujours, mais pas les mêmes
Sur l’esplanade des mosquées Pèlerins français posant sur les marches menant à la plate-forme, ou terrasse, supérieure de l’esplanade des Mosquées à Jérusalem ; le Dôme de la Roche sert d’arrière-plan. Le groupe de pèlerins est familial, comportant fort peu d'ecclésiastiques. La date peut être estimée autour de 1935-1939.© École biblique, pères dominicains, Jérusalem

La revue LaTerre Sainte, depuis ses premiers numéros en 1921,
a toujours été pensée pour les pèlerins. Attirer ceux qui pourraient venir, continuer d’instruire ceux qui sont venus, tout en gardant le lien avec le pays, toujours appelé la Palestine. Dans la continuité Terre Sainte Magazine aime à montrer de cette terre tous les visages qui la composent, ses cultures, ses difficultés aussi.


La Custodie de Terre Sainte a, de tous temps, possédé des maisons d’hospitalité dites Casa Nova pour y recevoir les pèlerins catholiques. Pour y être admis, ils doivent être munis d’un certificat de l’évêque de leur diocèse ou de leur propre curé. Ce certificat doit attester en conscience que le porteur fait un pèlerinage, c’est-à-dire vient visiter les Lieux saints.”

Il fallait montrer pattes blanches en 1921 pour entrer dans les rares foyers d’accueils pour pèlerins.

Ce paragraphe est extrait du tout premier numéro de janvier 1921 de La Terre Sainte. L’auteur relate l’arrivée du premier groupe de pèlerins depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Vingt-six Américains. “Les pieux pèlerins, arrivés à Jérusalem le 20 décembre dernier, dans l’après-midi, voulurent faire le jour même leur entrée solennelle au Saint-Sépulcre, selon l’ancienne tradition.”

La première chose qui frappe est que leurs itinéraires n’étaient pas les mêmes. La raison première en est que les frontières se sont en certains points élargies, mais la plupart du temps rétrécies, car elles ne permettent plus, en 2021, de pérégriner en un seul voyage à travers le Liban, la Syrie, la Jordanie, Israël et la Palestine.

Pèlerins et pèlerinages sont au cœur de la revue que les franciscains viennent de lancer, et ils ne la quitteront pas. C’est à leur adresse qu’on les informe cette même année des travaux à venir, des fouilles et des travaux de construction de la basilique de Gethsémani ou de celle du Thabor.

La Terre Sainte se fait belle pour accueillir de plus en plus de pèlerins maintenant que les routes sont ouvertes et plus sûres.

 

Itinéraires de pèlerinages

Mais si la revue parle de Terre Sainte comme pour attirer à elle les pèlerins, à la lecture de ses pages on découvre comme entre les lignes que les pèlerinages d’alors étaient bien différents de ceux d’aujourd’hui.

La première chose qui frappe est que leurs itinéraires n’étaient pas les mêmes. La raison première en est que les frontières se sont en certains points élargies, mais la plupart du temps rétrécies, car elles ne permettent plus, en 2021, de pérégriner en un seul voyage à travers le Liban, la Syrie, la Jordanie, Israël et la Palestine.

Que l’on prenne un document de 1923 au mois de mai : “Rappel de la réouverture de la voie des pèlerins en 1922 sous le patronage de saint Louis [ainsi est nommé le pèlerinage national français]. Trajet habituel : Marseille, Naples, Malte, Athènes, Constantinople, Smyrne, Rhodes, Beyrouth, Damas, Nazareth, Jérusalem, Bethléem, tous les sanctuaires de la Palestine” et prolongation en Égypte pour certains. Ces pèlerinages sont parfois appelés “croisade” ou “caravane”, on comprend pourquoi.

Pèlerins français du “Pèlerinage de Pénitence” organisé par les Pères Assomptionnistes et logeant dans leur grande hôtellerie, Notre-Dame de France, à Jérusalem. Période de Pâques. Les pèlerins sont au nombre qui correspond en gros à la capacité du paquebot qui les a amenés de Marseille.

 

Au XXIe siècle, la grande majorité des pèlerins utilise l’avion pour arriver en Terre Sainte et l’on ne fréquente plus les ports cités ci-dessus. Par contre le temps gagné sur l’acheminement est utilisé pour des visites plus nombreuses dans le pays. Voici ce qu’on entendait par lieux de pèlerinage en 1938 : “Les Lieux Saints sont des endroits de la Palestine où Jésus a passé, surtout la Grotte où il est né à Bethléem, le Rocher où il est mort et le Tombeau où il a reposé pendant trois jours à Jérusalem. Ces endroits sont garantis par des traditions historiques assez sérieuses et assez anciennes pour fonder une véritable certitude morale. Aucune ne repose sur des invraisemblances ou des absurdités. Au début du IVe siècle l’empereur romain Constantin inaugure la série des rois chrétiens, qui construisent des monuments sur les Lieux saints et les transforment en sanctuaires. Dès lors, princes et peuples concourent à l’entretien, à la décoration, au culte des basiliques et des chapelles élevées en plusieurs endroits de la Palestine, pour perpétuer le souvenir des faits évangéliques. C’est déjà ‘L’Œuvre des Lieux Saints’”.

