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A Bethléem, le Walled Off Hotel attend ses visiteurs de pied ferme

Cécile Lemoine
3 mars 2022
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A Bethléem, le Walled Off Hotel attend ses visiteurs de pied ferme
Le Walled Off Hotel, situé le long du mur de séparation à Bethléem, a rouvert ses portes début février, après 2 ans de fermeture ©Cécile Lemoine/TSM

Alors qu'Israël a rouvert ses frontières à tous les voyageurs, vaccinés ou pas, le 1er mars, le petit hôtel créé par l'artiste Banksy à Bethléem a profité de deux ans de fermeture pour se refaire une beauté et attend le retour des touristes avec impatience.


Il aime se présenter comme l’hôtel avec « la pire vue du monde ». Construit à 500 mètres du checkpoint 300 et au pied du mur qui sépare Israël de la Cisjordanie, les fenêtres du Walled Off Hotel (« emmuré » en anglais et clin d’œil au luxueux hôtel Waldorf de Jérusalem) donnent directement sur les tristes panneaux en béton recouverts de graffitis qui traversent Bethléem. Ses 9 chambres ne reçoivent que 25 minutes de lumière directe par jour.

Rebutant ? Au contraire. La direction du petit hôtel-galerie-boutique créé par l’iconique artiste de rue Banksy, a recensé près de 100 000 visiteurs en 2019. Mais ça c’était avant. Avant que la pandémie de Covid-19 ne contraigne l’hôtel à rester fermé deux longues années, en attendant que les touristes soient à nouveau acceptés sur le territoire israélien.

Une période de vache maigre que le directeur, Wisam Salsaa, a mis a profit, comme beaucoup, pour rénover et repenser quelques parties de l’établissement. C’est agrandi d’un nouvel espace « bar » pour des coktails nocturnes, et d’une extension de la partie musée, dédiée à la « biographie du mur », que le Walled Off Hotel a donc rouvert ses portes au public, début février 2022, après une tentative avortée pour Noël.

 

« L’activité repart doucement, mais ce n’est pas encore ça, lâche le directeur qui ne remplit que 3 ou 4 chambres quelques jours par semaine. On s’attend à plus de monde en mars, avec la levée totale des restrictions. » Depuis le 1er mars, Israël autorise en effet l’arrivée de tous les voyageurs sur son sol, qu’ils soient vaccinés ou non.

« Un remède de trois étages contre le fanatisme »

Entièrement financé par le street artist britannique dont l’identité reste un secret jalousement gardé, l’établissement se veut complètement indépendant. Avec seulement 9 chambres et près de 45 employés (hors période Covid), sa rentabilité repose surtout sur la visite du petit musée (20 shekels, soit environ 5 euros l’entrée) et les consommations sur place, même s’il faut débourser entre 235 et 965 dollars pour passer une nuit dans une des chambres à la scénographie unique de l’hôtel.

 

Une galerie, où sont exposées une série d’oeuvres réalisées par des artistes Palestiniens visibles gratuitement, ainsi qu’une librairie et une boutique viennent compléter le tout, dans une décoration coloniale dystopique, propre à l’univers artisitique de Banksy. C’est aussi un clin d’oeil sarcastique au rôle de la Grande-Bretagne dans l’histoire de la région, alors que l’inauguration de l’hôtel s’est déroulée en 2017, soit cent ans après le début du mandat britannique en Palestine.

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Plus qu’un hôtel visuellement attractif, Banksy a pensé son établissement comme un « remède de trois étages contre le fanatisme », selon les mots du communiqué publié le jour de son ouverture. Le lien qui unit l’artiste, engagé dans la défense de nombreuses causes, à la Palestine, est ancien.

L’artiste de rue a posé ses pochoirs à Bethléem pour la première fois au cours de l’été 2005. A cette époque, la ville, largement dépendante des revenus issus du tourisme et des pèlerinages, est minée par la construction d’un mur de séparation qui réfreint les visiteurs. De son passage, il laissera une série de graffitis, peints à différents endroits de la ville ou du mur de séparation. Parmi les plus célèbres : la colombe en gilet pare-balle, le lanceur de fleurs, la petite fille fouillant un soldat, celle portant un ballon… Souvent poétiques, parfois sarcastiques, les oeuvres de l’artiste sont toujours politiques et dénoncent l’occupation israélienne.

Banaliser le conflit

« Avant, les gens ne venaient jamais près du mur. Ils se contentaient de visiter la basilique, éventuellement le souk. Aujourd’hui ces graffitis et l’hôtel sont des attractions touristiques à part entière », se félicite Wisam Salsaa. A l’hôtel, il est le seul à connaître le visage et l’identité de Banksy, à qui il a servi de guide lors de sa première visite en 2005.

« Je n’avais jamais entendu parler de Banksy. C’est seulement trois ou quatre mois après son départ que j’ai compris. Je regardais un reportage sur Al Jazeera et j’ai reconnu un graffiti qu’il a peint alors que j’étais avec lui. J’ai fais une recherche Google, et encore aujourd’hui, je suis sous le choc », s’amuse l’ancien guide touristique, aujourd’hui directeur d’un hôtel qui ne désemplit pas. Réputation de Banksy oblige.

 

« Banksy a contribué à diversifier et redynamiser le tourisme à Bethléem. Les gens d’ici lui en sont très reconnaissant », sourit le réceptionniste de l’hôtel, qui lorsqu’il a candidaté pour le poste en 2017, ne pensait pas que ce « petit hôtel » génèrerait autant de passage. Un succès qui n’est pas sans s’accompagner de critiques. Accusé de banaliser le conflit Israélo-Palestinien, voir de profiter d’une certaine misère, l’artiste répond, sur le site de l’hôtel que son établissement est « une entreprise locale indépendante, dont l’objectif est d’atteindre le seuil de rentabilité et de réinvestir les bénéfices dans des projets locaux. »

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La pandémie de Covid-19 a porté un dur coup à ce projet. Seules 12 personnes sur la cinquantaine qui travaillait à l’hôtel sont aujourd’hui embauchées à plein temps. Dans l’espace salon de thé, les touches d’un large piano à queue jouent seules une mélodie au rythme jazzy pour les trois touristes allemands venus prendre un café après avoir visité le musée. Trois chambres sont réservées pour la soirée. Les jours meilleurs ne sont pas loins.

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