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Israël: ce gouvernement radical qui inquiète déjà les institutions

Cécile Lemoine
9 décembre 2022
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Israël: ce gouvernement radical qui inquiète déjà les institutions
Le chef du Likoud, Benjamin Netanyahu, avec le chef du Shas, le député Aryeh Deri, et le chef du parti sioniste religieux, Bezalel Smotrich ©Olivier Fitoussi/Flash90

Armée, justice, éducation... Les institutions israéliennes s'inquiètent de l'arrivée de la droite radicale et religieuse à des postes clés du futur gouvernement de Benyamin Netanyahou.


Un mois après les élections israéliennes, Benyamin Netanyahou, futur premier ministre, peine à se dépétrer des négociations pour former son gouvernement. L’exercice est délicat, même pour ce politicien rodé qui a déjà passé 12 ans à la tête du pays. Il doit composer avec les exigences de ses cinq partis partenaires, issus de l’ultra-orthodoxie religieuse et de l’extrême-droite, sans écorner l’image du pays à l’international.

Une première étape a été atteinte jeudi 8 décembre. Benyamin Netanyahou a annoncé avoir fini de répartir les posts ministériels entre ses différents alliés. Ces accords de coalition, qui ne sont pas encore définitifs, donnent le ton de ce qui se profile comme le gouvernement le plus à droite et religieux du pays. Déjà, on s’agite dans les institutions israéliennes. Armée, justice, monde de l’éducation… Toutes font part de leur malaise alors que des figures radicales s’apprêtent à s’y installer ou à en modifier les contours.

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Après avoir milité pour le ministère de la Sécurité publique tout au long de la campagne, Itamar Ben-Gvir, chef du parti Force Juive, s’est vu attribuer le poste de ministre de la Sécurité Nationale. Concrètement, cela fait de cet avocat, promoteur de la colonisation et héritier de l’idéologie raciste et suprématiste kahaniste, le chef de la police israélienne. En plus d’un pouvoir discrétionnaire sur la nomination des hauts officiers, il obtiendra un droit de regard sur la police des frontières, une unité largement déployée à Jérusalem-Est et en Cisjordanie occupée. 

Celui qui milite pour l’assouplissement des règles d’ouverture de feu de la police et de l’armée sera aussi responsable du maintien de l’ordre sur l’Esplanade des mosquées, où la cristallisation des tensions à tendance à dégénérer en conflit ouvert. Ce qui équivaudrait, selon Benny Gantz, actuel ministre de la défense, à lui remettre “une milice privée” entre les mains. “On fait d’un pyromane le pompier de la situation”, résume Denis Charbit, professeur de Sciences politiques à l’Open University d’Israël.

Suzerain de la zone C en Cisjordanie

Une « guerre civile » pourrait éclater si Itamar Ben-Gvir appliquait « ses horrible idées« , s’alarmait l’ancien chef d’état-major de Tsahal, Dan Halutz, lors d’une interview avec Democrat TV fin octobre. Gadi Eisenkot, un autre vétéran de l’armée israélienne qui s’est rallié au parti centriste de Benny Gantz, a affirmé que l’armée risquait de « s’effondrer » si Netanyahu politisait si ouvertement le poste de Ben Gvir. L’armée voit d’un mauvais oeil l’absence d’expérience militaire de ce député qui n’a pas fait ses armes comme le reste des Israéliens. Il avait été recalé du service militaire. 

