“Se laisser surprendre par la résonance des textes juifs et chrétiens”
Quels cours suivez-vous à l’Université hébraïque ? Sur quel sujet travaillez-vous ?
Je suis doctorant au Département des Religions Comparées et je ne suis que quelques cours dans mon département. J’ai fait une licence en psychologie et en études islamiques du Moyen-Orient, et un Master en religions comparées. Pour mon doctorat, je travaille sur une comparaison entre le mysticisme musulman (entre autres choses, ce qu’on appelle le Soufisme) et le mysticisme chrétien syro-oriental de la même période (VIIe au Xe siècle). Entre autres choses, j’ai suivi des cours de Nouveau testament, de littérature patristique, d’études syriaques, de langues (syriaque, grec, arabe, français et allemand) et un cours de méthodologie sur l’étude des religions.
En tant que juif, pourquoi avez-vous décidé de vous intéresser au christianisme ?
Je n’ai pas de bonne réponse au “pourquoi ?”. C’est quelque chose qui m’a toujours intéressé, mais ce n’est qu’en étudiant les matériaux eux-mêmes que j’ai compris que c’était ce que je voulais faire. Il est important de dire, cependant, que j’étudie les religions en général, mon principal intérêt est le phénomène de la religion comme l’une des choses que beaucoup de gens, partout dans le monde, « font ». Comment est-ce qu’une identité religieuse est formée, transformée, et pourquoi cela se produit-il ? Quels sont les processus impliqués ? Est-ce un trait humain, une condition humaine innée ? Etc. Ce sont là les questions qui m’intéressent et j’espère pouvoir les approcher au mieux en mettant l’accent sur le mysticisme chrétien (et musulman) pendant l’antiquité tardive.
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Quelle est la chose la plus importante dans ces études selon vous : histoire, idées, philosophie, ou spiritualité ?
Mon département utilise la perspective historique et vous pourriez donc dire que j’ai reçu la formation d’un historien et je m’intéresse effectivement à l’histoire du christianisme. Mais je suis très intéressé par les idées, la théologie, la philosophie, la
psychologie des chrétiens que j’étudie et la façon dont leurs pratiques religieuses les façonnent et les identifient. En réalité je ne vois pas ces catégories comme séparées, elles font partie de la tentative de comprendre les gens, même si cela reste difficile.
C’est comme si vous vouliez connaître une personne ou un groupe de personnes aujourd’hui, vous devrez vous soucier de toutes ces choses différentes afin de tenter de les comprendre – d’où ils viennent, à quoi ils croient, comment ils se considèrent, ce qui les influence, ce qui les trouble, où ils vivent, etc. Il est difficile de prendre un élément à part et d’essayer de le rendre cohérent par lui-même.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris en étudiant le christianisme ? Qu’avez-vous découvert ?
Je suis surpris presque tous les jours dans mes études ! On ne peut pas dire que j’ai été surpris une fois mais que ça y est, maintenant je sais ce qu’est le christianisme et je ne suis plus dans cet état de découverte… Dans mes premières années, en tant que juif, j’ai été surpris de découvrir à quel point nos textes saints sont similaires, de même que les efforts herméneutiques nécessaires pour les aborder – bien sûr, il existe de grandes différences, mais il y a aussi quelque chose de très semblable.
Je pense que l’étude conjointe du judaïsme et du christianisme est très utile pour comprendre quelles ont été les préoccupations des deux religions au fil des années. À bien des égards, les juifs et les chrétiens ont discuté pendant des siècles d’idées, de textes et d’interprétations similaires, et les amener à une conversation “pédagogique” explicite est utile. Je sens vraiment ce lien avec les chrétiens, en tant que juif.
Du point de vue académique, j’aime penser au christianisme comme ayant été la meilleure “start-up” à travers laquelle, jusqu’à présent, une société humaine a pu naître. Il a touché plus de gens dans le monde entier que toute autre “chose”, et les estimations sont de plus de 2 milliards de croyants, bien que l’islam n’en soit pas très éloigné. Cela m’interpelle. Pourquoi ? Comment cela s’est-il passé ou se passe-t-il ? Je n’ai pas de réponse. Mon travail est d’être surpris, pour répondre à votre question. Peut-être que plus tard, en devenant chercheur, on prétend avoir des réponses, mais dans ma situation, je suis très conscient que le christianisme, les religions et l’humanité en général ne sont pas si faciles à expliquer.
En tant que scientifique, je ne peux accepter aucune explication divine (c’est-à-dire répondre “Parce que Dieu l’a décidé ainsi”). Mon point de vue est d’essayer de comprendre le phénomène sans recourir à la foi ou à la divinité, comme des outils explicatifs. Tout ce que j’ai ce sont des processus sociaux et historiques, psychologiques et naturellement humains pour essayer d’expliquer les faits.♦
Dernière mise à jour: 26/01/2024 11:20