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Elections palestiniennes: un calendrier sur la table

Qassam Muaddi
20 janvier 2021
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Elections palestiniennes: un calendrier sur la table
Le président palestinien Mahmoud Abbas prend la parole lors d'une réunion des dirigeants palestiniens à Ramallah, en Cisjordanie, le 3 septembre 2020. ©Flash90

Pris entre rivalités intérieures et impositions extérieures, les leaders palestiniens ont finalement réussi à s’accorder sur un calendrier pour le retour aux urnes après 15 ans sans scrutin.


Alors qu’ils se battaient depuis des mois (voire des années) sans trouver d’issue à leur crise politique interne – celle de la division de leur mouvement national en deux camps polarisés entre le Fatah, en contrôle de la Cisjordanie, et le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, depuis 2007, les Palestiniens ont finalement rendu public le 15 janvier un calendrier électoral.

Le scrutin législatif se tiendra le 22 mai et les présidentielles le 31 juillet.

C’est la surprise du début de cette année alors que les discussions patinaient depuis plusieurs mois malgré quelques avancées depuis l’automne.

Le 3 septembre, les secrétaires généraux des factions palestiniennes s’étaient réunis par vidéoconférence, à l’appel du président palestinien Mahmoud Abbas. La réunion, lors de laquelle les différences de fonds entre les différentes factions politiques se firent entendre malgré les formules de fraternité, avait pour but de trouver une vision commune pour affronter le plan du président américain, Donald Trump, pour le Moyen-Orient. Les factions opposées à la politique d’Abbas avaient fait savoir, une fois de plus, leur scepticisme quant à la viabilité du processus de paix, ainsi que les accords signés avec Israël. De son côté, Abbas redisait son attachement à une solution négociée pour le conflit, dans le cadre d’une médiation internationale.

A l’issue de cette réunion, tous les représentants des forces politiques palestiniennes, y-compris Abbas même, affichaient un front uni contre le plan Trump et toutes signaient le communiqué final réaffirmant que la Palestine poursuivait le processus de sa libération nationale et que la tâche principale des Palestiniens était de mettre fin à l’occupation israélienne. S’accordant sur l’urgence à retrouver une unité nationale, ils insistaient sur la nécessité de tenir de nouvelles élections parlementaires et présidentielles.

Les représentants du Fatah et du Hamas lors d’une nouvelle rencontre fin septembre en Turquie convenaient de l’organisation des élections dans les six mois.

Pourtant, aucun calendrier n’était évoqué à se demander si ces élections pourraient avoir lieu du vivant du Raïs Abou Mazen.

La succession d’Abbas

Cette tentative palestinienne de surmonter les divisions internes n’est pas la première. Depuis le commencement du conflit interne en 2007, les mêmes leaders se sont réunis tous les ans pour essayer de mettre fin à leurs différences, signant une série d’accords. En juin 2014, un nouveau gouvernement palestinien de technocrates a été formé, pour la première fois depuis 2007, pour Gaza et la Cisjordanie. Les Palestiniens ont désormais, en théorie, un seul gouvernement. Or, en, pratique, la gestion des ministères reste divisée. Les ministères situés à Ramallah n’ont pas de vraie autorité à Gaza. Une réalité qui ne peut être dépassée que par l’élection d’un nouveau leadership, reconnu par tous. La succession du président Abbas constitue donc un enjeu en soi.

Agé de 85, Abbas n’a pas de successeur, et la perspective du chaos alarme toute la classe politique. Selon la loi, le président du conseil législatif devrait occuper le poste du président au cas où il deviendrait vacant, jusqu’à l’organisation des nouvelles élections. Le président du conseil législatif, élu en 2006, était Aziz Dweik, membre du Hamas, mais Abbas a dissous le conseil législatif en 2007, quand la rupture entre les deux camps a eu lieu.

Si un nouveau président et un nouveau conseil législatif ne sont pas élus alors que Abbas est encore en vie, la procédure légale de sa succession est interrompue, et pourrait tomber sous la merci des chef d’appareils de sécurité, se disputant le poste du président.