Même chose pour Bezalel Smotrich, chef du parti Sionisme religieux, dont l’avenir était particulièrement scruté. S’il a longtemps exigé le ministère de la Défense, cet avocat de 42 ans, ultranationaliste et anti-arabe, prendra finalement la tête du ministère des Finances pour deux ans, et récupèrera surtout le contrôle de l’Administration civile. Cet organe militaire, qui dépend du ministère de la Défense, gère la vie civile en Cisjordanie occupée : distribution des permis pour entrer en Israël, approbation des plans de construction palestiniens et de colonies en zone C, ces 60% de la Cisjordanie, qui, selon les accords d’Oslo, sont entièrement sous contrôle militaire et civil israélien en attendant un « accord final » avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

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C’est bien plus qu’un lot de consolation pour Bezalel Smotrich, lui-même issu d’une colonie et confondateur de la puissante association Regavim qui soutient le développement de ces implantations, jugées illégales par le droit international. « Cela fait de Smotrich le suzerain de facto de la zone C en Cisjordanie, commente Eliav Lieblich, professeur de droit à la faculté de droit de l’université de Tel-Aviv. Plutôt que d’annexer directement la Cisjordanie, l’accord de coalition prévoit une entité presque distincte, le « Smotrichstan », qui cherchera à approfondir la domination des colons sur les Palestiniens. » Ses décisions resteront toutefois soumises au veto de Benyamin Netanyahou.

L’autre levée de bouclier est venue du monde de l’éducation, suite à l’accord signé entre le Likoud et le micro-parti Noam, dirigé par Avi Moaz, un député connu pour ses positions homophobes et ultraconservatrices. En plus du poste de vice-ministre en charge de « l’identité nationale-juive » dans le cabinet du Premier ministre, il s’est vu promettre la direction des programmes scolaires des écoles laïques, dépendante du ministère de l’Education. 

Démocratie la plus faible du monde

Il existe actuellement 3 000 programmes éducatifs écrits par des ONG d’extrême gauche et financés par des fondations étrangères ou l’Union européenne. Ils ne sont pas là pour renforcer l’Etat Juif, mais pour faire d’Israël un État comme tous les autres”, a accusé le député dans une interview à l’hebdomadaire Olam Katan avant de préciser que son travail serait de rétablir l’équilibre. Dans la foulée, plus de 170 directeurs d’écoles ont écrit à Benjamin Netanyahou pour lui demander de revenir sur cette nomination et une dizaine de collectivités locales ont déclaré qu’elles financeraient séparément leur propre programme.

Anshel Pfeffer, éditorialiste du quotidien de gauche Haaretz voit cet accord comme une « erreur politique » de la part de Benyamin Netanyahou : « Pour qu’il ait une chance de gouverner sereinement, il doit éviter de fâcher les classes moyennes, et rassurer ses électeurs les moins favorables à ses partenaires religieux et radicaux, sur le fait que leurs vies ne seront pas affectées par ses nouveaux ministres. Mais donner à Avi Maoz du pouvoir sur ce que leurs enfants entendront en salle de classe atteint l’objectif contraire.« 

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C’est enfin les institutions judiciaires qui sont soucieuses du blitz législatif en préparation. Un accord conclu jeudi 8 décembre avec le parti ultra-orthodoxe Shas prévoit que son chef, Arye Dery, devienne ministre de l’Intérieur et de la Santé, avant de récupérer le portefeuille des Finances d’ici deux ans. Condamné pour corruption en 1999, puis pour fradude fiscale en 2021, Arye Dery est cependant pour le moment inéligible à un poste de ministre. Une situation qui pourrait changer si une loi permettant à la Knesset d’annuler les décisions de la Cour Suprême était votée.

Cette fameuse « clause dérogatoire » est poussée par le Shas, mais aussi par le parti Sioniste religieux, et serait favorable à Netanyahou qui pourrait se sortir de son procès pour corruption. « En Israël, la Cour suprême est le seul frein au pouvoir de la majorité politique. Une clause dérogatoire ferait du pays l’une des démocraties les plus faibles du monde, constitutionnellement parlant : les droits de l’homme et des minorités n’auraient aucune protection efficace contre la majorité« , alerte Amir Fuchs, juriste à l’Institut israélien pour la démocratie.

Benyamin Netanyahou a officiellement jusqu’au 11 décembre pour signer des accords de coalition définitifs. S’il n’y parvient pas, il peut demander 15 jours supplémentaires au Président israélien Isaac Herzog.

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