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L’arlésienne amère des élections palestiniennes

Christophe Lafontaine
3 mai 2021
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L’arlésienne amère des élections palestiniennes
Des Palestiniens protestent contre le report des élections législatives et présidentielles palestiniennes à Rafah, dans la bande de Gaza, le 29 avril 2021. © Abed Rahim Khatib/Flash90

Les premières élections palestiniennes en 15 ans étaient censées se tenir le 22 mai prochain. Mahmoud Abbas les reporte et accuse Israël d’empêcher qu’elles se tiennent à Jérusalem-Est. Est-ce la seule raison ?


Les élections ne réussissent décidément pas beaucoup en Terre Sainte. Du côté israélien, on redoute un 5e scrutin en l’espace d’un peu plus de deux ans, si aucune coalition ne parvient à se former suite aux élections du 23 mars dernier. Du côté palestinien, les élections législatives prévues pour le 22 mai, ont été repoussées sine die, par le président de l’Autorité palestinienne, le 29 avril. Initialement, le renouvellement des 132 sièges du conseil législatif palestinien devait être suivi d’un scrutin présidentiel le 31 juillet, au cours duquel le leader palestinien âgé de 85 ans devait remettre en jeu son mandat. Les deux scrutins tombent donc à l’eau.

Ces élections avaient un but principal sceller la réconciliation inter-palestinienne entre le Fatah, parti laïc de Mahmoud Abbas, et le Hamas, mouvement islamiste qui a pris le pouvoir à Gaza en 2007. Et ainsi former un gouvernement d’unité. Ces dernières années, plusieurs tentatives pour résoudre les divergences entre les deux parties au cours des années écoulées et pour organiser des élections nationales, ont toutes échoué.

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Dans son discours jeudi soir dernier, Mahmoud Abbas a rejeté la faute sur Israël, en lui reprochant de vouloir interdire la tenue d’un vote à Jérusalem-Est, au même titre qu’à Ramallah ou Gaza. Jérusalem-Est, occupée depuis 1967 et annexée par l’Etat hébreu et où vivent plus de 300 000 Palestiniens, est considérée par les Palestiniens comme la capitale de leur futur Etat. L’Etat hébreu considère, quant à lui, la partie orientale de la ville comme faisant partie de sa capitale unifiée.

Mécontentement de la rue palestinienne

C’est donc après des semaines de rumeurs que la menace de Mahmoud Abbas a été actée : le scrutin est reporté « jusqu’à ce que notre peuple puisse exercer ses droits démocratiques à Jérusalem », a déclaré le vieux raïs.

Pourtant, le scrutin suscitait une forte adhésion de la population palestinienne, qui s’était inscrite à 93% sur les listes électorales. A Ramallah, des centaines de personnes très déçues sont descendues dans les rues pour dénoncer le report des élections. « L’impact psychologique de la décision d’Abbas est destructeur pour les Palestiniens. C’est une grosse défaite et cette défaite n’a pas été infligée par Israël mais par Abbas lui-même », a affirmé à l’AFP l’analyste Khalil Shikaki, directeur du Centre palestinien de recherche sur les politiques et les enquêtes.

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A Gaza, des centaines de partisans du Hamas, sont aussi descendus dans les rues. « Le Fatah et le président palestinien portent l’entière responsabilité de la décision (de reporter les élections) et de ses conséquences qui ne représentent rien moins qu’un coup d’Etat contre notre accord » de réconciliation, a dénoncé vendredi le Hamas dans un communiqué.

Prétexte ou stratégie : la crainte d’un mauvais résultat pour le Fatah

Pour Khalil Shikaki, « il est clair que ce (report) a plus à voir avec les résultats prévus des élections qu’avec la question de Jérusalem ». De fait, Mahmoud Abbas craint que ses adversaires ne le mettent sur la touche. Non seulement Mahmoud Abbas doit faire face au Hamas, qui cherche à étendre son influence en Cisjordanie, mais son parti doit aussi composer en interne avec des courants dissidents.

Notamment celui de Marwan Barghouti, leader palestinien populaire, celui de Nasser al-Kidwa, neveu de Yasser Arafat (fondateur du parti) et ex-chef de la diplomatie palestinienne, et enfin celui de Mohamed Dahlan. Ce dernier est un ancien cadre du Fatah, exilé aux Emirats arabes unis.

Une décision qui dessert les intérêts palestiniens

Bilan : le serpent se mord la queue. S’il n’y a pas d’élections, il n’y aura pas de gouvernement représentatif et crédible et donc pas de négociations possibles avec Israël. En outre, le report des élections risque d’augmenter les divisions entre le Fatah et le Hamas et les faire sortir de la voie de la réconciliation. Or, de nombreux Palestiniens estiment qu’une direction nationale unifiée et élue démocratiquement aurait plus de légitimité que deux gouvernements palestiniens en désaccord.

L’émissaire de l’Onu pour le Proche-Orient a dit ce week-end « comprendre entièrement la déception de nombreux Palestiniens » et a appelé à « l’annonce d’une nouvelle date » pour le scrutin. Même son de cloche de la part du responsable de la politique étrangère de l’Union européenne. Dans le même sens, la France a dit se tenir « aux côtés » de ses partenaires européens, pour « favoriser des élections libres, équitables et ouvertes à tous ». Et a appelé l’Autorité palestinienne « à proposer un nouveau calendrier électoral dans les meilleurs délais » et Israël « à faciliter l’organisation de ces élections dans l’ensemble des Territoires palestiniens, y compris à Jérusalem-Est, sur la base des accords passés ».

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