L’urgence de la bande de Gaza

Malgré tout, c’est la situation de la bande de Gaza qui représente l’urgence majeure. En septembre 2018, un rapport des Nations Unies a indiqué que l’enclave palestinien deviendrait inhabitable en 2020, à cause du blocus israélien. Le mois suivant, le rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme dans les territoire palestiniens, Michael Lynk, déclarait que Gaza était déjà inhabitable. Le blocus israélien imposé depuis 2007 laisse l’enclave palestinienne complètement démunie, provoquant une crise humanitaire, aggravée par les opérations militaires israéliennes répétées. Selon les Nations Unies, 95% de l’eau consommée à Gaza est polluée, 80% des familles dépendent de l’assistance humanitaire, la seule usine électrique ne fonctionne que 8 heures par jour, la pauvreté extrême touche 50% de la population et le chômage des jeunes dépasse le 70%.

Le blocus israélien se poursuit, sans objection politique de la part de la communauté internationale, sous prétexte que c’est le Hamas qui dirige l’enclave. Les dirigeants palestiniens savent que tant qu’ils sont divisés, ils ne pourront pas lutter contre le blocus de Gaza. Cela ne veut pas dire que des élections palestiniennes mettront fin au blocus, car finalement, c’est Israël qui l’impose. Pourtant, la Palestine s’est déclaré un État en 2011, et cet État a été reconnu par la majorité des pays du monde. Israël ne bloque pas donc, officiellement, une enclave rebelle, mais une partie du territoire de la Palestine. Or, les dirigeants palestiniens ne peuvent pas tenir cet argument avec cohérence que s’ils ont une seule direction pour tout le territoire palestinien, y compris Gaza. Cela devrait aussi faciliter l’assistance humanitaire et la reconstruction du territoire, sous une direction palestinienne unifiée. Cependant, malgré l’urgence politique et humanitaire reconnue par tous les bords de la politique palestinienne, organiser des élections et mettre fin à la division interne, s’est révélé bien difficile. L’annonce d’un calendrier ne garantit pas encore sa tenue.

Le prix de la promesse américaine

Si Abbas a finalement publié le décret du calendrier c’est qu’il mise sur le changement d’administration à Washington.

Durant le mandat de Trump, Abbas et la Palestine ont été abandonné par l’administration américaine qui a mené un monologue avec Netanyahu et Israël au seul profit de l’Etat hébreu. Mais le président américain élu, Joe Biden, arrive avec la promesse de reprendre la politique traditionnelle des Etats-Unis. Celle de la gestion du conflit israélo-palestinien, en relançant l’interminable processus de paix.

Pour Abbas et sa direction, cela peut représenter une opportunité de retourner à la table des négociations en tant qu’acteur principal. Cela veut pourrait entrainer aussi le déblocage de l’assistance financière américaine au gouvernement palestinien, suspendue par Trump en 2016. Or, cette promesse aura un prix, et ce prix pourrait être la réconciliation inter-palestinienne avec le Hamas. La fin de règne calamiteuse de Trump a ouvert une nouvelle fenêtre pour le retour de la Palestine au devant de la scène de la politique internationale américaine.

Le calendrier ne fait pas tout

Indépendamment des calculs des dirigeants, personne ne peut présager des choix des Palestiniens eux-mêmes au moment de voter.

Pendant la décennie dont le monde s’apprête à tourner la page, une génération entière de palestiniens a grandi. La moitié des Palestiniens à Gaza ont moins de 18 ans. Ils ont connu trois guerres, et ne sont jamais sortis de l’enclave. En Cisjordanie, les moins de 18 ans – soit 42% de la population –  ont grandi dans un contexte quotidien d’arrestations, de démolitions de maisons, et colonisation des terres, derrière un mur de béton. En songeant à eux, que vont voter leurs parents ? A ceux-là s’ajoutent les millions des Palestiniens en exil qui devraient pouvoir participer au scrutin.

Si les élections peuvent légitimer les dirigeants actuellement aux affaires, les votants n’auront-ils pas envie de rebattre complètement les cartes ? Qui va garantir la bonne tenue de la campagne d’un bout à l’autre du territoire pour tous les candidats ? Qui va garantir le respect des résultats ?

Les élections palestiniennes se tiendront peut-être aux dates avancées, mais de nombreux paramètres pèsent sur leur tenue et leurs résultats.

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