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Bethsaïde : sous l’église byzantine, les restes du village perdu des apôtres

Cécile Lemoine
5 février 2024
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Bethsaïde : sous l’église byzantine, les restes du village perdu des apôtres

Sous l’abside de l’église byzantine du site d’El-Araj, les archéologues ont découvert des murs du IIIe et du Ier siècle ap. J.-C. Des structures potentiellement vénérées pour leur lien avec les apôtres Pierre et André, et qui renforcent l’hypothèse de l’identification du site avec Bethsaïde, ville du Nouveau Testament dont on a perdu la trace.


Quand un mur en cache un autre. Campagne de fouilles après campagne de fouilles, le site archéologique d’El-Araj, sur la rive nord du lac de Tibériade, continue de dévoiler ses secrets. L’église byzantine, dont les premiers restes avaient été mis au jour en 2019, est aujourd’hui complètement sortie de terre. Grande et décorée de belles mosaïques, elle contient aussi des inscriptions grecques dont l’une, découverte en 2022, demande explicitement l’intercession de saint Pierre, désigné comme le “chef et commandant des apôtres”, expression couramment utilisée par les chrétiens byzantins.

Lors de la septième saison de fouilles menée en 2023, les archéologues ont voulu creuser sous l’abside pour vérifier si l’église n’avait pas été construite sur une structure antérieure. “On est à la recherche des restes de la maison de Pierre et André, les disciples de Jésus originaires de Bethsaïde, une ville dont on a perdu la trace depuis plus de 1000 ans”, explique le professeur Mordechaï Aviam, qui dirige les fouilles depuis 2014.

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Ce n’est pas un, mais deux murs que les archéologues ont découverts, après avoir minutieusement déposé le sol en mosaïques du VIe siècle. Le premier se trouve juste sous le centre de l’abside. “Sa position a décidé de l’orientation de l’église, légèrement décalée par rapport à l’habituel axe est-ouest, détaille l’archéologue israélien. Ces indices montrent que ce mur était vénéré par les byzantins (chrétiens du IVe au VIIe siècle, ndlr) qui ont délibérément construit l’église au-dessus, au Ve siècle, en croyant probablement qu’il s’agissait de la maison des apôtres. Mais ils se sont trompés, car ce mur date du IIIe siècle.”

Steven Notley à gauche devant le mur byzantin du Ive siècle (orienté gauche-droite sur la photo). à droite, un collaborateur de fouilles devant le mur du Ier siècle (orienté haut-bas sur la photo). © Photos El Araj Expedition

En fouillant un peu plus profondément, l’équipe est tombée sur un second mur. Perpendiculaire au premier, il date du Ier siècle ap. J.-C, soit l’époque qui correspond aux événements du Nouveau Testament. “Les gens du IIIe utilisaient régulièrement des ruines pour construire leurs maisons. Mais ce mur était-il celui de la maison des apôtres ? Impossible de l’affirmer à ce jour”, regrette Mordechaï Aviam, d’autant qu’il existe une discontinuité historique qui complique la lecture du site : la zone a probablement été inondée par le Jourdain entre le Ier et le IIIe siècle.

L’archéologue se félicite cependant de cette étape dans les découvertes : “Les byzantins ne construisaient pas leurs églises n’importe où et on note bien une tentative de connecter celle-ci à une structure antérieure, comme c’est le cas à Capharnaüm. Cela renforce nos hypothèses sur l’identification d’el-Araj comme la ville de Bethsaïde et témoigne de la mémoire vivante entretenue par les chrétiens byzantins autour des lieux saints.”

El Araj, Bethsaïda et Bethesda

À l’époque du Christ (Ier siècle), Bethsaïde est un petit port de pêche sans prétention qui acquiert le statut de polis par la main de Philippe le Tétrarque, gouverneur de la région en 30 ap. J.-C. L’historiographe Flavius Josèphe raconte que la ville est à cette occasion rebaptisée “Julias”, en l’honneur de la fille de l’empereur romain (Antiquités juives 18, 28). Les Évangiles relatent qu’en plus d’avoir vu naître plusieurs des disciples, Bethsaïde est le lieu, selon saint Marc, du miracle de la guérison d’un aveugle (Mc 8, 22-26). La ville aurait été jugée par Jésus pour son manque de foi (Mt 11, 21).

Les deux perpendiculaires l’un à l’autre qui se touchent. © Photos El Araj Expedition

“La tradition chrétienne byzantine place régulièrement la maison de Pierre à Bethsaïde, et non à Capharnaüm comme on le pense souvent aujourd’hui”, précise Steven Notley, le directeur académique des fouilles d’El-Araj. Selon ce professeur du Kinneret College, les byzantins étaient fascinés par les apôtres. “La dernière voix chrétienne de la période romaine tardive est celle d’Eusèbe, historien et évêque de Césarée (265-339). Dans son Onomasticon, un ouvrage de géographie biblique où il liste les lieux saints de la Palestine du IVe siècle, il décrit Bethsaïde ainsi : “La ville d’André, Pierre et Philippe est située en Galilée, sur le lac de Génésareth.” C’est intéressant, parce qu’il choisit de faire le lien avec des personnes, et non avec des miracles.”

La ville serait tombée dans l’oubli après sa destruction lors du séisme de 749, et l’arrivée de l’islam dans la région. Depuis le XXe siècle, la compétition est acharnée pour la retrouver. Trois sites à ce jour, clament être Bethsaïde : Messadiye, Et-Tell et El-Araj.

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Si le premier est le candidat le moins probable, faute de découvertes suffisantes, le second est fouillé depuis plus de 30 ans et possédait jusqu’en 2017, le titre de favori. C’est à cette date, et après seulement trois ans de fouilles, que l’outsider El-Araj a fait une percée avec la mise au jour d’un bain public romain. Des preuves qui vont dans le sens du témoignage de Flavius Josèphe : la ville s’est dotée d’infrastructures typiquement romaines après son élévation au rang de polis.

Selon une théorie de Steven Notley, le nom même d’El-Araj étaye cette identification avec Bethsaïde : “El-Araj signifie “le boiteux”, explique le chercheur. Il est possible que, dans les tout premiers manuscrits chrétiens grecs sur les miracles de Jésus, les scribes aient confondu le nom de Bethsaïda (“maison du pêcheur”) avec Bethesda, cette piscine de Jérusalem où Jésus a guéri un boiteux. D’une manière ou d’une autre, Bethsaïda s’est retrouvée associée avec l’homme boiteux.”

La prochaine saison de fouilles devrait se concentrer sur un complexe adjacent à l’église, une série de ruines, orientée est-ouest, où les archéologues s’attendent à trouver un monastère ou une église plus ancienne. “Peut-être du IVe siècle”, anticipe Mordechaï Aviam. La découverte de la maison de Pierre et André serait l’une des plus extraordinaires de l’archéologie chrétienne contemporaine, même si les preuves pourraient rester insaisissables.

Dernière mise à jour: 17/01/2024 14:04

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