Lire aussi >> “Les pèlerinages sont une bénédiction pour créer du lien entre nous, juifs et Palestiniens”

Aux trois lieux judéens cités on ajoute bien sûr Nazareth et la grotte de l’Annonciation. Les pèlerins de la première moitié du XXe siècle ont connu là l’église franciscaine de 1731, qui fut démolie en 1955 parce que devenue trop petite pour la communauté catholique d’alors et les pèlerins nombreux. C’est en 1969 que fut consacrée la basilique actuelle.
On le voit les épisodes de l’Ancien Testament étaient peu recherchés, la lecture de la Bible intégrale étant beaucoup moins pratiquée, et l’on se contentait des scènes des évangiles, ou de quelques passages des Actes des apôtres. Quitte à affirmer avec assurance quel rocher avait servi de “table” à la multiplication des pains en Galilée !

 

Archéologie et pèlerinages

D’autres sites, mis en valeur par les fouilles qui se sont multipliées depuis les trois dernières décennies sont accessibles. Ce ne sont pas toujours des lieux “sanctifiés” par le Christ ou par un saint prophète, mais deux raisons au moins nous les font visiter. De nombreux villages abritent d’anciennes églises ou monastères byzantins n’ayant aucune trace d’un passage de Jésus, de Moïse ou de Marie-Madeleine, mais qui offrent le témoignage de communautés priantes des cinq premiers siècles du christianisme. Elles furent nombreuses dans le désert du Néguev, installées en lieu et place des cités construites puis désertées par les Nabatéens.

Pèlerins répartis sur les marches du perron de l’hôtellerie Notre-Dame de France à Jérusalem. Contrairement à la coutume pieuse de séparer les dames des messieurs, comme devant le Saint-Sépulcre, là les couples ont posé ensemble, donnant ce mélange familial non protocolaire à la photographie-souvenir. La date n’est pas précisée dans les archives, on peut l’estimer entre 1895 et 1905.© Photos École biblique, pères dominicains, Jérusalem

 

Célébrer l’eucharistie dans les ruines de l’église Saint-Georges à Avdat ou à Shivta, relie les pèlerins que nous sommes à l’histoire religieuse qui nous précède, à cette longue tradition de prière sur la terre où Dieu a fait résider son peuple. Ce sont aussi d’antiques villes, parfois de grandes cités comme Beth Shean, qui nous font prendre la mesure du paysage qu’a connu Jésus, qu’ont arpenté les apôtres, sans être pour autant des villes “saintes”. Il est bon de visiter Sepphoris, à quelques encablures de Nazareth, que les archéologues ont dégagée depuis 1988, même si les ruines qui s’offrent à nous sont plus riches que ce qu’ont pu en connaître les contemporains de la sainte Famille.

Il est passionnant de découvrir Megiddo où aucun chrétien n’a élevé de sanctuaire, mais où l’on peut évoquer des siècles de vie religieuse israélite et le souvenir du grand roi Josias, le roi juste mort injustement. Il est touchant de traverser la Samarie, jamais mentionnée dans les pèlerinages d’avant 1939, d’effleurer les pentes du mont Garizim, de descendre au puits de Jacob, inséré dans la nouvelle église grecque-orthodoxe de Naplouse (achevée en 2010), d’admirer le petit couvent grec de Burqin où s’est attaché le souvenir des dix lépreux guéris par Jésus -Lc 17, 11-19, sans aucune authentification réelle.

La revue franciscaine La Terre Sainte devenue Terre Sainte Magazine a entretenu tout au long du siècle l’amour de la terre choisie par Dieu pour y faire résider son nom, terre arpentée par le Christ et ses disciples, visitée durant deux millénaires par des milliers de pèlerins. Nous sommes aujourd’hui, pèlerins et lecteurs de la revue, les héritiers de cette histoire.

 

LES PÈLERINAGES

Depuis toujours une économie

Aujourd’hui comme hier, les pèlerinages suivent l’actualité politique. Ainsi lit-on en janvier 1938 : “Comme nouvelle conséquence du manque de sécurité dans le pays, nous avons eu cette année un Noël presque sans pèlerins étrangers et sans touristes, assez nombreux les années précédentes aux fêtes de la Nativité à Bethléem”.

Le mois suivant en février 1938, on ne se contente pas de noter une moins grande affluence aux fêtes de Noël. “La crise du tourisme s’aggrave de plus en plus.
L’Association du Tourisme palestinien s’est réunie pour examiner la situation économique du pays et a conclu que cette nouvelle année, qui ne fait que commencer, est sérieusement menacée d’être comme l’année dernière une véritable catastrophe pour l’industrie du tourisme, à cause du manque de sécurité qui règne en Terre Sainte.”

En décembre 2020, le numéro de Terre Sainte Magazine laissait la parole à Tony Khashram qui déclarait : “L’arrêt des pèlerinages est une catastrophe économique.”

Il n’est évidemment pas question ici de comparer des degrés de gravité, mais bien de constater ce que des crises, politique et sécuritaire en 1937-1938, sanitaire en 2020-2021, entraînent comme conséquences pour le tourisme et, dans cette catégorie générale, l’économie liée aux pèlerinages pour la Terre Sainte, aujourd’hui Israël et Palestine.

Dernière mise à jour: 14/03/2024 15:20

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